
Le 30e Sommet de l’Union africaine, qui s’est achevé ce
29 janvier à Addis-Abeba, a marqué le
début du mandat du président
rwandais à la tête de l’organisation panafricaine. Paul Kagame succède
donc à Alpha Condé à la tête d’une institution qui vit à l’heure d’une
révolution institutionnelle suggérée en 2016. Au programme de cette
nouvelle présidence panafricaine : taxe pour le l’autofinancement de
l’UA, instauration d’une zone continentale de libre échange, liberté de
circulation pour les Africains, ouverture du ciel africain. Top départ.
L’autofinancement, la grande déception du 30e Sommet de l’UA
Les plus optimistes diront que l’instauration de la
taxe pour l’autofinancement de l’UA à l’échelle du continent suit sont
chemin. On leur répondra que le processus avance lentement. Très
lentement.

Paul Kagamé : « Avant, on disait que l'Afrique était un fardeau. Corriger cela ne se fera
pas en quelques années. Cela ne prendra pas des décennies non plus »
pas en quelques années. Cela ne prendra pas des décennies non plus »
Les 28 et 29 janvier 2018, le 30e Sommet des Chefs
d’États de l’UA a été l’occasion de nouvelles négociations sur ce
mécanisme proposé en 2016 par le président rwandais pour renforcer
l’autonomie financière de l’organisation et la libérer d’une trop grande
dépendance des partenaires internationaux. En effet, dans un contexte
où 70% du budget de l’UA est à ce jour financé par ses partenaires
étrangers, l’instauration de cette taxe de 0,2% sur l’importation de
certains produits non-africains sur le continent permettrait, selon
Donald Kaberuka, ancien président de la Banque africaine de
Développement, de générer 1,4 milliards d’euros dans les caisses de
l’Union. Un argument qui ne semble pas assez convainquant pour les pays
les plus réticents. Parmi eux, l’Égypte, l’Algérie, l’Afrique du Sud, et
le Nigeria, qui représentent ensemble près de 40% de la valeur des
importations sur le continent, évoquent des problèmes techniques pour la
mise en place de cette taxe au plan juridique, et craignent d’alourdir
le coût de la vie de leurs populations.
Le 29e Sommet qui s’est tenu les 3 et 4 juillet 2017
avait déjà mis en place un comité ad-hoc composé de ministres des
finances de 10 pays du continent pour faire avancer les négociations et
obtenir l’accord des plus réticents.
À l’heure de la photo de famille qui clôturait les
travaux, le 29 janvier 2018 à Addis-Abeba, 21 pays africains se sont
dits favorables à cette taxe que 14 d’entre eux ont déjà commencé à
percevoir.
Le 30e Sommet a décidé d’élargir ce comité à 15. À
l’heure de la photo de famille qui clôturait les travaux, le 29 janvier
2018 à Addis-Abeba, 21 pays africains se sont dits favorables à cette
taxe que 14 d’entre eux ont déjà commencé à percevoir (Kenya, Ethiopie,
Rwanda, Tchad, Djibouti, Guinée, Soudan, Maroc, Gambie,
Congo-Brazzaville, Gabon, Cameroun, Sierra Leone et Côte d’Ivoire). On
est loin du compte, et le président Kagame en est conscient : « Avant,
on disait que l'Afrique était un fardeau. Corriger cela ne se fera pas
en quelques années. Cela ne prendra pas des décennies non plus » a-t-il déclaré devant ses pairs africains.
Une éclaircie dans le ciel africain et une nouvelle étape vers la libre circulation
Si ce 30e Sommet de l’UA était une compétition
sportive, le lancement du Marché unique du transport aérien en Afrique
(Mutaa) en serait l’ultime trophée… que les Chefs d’États africains
auront mis 30 ans à décrocher. En effet, le principe consacré par la
décision de Yamoussoukro (en 1999) sur la libéralisation du transport
aérien en Afrique à été réaffirmé par les Chefs d’États du continent
dans l’Agenda 2063 qui détermine les axes prioritaires de développement
pour l’Afrique à l’horizon 2063. Il a donc été adopté au cours de ce 30e
Sommet, avec la signature solennelle de 23 pays, permettant désormais à
n’importe quelle compagnie aérienne d’ouvrir une liaison dans l’un des
pays du continent sans se heurter au monopole des compagnies nationales.
Pour autant, cette décision que le communiqué de l’organisation
qualifie de « vitale », n’est en somme qu’une étape dans la poursuite de la liberté de circulation des Africains sur le continent.
Une avancée modeste dans un domaine où certains pays,
dont le Rwanda et le Bénin, ont montré la voie décrétant l’exemption de
visas d’entrée sur leurs territoires pour les ressortissants africains.
C’était l’une des visions exprimées par les fondateurs
de l’Union africaine en 2001. Le principe de la libre circulation des
personnes sur le continent a par la suite été inscrit dans l’Agenda
2063, avec à la clé, un passeport africain qui la faciliterait. Ainsi,
un projet de protocole prévoyant la libre circulation, le droit
d’établissement et de résidence, ainsi qu’une feuille de route avec un
calendrier pour son opérationnalisation d’ici 2023, ont été adoptés au
cours de la réunion du Conseil Exécutif le 25 janvier 2018. Une avancée
modeste dans un domaine où certains pays, dont le Rwanda et le Bénin,
ont montré la voie décrétant l’exemption de visas d’entrée sur leurs
territoires pour les ressortissants africains. Mais le débat africain
sur la question pourrait être long et laborieux, dans un contexte où
l’intensification des migrations clandestines a favorisé le
développement de diverses ententes bilatérales visant à restreindre le
passage des migrants dans les pays africains, considérés comme zones de
transit. Ajouté à cela, la lutte contre le terrorisme transfrontalier
pourrait être un argument supplémentaire pour justifier la réticence de
plusieurs pays du continent.
Libre échange : le Sommet extraordinaire du 21 mars pourrait être décisif
« Avec la Zlec, non seulement les Africains seront
plus forts pour négocier, mais ils vont en réalité créer un marché très
attractif de 1,3 milliard de personnes, qui pèsera 1,4 milliard de
dollars», c’est ainsi que l’économiste Bissau-guinéen Calos Lopes,
ancien président de la Commission économique de l’Union africaine a
commenté le rapport du président nigérien, Champion de l’UA sur le
projet de Zone de libre échange continental (Zlec).

Calos Lopes : « Avec la Zlec, les Africains seront plus forts pour négocier »
Pour Mahamadou Issoufou, cette Zone de libre échange représente « un
vaste marché qui permettra [à l’Union Africaine] de négocier avec plus
de force face aux partenaires étrangers, et notamment l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) ». L’UA s’oriente-t-elle enfin vers la
réalisation d’un autre de ses rêves fondateurs ? Le président nigérien
est d’autant plus optimiste, que ses pairs ont décidé d’y consacrer un
Sommet extraordinaire le 21 mars 2018 à Kigali. Ce sera l’occasion de « discuter des instruments légaux et de signer l’accord établissant la Zone de libre échange continental ».
Libre circulation donc pour les personnes et pour les biens et
marchandises, mais aussi établissement dans les toutes prochaines années
d’un véritable marché Africain, le rêve Africain au cours de ce 30e
Sommet est celui d’un continent qui ne connaît pas de frontières et où
ses citoyens se déplacent et commercent en toute liberté. Encore
faudrait-il pour cela qu’ils puissent le faire sans inquiétude.
La menace sécuritaire qui complique la donne
C’est peut-être là que le bât blesse. Le Conseil de
Paix et de Sécurité (CPS) de l’UA qui a tenu sa 749e réunion le 27
janvier, quelques jours avant le Sommet, plante le contexte de menaces
qui pèsent sur continent en 2018, dès l’énoncé du sujet de ses
discussions : « Vers une approche globale pour la lutte contre la menace transnationale du terrorisme en Afrique. »
La menace n’est plus tout à fait nouvelle, et les réponses que
l’organisation devrait lui apporter ne sont pas encore tout à fait nées.
Ainsi, l’Architecture pour la Paix et la Sécurité en Afrique (APSA)
dont dépend un grand nombre de mécanismes continentaux de prévention et
de résolution des conflits reste encore très faiblement implémenté,
laissant le leadership aux Communautés économiques régionales et aux
forces multinationales ad-hoc pour la résolution des conflits sur le
continent.
La construction d’une Afrique pleinement intégrée
auquel les Chefs d’États participants à ce Sommet de l’UA ont voulu
donner un coup d’accélérateur pourrait se heurter à cette menace-là.
Sauf qu’il ne s’agit plus tout à fait de conflits
désormais, mais de terrorisme, alors que l’opérationnalisation du
Sous-comité du CPS sur la lutte contre le terrorisme tarde à venir et
que le Mécanisme de coopération policière AFRIPOL ne donne que de très
minces résultats. La construction d’une Afrique pleinement intégrée
auquel les Chefs d’États participants à ce Sommet de l’UA ont voulu
donner un coup d’accélérateur pourrait se heurter à cette menace-là.

Mahamadou Issoufou : « Nous avons besoin de davantage d’intégration. Le développement
est aussi une réponse aux questions sécuritaires ».
est aussi une réponse aux questions sécuritaires ».
Selon le Nigérien Mahamadou Issoufou (qui présidera le G5 Sahel à partir du 6 février) : « Nous avons besoin de davantage d’intégration. Le développement est aussi une réponse aux questions sécuritaires ». Mais encore. Le Tchad et le Niger accepteront-ils d’ « ouvrir »
leurs frontières avec une Libye que l’instabilité politique est en
train de transformer en centre d’entraînement à ciel ouvert du
terrorisme mondial, alors qu’ils ont déjà un très faible contrôle des
régions nord de leurs territoires respectifs ? Le Maroc accepterait-il
d’instaurer une Zone de libre échange avec le Sahara occidental qu’il ne
reconnaît pas comme État, ou avec son adversaire algérien ? Quel est le
plan pour qu’une Afrique plus intégrée ne soit pas aussi une Afrique
plus dangereuse ? C’est une question à laquelle la réponse de
l’organisation panafricaine n’est pas claire et qui pourrait encore
alimenter bien des réticences.
Claude Biao
Ecofin Hebdo