
Alors qu’il
concluait sa visite d’État en Tunisie par un bain de foule, Emmanuel
Macron a été
interpellé pour libérer celui que ses partisans appellent «le doyen des prisonniers politiques d’Europe», George Abdallah. Vous ne le connaissiez pas? Sputnik vous en dit plus.
interpellé pour libérer celui que ses partisans appellent «le doyen des prisonniers politiques d’Europe», George Abdallah. Vous ne le connaissiez pas? Sputnik vous en dit plus.
L'accueil était guilleret, jeudi après-midi, au centre de Tunis. Emmanuel Macron
a eu droit à un bain de foule digne d'une Chiraquie dont il était
l'enfant ce jour-là, alors qu'il s'apprêtait à s'engouffrer dans les
ruelles de la Médina de Tunis. Un endroit pittoresque, fait de mystères
et de paradoxes, où se côtoient, dans l'indifférence générale, mosquées
et bordel municipal.
«Macron! Macron!», interpelle soudainement une voix masculine. Le
temps de finir son «instant tendresse» avec un gosse, le Président de la
République affronte son interlocuteur.
«Macron, Libérez George Abdallah! Libérez George Abdallah! Libérez George Abdallah!»
Peut-être celui qui répétait à l'envi qu'il faisait partie d'une
génération qui n'avait jamais connu la colonisation, garde-t-il quelques
souvenirs d'adolescence de la guerre civile libanaise, déclenchée deux
ans avant sa naissance et qui prit fin peu après l'Accord de Taïef, en
1990?
C'est dans ce contexte que prit naissance l'affaire George Ibrahim
Abdallah. Un Libanais maronite, chef d'un groupe marxiste
propalestinien, qui s'engagea contre les Israéliens après leurs
invasions au Sud-Liban vers la fin des années 70. Objectif: libérer le
Liban de la présence étrangère (américaine, française et israélienne),
et obtenir la création d'un État palestinien.
Depuis Lyon, ces Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL),
ont dirigé nombre d'opérations qu'ils qualifient «de résistance», ou
«terroristes» selon les Occidentaux. En janvier 1982, l'attaché
militaire adjoint des États-Unis en France est abattu d'une balle dans
la tête. Au mois d'avril de la même année, c'est le diplomate israélien,
Yacov Barsimentov, qui succombe à ses blessures. Deux actions
revendiquées par les FARL, dans un contexte où les assassinats
politiques faisaient rage des deux côtés, avec armes inégales et
traitement de «deux poids, deux mesures» par les services de sécurité
européens, d'après le directeur de la Direction de la surveillance du
territoire (DST) de l'époque, le Français Yves Bonnet.
«Quand le Kidon ("service action" du Mossad,
les renseignements israéliens, ndlr) élimine les deux représentants
officieux de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine, ndlr) en
France […], la DST […] ne déploie pas un grand zèle pour retrouver les
auteurs de ces actes, objectivement "terroristes". En revanche quand
[les] attachés militaires israélien [et Américains sont] tués à Paris
[…], la division antiterroriste se met en chasse. Deux poids, deux
mesures, la balance n'est pas tenue égale dans une lutte qui ne nous
concerne pas», rappelle Bonnet dans un article paru en 2015,
une affaire sur laquelle il était longuement revenu dans son livre
«Contre-espionnage, mémoires d'un patron de la DST», paru en 2000.
Arrêté
en 1984, pour une histoire de faux papiers, George Abdallah est vite
reconnu comme le chef du mouvement responsable de ces attentats. À
Tripoli, au Liban, ses camarades des FARL passent à l'action, en
kidnappant un fonctionnaire français, et exigent l'échange. La médiation
algérienne tombe à l'eau quand le juge d'instruction est chargé du
dossier. «Le cadre légal s'imposa à nous», a résumé l'ancien patron de
la DST, qui était derrière l'incarcération du Libanais.
George Abdallah est condamné en 1987 à perpétuité pour «complicité
d'assassinat». Une peine qu'il purge, jusqu'à aujourd'hui, au centre
pénitentiaire de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), mais qui n'est soumise à
aucune peine de sûreté.
Alors que selon la loi, il était libérable dès 1999, une dizaine de
demandes ont été présentées pour obtenir son élargissement, en vain. En
2003, par exemple, alors que la juridiction régionale de Pau a autorisé
sa libération, la Cour d'appel a préféré donner raison au ministre de la
Justice, Dominique Perben, qui s'y était opposé, jugeant son cas
«extrêmement grave». En 2009, la Cour d'appel de Paris le qualifiera
d'«activiste résolu et implacable» pour justifier son maintien derrière
les verrous.
«Un de mes successeurs à la tête de la DST a
signé une lettre attestant de ce que Georges Ibrahim Abdallah s'était
converti à l'islam —ce qui est son droit- et était devenu un
propagandiste du djihad —ce qui est plus problématique. Or les deux
assertions sont fausses», explique, de son côté, Yves Bonnet.
Des pressions américaines et israéliennes seraient même intervenues, à
chaque fois, pour empêcher une libération, demandée en outre par le
Liban, où George Abdallah, 66 ans, compte finir ses jours. À l'occasion
d'une énième requête introduite par ses avocats, en 2013, la secrétaire
d'État Hillary Clinton aurait fait pression sur le chef de la diplomatie
française, Laurent Fabius pour que cette requête n'aboutisse pas. «Nous
espérons que vous trouverez un moyen de contester la légalité de cette
décision», a dit Clinton, d'après des mails déclassifiés qu'elle a publiés elle-même.
«La France se plie aux exigences des États-Unis
et d'Israël. à chaque fois qu'une décision de justice a été prise en
faveur de M. Abdallah, ces deux pays ont mis leur droit de veto pour
qu'il ne sorte pas»,
a commenté dans une interview datant de 2016,
l'ancien patron de la DST, en comparant son cas avec la libération de
Maurice Papon, ou celle de l'égorgeur de l'ancien Premier ministre
iranien, Shapour Bakhtiar, libéré en 2010, deux jours après
l'élargissement par les autorités iraniennes de l'étudiante française
Clotilde Reiss.
En
prison depuis maintenant 34 ans, George Abdallah serait ainsi, selon
ses partisans, «le doyen des prisonniers politiques d'Europe», estimant
que son emprisonnement fait suite à des «actes de résistance», les deux
victimes étant des agents des services de renseignement (CIA et Mossad).
La qualification «politique» n'est pas reconnue, de son côté, par la
justice française, qui se base sur des jugements prononcés pour des
faits qui relèvent du Code pénal, ou de la loi sur la rétention de
sûreté promulguée en 2008, dans le code de procédure pénale.
Entre-temps, quelques élus de gauche, des intellectuels et artistes
français, et autres personnalités internationales, ont pris fait et
cause pour le détenu libanais, en demandant régulièrement sa libération.
Des manifestations sont souvent organisées dans ce sens, en France ou à
l'étranger. C'était le cas à Tunis, un 1er février 2018, alors
qu'Emmanuel Macron, clôturait sa visite d'État dans le pays.
Alors qu'il s'acheminait vers la Médina, le président français
s'offrait un véritable bain de foule. Des femmes et des hommes, des
jeunes et des vieillards, lui souhaitaient la bienvenue, le remerciaient
de sa visite, et lui disaient tout le bien qu'ils pensaient des
relations franco-tunisiennes. D'autres encore, plus pragmatiques sans
doute, lui demandaient de faciliter les procédures d'octroi de visa, ou
même de les aider à avoir une meilleure situation. Au milieu de la
foule, une voix l'interpella, rapidement confortée par d'autres, alors
que la manifestation pro-George Abdallah se tenait à quelques pas.
Échange express avec ses accompagnateurs pour celui qui semblait ignorer
complètement l'affaire. «Ce n'est pas la France qui..» lâche finalement
le président, avant de passer son chemin, sa voix se perdant dans le
tintamarre de la foule. Difficile à ce niveau de comprendre s'il donnait
ainsi raison à la thèse des pressions étrangères, ou s'il répondait
simplement à ceux qui, parmi la foule, lui demandaient d'améliorer leur
propre situation..
Source:fr.sputniknews.com