
Alors qu'il essayait de ramener son fils en Tunisie, Fathi Bayoudh,
colonel-major et chef du service pédiatrique de l'hôpital militaire de
Tunis, a perdu la vie lors d'un triple attentat-suicide en Turquie. Sa
femme
Saïda, meurtrie, raconte l'histoire de ce père prêt à tout pour
sauver son enfant, parti rejoindre le groupe État islamique.
Quelques minutes avant le drame, le couple pensait pourtant la fin du
cauchemar proche. À l’automne, Saïda et Fathi Bayoudh avait appris avec
stupéfaction que leur enfant unique, Anouar, 26 ans, avait rejoint l’EI
en Irak puis en Syrie, comme des milliers d’autres Tunisiens. Mais à
leur grand soulagement, il avait fini par exprimer des regrets et Fathi
Bayoudh allait et venait depuis deux mois entre Tunis et la Turquie avec
la ferme intention de le sortir de ce bourbier. C’est en allant
chercher sa femme à l’aéroport d’Istanbul, mardi soir, que Fathi
Bayoudh, est décédé lors d’un triple attentat-suicide qui a fait 43 morts.
De retour saine et sauve d’Istanbul mais sous le choc, Saïda reçoit
les proches venus présenter leurs condoléances dans son salon d’Ennasr,
un quartier de Tunis. En attendant les funérailles officielles vendredi
1er juillet, elle revient sur la décision de son fils… Et le combat mené
par Fathi Bayoudh pour le ramener à la maison. « Je me sacrifierai pour
toi mon fils », avait-il écrit dans un récent sms, gardé par Saïda dans
un téléphone.
« Un lavage de cerveau »
« Mon
fils a quitté Daesh, il a voulu échapper à ce groupe et revenir en
Tunisie. Il a découvert que c’était des monstres », raconte Saïda à l’AFP,
en précisant que le jeune homme n’était pas très religieux. « Il ne
faisait même pas la prière de façon régulière. Mais c’était quelqu’un de
bien, de poli et de respectueux. » Mais selon sa tante, qui s’est
exprimé sous couvert de l’anonymat, des jeunes du quartier ont subi « un
lavage de cerveau » dans une des mosquées d’Ennasr.
Mais tout bascule fin octobre, lorsque le jeune homme dit se rendre en Suisse
Après
avoir suivi des études de médecine, et cherché en vain du travail,
Anouar « se lance dans un nouveau projet et s’inscrit dans une faculté
privée ». Mais tout bascule fin octobre, lorsque le jeune homme dit se
rendre en Suisse, pour les besoins d’un stage. Alors qu’il rejoint en
fait l’EI en Irak.
« Sa
fiancée, Farah, a appelé mon mari au début du mois suivant pour lui
dire que ça n’était pas la peine de les chercher, qu’ils allaient bien,
raconte sa mère. Quinze jours plus tard, Anouar a lui-même appelé pour
nous dire qu’il était en Irak et qu’il avait été chargé par l’EI de
s’occuper des blessés. »
Mais
la tonalité des échanges évolue rapidement. Selon elle, il a fini « par
demander à son père de le sauver. (…) Il avait très peur de ces
gens-là ». « Dans ses messages à son père, Anouar les qualifiait de
monstres et nous disait que Daesh, ce n’était que de l’arnaque », assure
encore Saïda à l’AFP.
Depuis octobre, cette femme au visage
aminci affirme avoir subi deux malaises cardiaques. Son mari avait lui
perdu 20 kilos, mais n’avait jamais cessé d’exhorter son fils à rentrer,
insiste-t-elle.
« Après
un court passage en Syrie, Anouar s’est rendu à l’Armée libre syrienne
et leur a dit vouloir retourner en Tunisie. Il est resté environ deux
mois incarcéré. Durant cette période, son père, en congé sans solde,
était en Turquie pour tenter de trouver les moyens de le rapatrier »,
dit-elle.
Lundi, veille de l’attentat, Fathi a su que son fils était sur le sol turc. Il était fou de joie
Lundi,
veille de l’attentat, « Fathi a su que son fils était sur le sol turc.
Il était fou de joie de pouvoir enfin le voir et m’a demandé de venir
rapidement en Turquie », ajoute SaÏda, avant de conclure d’un soupir:
« et mardi, il était à l’aéroport pour m’accueillir ».
Après
le drame, les autorités tunisiennes ont confirmé que leur consulat à
Istanbul était en contact « depuis décembre » avec la famille Bayoudh.
Jeudi, elles ont annoncé que la Turquie avait accepté le prochain
rapatriement d’Anouar. Le jeune homme, selon sa mère, ignore encore que
son père est décédé.
Par Jeune Afrique avec AFP

