
Emmanuel Macron a déclaré ce 28 novembre à Ouagadougou qu'il n'y
avait plus de « politique
africaine de la France ». Il est le troisième
président français à évoquer la fin de ces liens historiques et
sulfureux connus comme la « Françafrique », terme que le chef d’État a
pris soin de ne pas employer.
Qu’est-ce que la Françafrique ? « C’étaient des réseaux
politico-affairistes qui poussaient leurs intérêts à travers des
institutions ou des fonctions institutionnelles », assure le consultant
Laurent Bigot, ancien diplomate français spécialiste de l’Afrique de
l’Ouest. « Mais il faut arrêter avec ça. Les réseaux Jacques Foccart, c’était il y a quarante ans. C’est totalement révolu. D’ailleurs, Macron n’a même pas prononcé le mot ».
Pour Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique, ancien directeur de La lettre du continent,
la Françafrique était « cette relation incestueuse entre les présidents
français et les présidents africains. C’étaient les valises de billets
qui allaient des présidents africains aux dirigeants français pour
financer leurs campagnes politiques ».
« De la fin des années 50 à la fin des années 90, la France
avait en Afrique un système intégré, politique, militaire, financier
avec le franc CFA, et surtout aucune concurrence, ajoute-t-il. Mais
c’est fini. Maintenant, le monde entier est en Afrique ».
« Résiduel et folklorique »
Interrogé en 2015, l’homme d’affaires franco-béninois Lionel
Zinsou, alors Premier ministre du Bénin, décrivait la Françafrique
comme « des réseaux de domination qui ont duré plus longtemps que la
période de la colonisation et se sont étendus dans les premières années
de l’indépendance, mais qui n’existent plus qu’à l’état résiduel et folklorique ».
Ces réseaux d’influence concentriques, présents dans les
anciennes colonies françaises en Afrique de l’Ouest, gravitaient autour
de leur fondateur Jacques Foccart, baron du gaullisme, qui fut de 1960 à
1974 « conseiller de l’Élysée pour les affaires africaines et
malgaches ».
Le versement du « fonds Foccart » aux Archives nationales a
révélé l’étendue du réseau de correspondants, d’affidés, d’informateurs,
d’intermédiaires douteux et de mercenaires que l’ancien Monsieur
Afrique du général de Gaulle avait bâti pour préserver l’influence de
Paris dans ses anciennes colonies.
À la mort du général de Gaulle, il est resté en fonction
sous la présidence Pompidou, puis fut rappelé en 1986 par Jacques Chirac
quand il a été nommé Premier ministre, puis président de la République
en 1995.
Lors de ses obsèques officielles, en mars 1997 dans la cour
des Invalides, huit chefs d’États d’Afrique francophone avaient fait le
déplacement. Depuis, la fin de ce système a été annoncé successivement par les présidents français Nicolas Sarkozy, puis François Hollande.
Realpolitik macronienne
Juste après avoir affirmé, devant son auditoire d’étudiants burkinabè,
« qu’il n’y a plus de politique africaine de la France », Emmanuel
Macron a enchaîné : « Il y a une politique que nous pouvons conduire, il
y a des amis, il y a des gens avec qui on est d’accord, d’autres non.
Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face ».
« Bien évidemment, la France a une stratégie en Afrique, et
c’est heureux, estime Laurent Bigot. Sinon pourquoi le président Macron
aurait-il fait cette tournée, et un discours sur l’Afrique ? Il est
heureux que nous ayons une politique pour promouvoir les intérêts de la
France en Afrique, les Français paient des impôts pour ça. Sinon, à quoi
serviraient nos ambassadeurs ? Vous pensez que la Chine n’a pas de politique africaine ? ».
La distance que le président Macron a voulu mettre avec les
anciennes pratiques tient « de la realpolitik », ajoute Antoine Glaser.
« Il doit tenir compte de la perte d’influence de la France en Afrique.
Car aujourd’hui, en dehors du Sahel, la France en Afrique ce n’est plus
grand-chose ».
« Et c’est là que se trouve la vraie rupture », ajoute-t-il.
« Il dit à la jeunesse africaine : « Je suis jeune, je suis comme vous
né après la colonisation, je ne vais plus être coincé avec les anciens
chefs d’états africains », des autocrates qui souvent avaient été
cooptés par la France. Il la joue à la Barack Obama, il veut s’adresser
aux sociétés civiles africaines ».
« Son attitude envers les chefs d’états africains a
fondamentalement changé, poursuit-il. Il refuse l’héritage du passé, il
passe l’ardoise magique sur la Françafrique, sans jamais prononcer le
mot ».
Source: Jeune Afrique

