
Depuis son accession au pouvoir, en septembre 2017, le nouveau
président angolais a su s’imposer
dans un système qui semblait
verrouillé par l’ancien régime. Avec le soutien de piliers du MPLA,
l’ex-parti au pouvoir, et parce qu’il vient lui-même du sérail.
« Un chien s’attache à vous par loyauté. Et, d’un point de
vue pragmatique, parce que vous êtes sa source de nourriture » : ce bon
mot de l’auteur américain John Herbert Varley pourrait faire écho chez
l’ancien président angolais José Eduardo dos Santos (« Zedu »). Sans doute, après trente-huit années d’un pouvoir sans concession, a-t-il péché par excès de confiance.
En laissant les rênes du pays à son ministre de la Défense,
João Lourenço (JLo) – même s’il est davantage le choix du MPLA que le
sien –, en nommant des proches aux postes clés juste avant son départ
– dont ses enfants –, et, enfin, en gardant la direction du parti,
probablement estimait-il s’être mis à l’abri avec son clan.
Mais, à peine élu, le nouveau président, 63 ans, a fait
mentir tous ceux qui ne voyaient en lui qu’un ersatz de dirigeant. Sans
doute celui qui était considéré comme un « radical » voit-il là
l’occasion de faire payer ses années de disgrâce depuis que, au début de
2000, il a osé afficher ses ambitions.
La famille Dos Santos
Le coup de grâce a probablement été le limogeage d’Isabel dos Santos
(surnommée « la princesse » par les Angolais), le 15 novembre, de la
tête de la Sonangol, la compagnie pétrolière qui assure les trois quarts
des revenus du pays.
Les jours seraient aussi comptés pour Filomeno, nommé à la tête du fonds souverain par son père et pris dans les filets des Paradise Papers
Pis ! Il l’a remplacé par Carlos Saturnino, que la princesse
avait écarté à son arrivée, le traitant « d’incompétent ». Autres
membres de la famille mis à l’index, Welwitschia « Chizé » et José
Paulino « Coreon Du », qui tenaient les principaux médias à travers
Semba Comunicação.
Les jours seraient aussi comptés pour Filomeno, nommé à la
tête du fonds souverain par son père et pris dans les filets des
Paradise Papers. « Il n’est pas encore limogé car une enquête sur les
comptes est en cours [le fonds gère 5 milliards de dollars], et on lui
demande de coopérer », affirme une source bien informée, qui ajoute que
les Américains suivraient l’affaire avec attention. Pétrole, diamants,
finance…
JLo a repris en main l’ensemble du secteur économique sans
grande difficulté. « L’arrogance des dos Santos a nourri des
ressentiments, JLo l’a bien compris et s’en sert », conclut notre
source.
L’appuie du MPLA
Le nouveau président s’est aussi attaqué à l’appareil
sécuritaire en nommant Alfredo Mingas « Panda » chef de la police, et
Apolinario José Pereira à la direction des services de renseignements et
de la sécurité militaire, cassant ainsi les derniers décrets de Zedu.
« Exonerador Implacável » (le « liquidateur implacable »), ainsi qu’il
est désormais surnommé, semble vouloir faire table rase du passé, même
si lui-même et ces personnalités sont tous du sérail.
Mais pour avoir les coudées franches, il lui manque encore les clés du parti
« Seul quelqu’un comme lui pouvait faire ce qu’il fait ; et
il ne peut pas non plus se passer de toutes les compétences. Il doit
faire des choix », relativise l’ancien diplomate et fin connaisseur du
pays Daniel Ribant.
Mais pour avoir les coudées franches, il lui manque encore les clés du
parti. Lors de sa prestation de serment, le 26 septembre, il a ainsi
confié à plusieurs de ses pairs africains vouloir régler cette question
dans les six à douze mois.
Pour ce faire, il s’appuie notamment sur quelques cadres
éminents du MPLA. Parmi eux, Norberto dos Santos, membre du bureau
politique, député, gouverneur de la province du Malanje. Celui-ci
s’était fait remarquer en révélant, avant l’annonce officielle de
février, que Lourenço serait le candidat du parti aux élections d’août.
Mário António de Sequeira e Carvalho, général membre du bureau
politique, ancien président du conseil d’administration du groupe GEFI
(bras financier du MPLA), est aussi un soutien de poids.
Présider le parti
L’amiral Condesse de Carvalho, dit « Toka », 87 ans, l’un
des fondateurs des Forces armées populaires de libération de l’Angola
(Fapla, ancienne branche armée du MPLA), a aussi pris fait et cause pour
Lourenço. Cet ancien ambassadeur à Cuba et en Algérie a déjà invité dos
Santos à quitter la direction du parti. « Le MPLA est en train de
tomber dans l’escarcelle de Lourenço, décrypte Paula Cristina Roque,
chercheuse à l’Université d’Oxford. Il y a quelques cadres qui
soutiennent encore dos Santos, mais tout indique que JLo ne pardonnera
pas la dissidence. »
Opportunistes ou vrais déçus de l’ancien régime, ils sont nombreux à faire allégeance à Lourenço
Opportunistes ou vrais déçus de l’ancien régime, ils sont
nombreux à faire allégeance à Lourenço. Le général Fernando Garcia Miala
a rongé son frein pendant près de dix ans. L’ancien chef des services
de renseignements avait été écarté par dos Santos en 2006 au profit du
tout-puissant général Hélder Vieira Dias « Kopelipa » (fragilisé depuis
quelques années par la maladie).
Jugé pour « insubordination », Miala avait été condamné en
2007 à quatre années de prison. Un temps pressenti pour reprendre ses
anciennes fonctions, il se serait finalement vu confier par JLo la
mission de tracer les milliards de dollars cachés hors du pays.
Plus présent sur la scène internationale
Il pourrait s’appuyer notamment sur les dossiers transmis
par Manuel Vicente, ancien dauphin de dos Santos lâché par celui-ci
depuis ses ennuis judiciaires au Portugal, mais aussi sur Edeltrudes
Costa « Nando », l’ancien chef de [cabinet de la présidence] la Maison
civile et intime de l’ex-chef d’État, nommé ministre, directeur de
cabinet.
Lors des troubles au Zimbabwe, le président angolais était aux côtés de Jacob Zuma pour mener la médiation
JLo a par ailleurs réveillé l’Angola sur la scène
internationale. Dos Santos ne se déplaçait presque plus hors du pays, si
ce n’est en Espagne, à Barcelone, pour se faire soigner. En juillet,
alors qu’il n’était que candidat, Lourenço a été reçu à Paris par le
président français Emmanuel Macron, puis à Rome par le Premier ministre
Paolo Gentiloni.
Ce dernier a d’ailleurs été le premier dirigeant occidental à
se rendre en Angola après l’élection. Lors des troubles au Zimbabwe, le
président angolais était aux côtés de Jacob Zuma
pour mener la médiation. Pour Daniel Ribant, « Lourenço veut rapprocher
son pays de l’Afrique du Sud et de la SADC ». Sentiment renforcé par la
décision récente de supprimer les visas pour les Sud-Africains.
Rencontres diplomatiques
Au sommet UA-UE,
Lourenço a par ailleurs multiplié les rencontres : Macron, une nouvelle
fois, mais aussi, plus remarquable, une tripartite avec Zuma et le
souverain marocain, Mohammed VI, laissant présager un réchauffement des
relations avec le royaume, alors que la RASD a toujours empoisonné les
rapports.
Et il est fort probable qu’il sera présent au prochain
sommet de l’Union africaine, en janvier 2018, à Addis-Abeba. Par
ailleurs peu proche des Portugais, contrairement à son prédécesseur,
Lourenço l’est davantage des Américains, encouragé par sa femme. Washington aurait d’ailleurs demandé au « Liquidateur » de lever le pied, craignant pour sa sécurité…
Les Angolais, eux, semblent galvanisés par la fin du système dos Santos, qu’ils n’espéraient plus après quatre décennies d’un règne sans partage
Mais celui dont le nom ne disait « rien à personne », sept
mois avant l’élection, que l’on considérait comme « peu charismatique »
au lendemain de sa victoire, est devenu l’homme le plus populaire
d’Angola. Même dans l’opposition, son action est scrutée avec une
certaine anxiété. Le 18 octobre, JLo a reçu Isaias Samakuva, le
président de l’Unita (parti historique qui a fait 24 % au dernier
scrutin), alors que dos Santos ne l’avait fait que deux fois depuis la
fin de la guerre civile, en 2003.
Amélioration du sort des anciens combattants, ouverture
économique et politique… Si, au sein de l’Unita, on admet qu’il s’agit
d’un geste dans la bonne direction, « [on attend] de voir s’il va au
bout de ses promesses ». Les Angolais, eux, semblent galvanisés par la
fin du système dos Santos, qu’ils n’espéraient plus après quatre
décennies d’un règne sans partage.
Ana Dias, une première dame au cœur du système
Dans cette mise au pas du système par João Lourenço, il ne
faut pas sous-estimer le rôle de sa femme, Ana Dias. La première dame,
ex-ministre du Plan (1997-2012), avait été « démissionnée » par dos
Santos, dont elle avait pourtant été extrêmement proche – au point
d’alimenter des rumeurs sur une liaison entre eux.
Militante de la première heure, elle fut emprisonnée trois
mois en 1977 après une tentative de coup d’État menée par des dissidents
du MPLA. Sa participation n’a jamais été prouvée. Elle est très liée
aux Américains depuis son passage à Washington, où elle fut économiste à
la Banque mondiale.
La nièce de Fernando da Piedade Dias dos Santos, l’actuel
président de l’Assemblée nationale, connaît tous les arcanes du pouvoir
et s’appuie sur un carnet d’adresses bien fourni à l’international. Un
atout indéniable pour le nouveau chef de l’État.
Source: Jeune Afrique