Un écrivain arrêté au Cameroun ? Quoi de plus commun !
[Tribune] Dis-donc ! Le Cameroun a la
première association des écrivains de l’Afrique subsaharienne. C’était
en janvier 1960. René Philombe. L’APEC, l’Association des Poètes et
Écrivains camerounais que l’intelligence des enfants du pays créa le
même jour que l’indépendance, a fonctionné comme une église, persécutée
tel un syndicat de malfaiteurs jusqu’à s’éteindre finalement dans les
années 90, à l’heure même où partout en Afrique, la chute du mur de
Berlin, l’éclatement du bloc soviétique et la fin de la guerre froide
faisaient trembler les dictatures les plus impérieuses…
René Philombe aura été l’infatigable le plus remarquable
de cette époque. Paralysé, emprisonné, persécuté et malmené par les
contraintes du métier qu’il avait lui-même choisies, le rassembleur de
la première anthologie des poètes camerounais ne se s’est jamais laissé
acheter par la dictature affreuse du régime Ahidjo. Refusant de vendre
la conscience publique de l’APEC aux applaudissements, Philombe et ses
amis repoussèrent si longtemps l’argent de la dictature qu’ils durent
s’éteindre dans le silence le plus complet.
Aujourd’hui, après trente années d’enseignement à l’École
Normale Supérieure de Yaoundé, Patrice Kayo, fidèle compagnon et ami de
lutte de Philombe, raconte aisément ces années de galère, lui qui, comme
bien de ses amis, a été condamné pour avoir écrit un poème aux martyrs.
Bannis plus tard de son village dans l’ouest Cameroun pour avoir écrit Lettre ouverte à un roi Bamiléké
(1984), Kayo avait d’abord vu quelques cinq mille exemplaires de son
livre achetés par les riches de Badjoun et brûlés pour éviter «
l’intoxication » des jeunes de son village.
Il faut pourtant le dire. À côté de ces scènes cocasses et tristes existaient un Prix littéraire portant le nom du président Ahmadou Ahidjo, comme il existe toujours, aujourd’hui, partout en Afrique, des écrivains du pouvoir.
Il faut pourtant le dire. À côté de ces scènes cocasses et tristes existaient un Prix littéraire portant le nom du président Ahmadou Ahidjo, comme il existe toujours, aujourd’hui, partout en Afrique, des écrivains du pouvoir.
Un écrivain arrêté dans ce pays-là, c’est donc la chose la plus commune.
D’ailleurs, qui n’est pas oppressé par le désir de parler dans ce pays ?
D’écrire ? La littérature carcérale du Cameroun est l’une des plus
diversifiée. Elle compte les « parts de vérité » des politiciens tels
que M. Hamidou Yaya, Urbain Olanguena Awono pour ne citer que ceux-ci.
Elle compte les méditations de prison et les poèmes d’Enoh Meyonmesse,
qui s’est totalement converti à la littérature, alors qu’il purge encore
l’exil !
Un écrivain dans les mailles de la police judiciaire ?
Transféré à Kondengui, à la prison centrale ! Ce n’est pas ce qui étonne
dans ce pays-là où même le journalisme est mort, étouffé par la faim et
la corruption. L’étonnement n’est donc point là car il faudrait rouvrir
les pages de l’Histoire. Refaire l’enquête d’Engelberg Mveng, de John
Francis Shady Eone et de tous les poètes assassinés ! Écrire dans ce
pays-là, c’est raboter gentiment – comme disait Jean-Claude Awono – son
cercueil, afin que la mort soit plus douce.
Dans ce pays-là, les choses sont pourtant si bien faites qu’on éteint le livre alors que l’écrivain vit encore
Un écrivain-détenu. Qui publia pendant longtemps, tout un
roman dans le journal de Puis Njawé ! Faut-il rouvrir l’enquête ?
L’arrestation de Nganang n’est pas une tragédie dans ce pays-là. Le
drame n’est pas son arrestation. Le désastre, c’est le verrouillage
systématique de la chaîne du livre ! C’est l’enferment intelligent et
sur-mesure de l’Art dans les livres. C’est le silence des morts, la
parole de Birago Diop traînée le long des caniveaux. Dans ce pays-là, un
écrivain finit comme une bougie, et on n’en parle plus. Mongo Béti est
le totem qui confirme la règle. Dans ce pays-là, on arrête un écrivain
comme on arrête une chèvre. Avec toutes ses attributs et toutes ses
idées. On l’éteint dans la nuit de la barbarie, et la vie continue.
On devrait pouvoir arrêter l’écrivain sans arrêter la lecture de sa production.
Dans ce pays-là, les choses sont pourtant si bien faites qu’on éteint
le livre alors que l’écrivain vit encore. Car, il faut le dire :
l’outrage au président de la République ne commence pas ici. Il faut
lire Le principe dissident, édité là-bas même à Yaoundé, lire L’invention du beau regard, Temps de chien, L’article 53 et La République de l’imagination,
etc. L’outrage au président de la République, si elle existe, se trouve
là ! Ces livres ne sont pourtant pas interdits au Cameroun comme fut
interdit Revenge Porn. Ces livres ne circulent pourtant pas.
Écrire dans ce pays-là, c’est reconnaître chaque matin, en
lisant les unes de la presse, que le système est plus fort que
l’écrivain. Que la nuit qui approche n’est pas une chanson nouvelle,
qu’elle n’apporte rien, car le soleil d’aujourd’hui marche sur les
traces anciennes. Il finit sa course au même endroit, derrière une
montagne d’ordures. Écrire dans ce pays-là, ce n’est plus éditer des
livres. Les livres sont des paroles de chiens. Ils aboient sans arrêter
la caravane.
par
Raoul Djimeli
Raoul
Djimeli est écrivain, journaliste culturel au Cameroun et président de
l’African Festival of Emerging Writers. Il est aussi chercheur en
littératures africaines.
Source: Jeune Afrique