
OPINION. Ces chiffres racontent l'histoire du déclin macro économique de
l'Union Européenne qui
se retrouve dans une spirale. Par Michel Santi,
économiste (*).
Le manque de réactivité de nos politiques publiques, suite à la crise
financière, ont provoqué une compression des importations ayant conduit
les membres de l'euro les plus touchés à voir leur balance des
paiements devenir excédentaire alors que celle-ci était en déficit
précisément grâce à leurs importations. A son tour, ces excédents
soutiennent la valeur de la monnaie unique qui étouffe la croissance...
Le fait est que les QE (baisses de taux quantitatives) ont eu peu
d'effets sur la croissance européenne. En réalité, la politique
monétaire de la BCE n'a pas vraiment eu les effets escomptés, car c'est
principalement à la Chine que l'Europe doit ses quelques bonnes
statistiques. La croissance européenne ne réagit pas comme prévu en 2015
et en 2016 - qui furent les deux premières années des QE -, car le
commerce mondial évolua au taux anémique de 3%. Comme l'Europe est
fortement dépendante pour sa survie de ses exportations, ce n'est qu'à
la faveur des stimuli chinois que sa croissance put se rétablir à des
niveaux décents en 2017, et pour cause, car le commerce mondial put
croître cette même année de 5%. Autrement dit, alors qu'il est tentant
d'attribuer l'amélioration de la croissance européenne de 2017 aux QE,
c'est aux effets bénéfiques de la reprise du commerce mondial que notre
continent fut redevable de son embellie. Toutes choses étant égales par
ailleurs, c'est le «deleveraging» des chinois et les angoisses de
vulnérabilité extrême de leur système financier qui pèsent désormais sur
le commerce mondial et qui ralentissent en toute logique notre déjà
faible croissance.
Dans ce contexte, l'arrêt annoncé de ses
QE par la BCE aura pour conséquence la hausse des taux d'intérêt que
bien des nations européennes ne pourront assumer, du fait de taux réels
élevés qu'elles subissent déjà, d'une très faible productivité, et enfin
d'un euro qui ira en s'appréciant alors que son niveau réel est
aujourd'hui plus élevé que lors du lancement des QE !... Les pays les
plus fragilisés de la zone euro devront à nouveau dépendre des seuls
marchés financiers pour être en mesure de se financer, et ce dès cette
année qui sera donc marquée par l'interruption du Programme spécial de
la BCE. Mario Draghi a beau assurer que son établissement dispose des
«instruments» pour combattre une éventuelle et énièmes récessions, il
n'en reste pas moins que - sous sa forme actuelle - l'Euro est
l'héritier direct de l'étalon or. Le vice de forme congénital de l'euro
est que l'Union est comme paralysée, car elle n'a nul Plan B lorsque sa
politique monétaire est peu ou pas efficace. Comme la puissance de feu
de la BCE ne semble avoir produit que peu d'effets pour diverses raisons
que nous ne développerons pas ici ( trop peu, trop tard, etc...), la
logique voudrait que ce soit la politique budgétaire et fiscale qui en
prenne le relais...mais c'était compter sans cette phobie des déficits
qui tétanise littéralement les dirigeants européens.
La
théorie selon laquelle un déficit public élevé neutralise
l'investissement privé en exerçant une pression haussière sur les taux
d'intérêt n'est en effet pas à prendre en considération dans un contexte
de «zero lower bound», c'est-à-dire de taux nuls comme ceux que l'on a
actuellement. Et il est possible d'agir sur la relance de la
consommation qui, elle, peut très efficacement propulser les
investissements privés. Bref, les préoccupations macro-économiques
légitimes relatives aux déficits publics élevés ne sont plus d'actualité
dès lors que le plancher du taux 0 est atteint, sachant que tout bon
stimulus budgétaire et fiscal est par définition provisoire. En outre,
cette position intransigeante par rapport aux déficits est peu
compréhensible lorsque les dettes publiques sont émises dans la monnaie
de l'emprunteur : en d'autres termes lorsque le pays est réellement
souverain, car il émet en toute liberté sa propre monnaie, comme pour
l'Union européenne, la Grande-Bretagne ou le Japon. À moins que cette
démarche consistant à viser l'équilibre budgétaire parfait ne soit une
nouvelle tentative de rétrécir encore et toujours les prérogatives de
l'État ?
Les divers gouvernements européens s'en
lavent donc quasiment les mains et semblent compter quasi entièrement
sur la BCE pour atteindre des seuils d'inflation compatibles avec une
croissance saine et pérenne. C'est comme s'ils avaient délégué leurs
pouvoirs à la BCE qui est tout au plus capable de lisser et d'atténuer
les récessions, car les banques centrales ne sont que rarement en mesure
de relancer la croissance par la seule activation du levier de leurs
taux. Instrument extrêmement puissant et dont on ne peut se passer, la
politique monétaire n'est toutefois pas suffisamment puissante pour agir
efficacement toute seule, c'est-à-dire en l'absence des renforts et du
soutien des politiques budgétaires. Les stabilisateurs automatiques, la
baisse du chômage et une meilleure régulation financière sont plus
efficients qu'une politique monétaire appliquée par une banque centrale.
En outre, il est indéniable que la politique monétaire de nos banques -
qui a de facto été la seule variable d'ajustement ces dernières années -
a largement contribué à créer un nouveau monstre tant les valorisations
boursières semblent irréalistes ! Ce faisant, les banques centrales ont
fait des gagnants et des perdants, ce qui est normalement du ressort
exclusif des politiques. Seuls les exécutifs politiques sont donc
responsables de cette situation tout aussi inédite que déplorable où les
taux d'intérêt des nations occidentales sont poussés en deçà du zéro -
en territoire négatif - afin de pallier aux déficiences de politiques
timorées. La politique monétaire a donc logiquement pris le relais de la
politique - de la vraie -, car les banquiers centraux n'ont pas eu
d'autre choix. La toute-puissance actuelle des banques centrales ne
révèle donc que l'échec patent de nos politiques, comme elle reflète par
ailleurs l'incapacité des marchés financiers de se passer de leur dose
désormais régulière de shoot monétaire.
En résumé,
les banquiers centraux ont été forcés de sortir de l'ombre pour assumer
des responsabilités qu'ils n'ont jamais demandées mais auxquelles
d'autres se sont dérobés. De prêteurs en dernier ressort, les banquiers
centraux sont devenus des prêteurs en premier ressort ! Toujours est-il
que nos banques centrales se sont fort bien débrouillées durant la crise
financière - je veux dire eu égard à leur solitude extrême - et en
l'absence d'appui émanant de politiques budgétaires appropriées. Pour
autant, comme nos démocraties ne peuvent se satisfaire de l'omnipotence
de personnages non élus, nos femmes et nos hommes politiques doivent
prendre leurs responsabilités. Quoi qu'il en soit, vivant aujourd'hui
une époque où les populistes ne cessent de stigmatiser les experts,
c'est bien à ceux-ci, et c'est bien à la BCE, que nos nations
européennes doivent d'avoir tangué violemment, sans pour autant couler,
durant la crise financière. Le recours direct au peuple a bien démontré -
parfois par l'absurde - à quel point il est problématique d'organiser
des référendums sur des sujets trop techniques. Il est donc temps de
réhabiliter les experts.
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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier "Fauteuil 37", préfacé par Edgar Morin. Sa page Facebook et son fil Twitter.
Il vient de publier "Fauteuil 37", préfacé par Edgar Morin. Sa page Facebook et son fil Twitter.