
Le 30 décembre 2019, l'opposant ivoirien Charles Blé Goudé a
été condamné par contumace à
vingt ans de prison par un tribunal
ivoirien. Des Pays-Bas, où il vit sous liberté conditionnelle, il lance
un appel au président Ouattara.
RFI : Vous êtes condamné à 20 ans de prison. Quelle est votre première réaction ?
Charles Blé Goudé : Je suis carrément dans un état de surprise,
parce qu’on me condamne par contumace et pourtant, je ne suis ni en
fuite, ni introuvable. Je ne refuse pas de me présenter devant la
justice de mon pays. Les autorités de mon pays savent où je suis puisque
je suis devant la CPI [Cour pénale internationale] par leur volonté de
me voir juger pour des faits postélectoraux. J’ai donc été acquitté. La
procédure est encore en cours et à la surprise générale, on me condamne
pour les mêmes faits dans mon pays. Cette instrumentalisation de la
justice ridiculise le pouvoir en place et infantilise la justice. C’est
malheureux pour la Côte d’Ivoire qu’on distribue comme ça des
condamnations, des mandats d’arrêt, comme si c’était le petit cadeau de
Noël que le chef d’État ivoirien voulait nous offrir.
Vous
dites que vous êtes condamné pour les mêmes faits [que ceux examinés
par la CPI]. La justice ivoirienne affirme que non. Elle vous reconnaît
coupable de « complicité de meurtres, de coups et blessures volontaires,
de violence et de voies de fait » pendant la crise 2010-2011…
Tout le monde a suivi le procès ici à la CPI. On
parlait des violences postélectorales, on parlait des barrages, on
parlait des meurtres. Il faut éviter de jouer avec la justice, de
l’instrumentaliser à des fins politiciennes, pour un agenda que tout le
monde voit, surtout dans une année électorale comme 2020. Je trouve que
ce à quoi nous assistons est un signe extérieur de fébrilité. Et tout le
monde est traumatisé, tout le monde a peur. Cela ne donne pas confiance
pour les mois à venir, pour les années à venir. Nous, nous voulons un
pays calme.
Mais les ONG internationales n’ont-elles pas
dit que vous étiez l’un des principaux acteurs de la montée des
violences dans la Côte d’Ivoire des années 2010-2011 ?
Tous
les responsables des ONG ont défilé ici à la CPI. Et c’est au vu de ce
qu’ils n’ont pas pu apporter de preuves que j’ai été acquitté. Alors en
moins d’une journée, un procès a lieu en Côte d’Ivoire, et je suis
condamné. Là où il y a eu des procédures pendant plus de 5 ans à la CPI.
Aucun témoin ne défile à la barre en Côte d’Ivoire. Eux me condamnent.
Où sont les victimes qui ont défilé devant la justice ? C’est honteux
tout ça.
Pour vous, le dossier est vide. Mais n’avez-vous pas été sanctionné par les Nations unies en 2006 pour « direction et participation à des actes de violences commises par des milices de rue » ?
Pour
votre information, ces sanctions ont été levées avant même que je ne
sois acquitté. Les sanctions dont vous parlez ont été levées.
Et
quand le procureur général près la cour d’appel d’Abidjan réfute tout
agenda politique dans le procès qui vous a été fait, comment
réagissez-vous ?
Je lui dis bien :
monsieur le procureur, c’est vous-même qui m’avez transféré à la CPI
pour des faits postélectoraux. Les faits pour lesquels vous me
poursuivez à Abidjan, sont-ils différents des faits pour lesquels je
suis poursuivi ici à la CPI ?
Est-ce une décision de justice ou est-ce autre chose à vos yeux ?
Mais
c’est tout sauf une décision de justice. C’est une décision politique
qui revêt un vernis judiciaire, la stratégie du pouvoir est sue de tous.
Écarter toutes les personnalités politiques en Côte d’Ivoire qui sont
des adversaires redoutables pour le pouvoir, il faut donc les éloigner
au maximum.
Est-ce qu’il y a un rapport entre la
condamnation de Laurent Gbagbo, au début de novembre, à 20 ans de prison
et votre propre condamnation ?
Mais
bien sûr. Le président Laurent Gbagbo, c’est un adversaire redoutable,
c’est quelqu’un qui aujourd’hui compte en Côte d’Ivoire. Charles Blé
Goudé, qui vient d’être condamné à 20 ans, c’est quelqu’un qui compte en
Côte d’Ivoire. Alors cette distribution de condamnations comme des
petits bonbons ne rassure pas. Moi, je voudrais inviter le chef de
l’État ivoirien à nous rejoindre dans le processus de paix. Il ne faut
pas qu’il affiche une fébrilité qui humilie la Côte d’Ivoire. Il faut
qu’il nous rejoigne. Il faut qu’il accepte que des compétitions aient
lieu. Il a dénoncé hier l’utilisation de la justice, il passe champion
aujourd’hui dans l’utilisation de la justice.
Quand vous dites « il a dénoncé hier ». Vous faites référence à quelle époque ?
Nous
étions en 1995 quand, après la mort de Houphouët-Boigny, Alassane
Ouattara a quitté le pays. Il a dit qu’on l’empêchait d’être candidat
dans notre pays parce qu’il est musulman et que la justice est utilisée
contre sa personne. Je suis surpris que c’est ce monsieur-là qui,
aujourd’hui, au lieu d’établir un État démocratique tout à son honneur,
passe son temps à instrumentaliser la justice pour satisfaire son agenda
politique.
Vous souhaitez toujours une table ronde. Mais
comment appeler au dialogue quand on est comme vous sous le coup d’un
mandat d’arrêt ?
Tout dépend du
gouvernement de Côte d’Ivoire. Si tel est que nous recherchons la paix,
mais d’un claquement de doigts, le président Alassane Ouattara a le
pouvoir de nous réunir nous tous pour que nous puissions en discuter.
N’est-il pas vrai qu’il y a eu une table ronde à Marcoussis et que les
Ivoiriens ont quitté Abidjan pour venir se réunir en France ? Nous
étions en 2003. Aujourd’hui que Laurent Gbagbo, que Charles Blé Goudé
sont ici en Europe, pas de leur fait, si le président Ouattara veut
vraiment discuter, il sait comment nous réunir. Et moi, je le supplie,
je lui lance encore cet appel de réunir les acteurs politiques ivoiriens
pour vider le dossier postélectoral. Il faut éviter de remuer le
couteau dans une plaie à peine cicatrisée.
Lors de votre précédente interview à RFI, vous disiez : « Je ne suis pas un Hollandais. Ma place est en Côte d’Ivoire ».
Mais aujourd’hui que vous ne pouvez plus rentrer dans votre pays,
est-ce que votre horizon politique n’est pas en train de s’obscurcir ?
Non,
non… J’ai foi en mes idées, donc je ne suis pas pressé. Bien au
contraire. Moi, j’ai le temps, j’ai beaucoup de temps. Je suis un
instrument de paix. Et cette condamnation ne m’empêchera pas du tout de
continuer sur cette voie que j’ai choisie librement.
Et en attendant votre retour, allez-vous soutenir un candidat pour la prochaine présidentielle en octobre prochain ?
On n’en est pas encore là. Mon parti aura l’occasion de se réunir et rendra publique sa décision.
Oui, mais votre frère ennemi, Guillaume Soro, a conclu un accord politique avec Henri Konan Bédié…
Ça, c’est Guillaume Soro. Je suis Charles Blé Goudé.
Un accord avec Henri Konan Bédié, est-ce possible ?
Un
accord avec les acteurs politiques dont j’aurai pris le temps d’étudier
leur projet politique qui épouse ma vision sociétale. C’est seulement à
ce prix-là que je pourrai soutenir quelqu’un.
En août 2019, vous avez rencontré des délégués du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) à La Haye…
Bien
sûr qu’ils sont venus m’apporter leur soutien dans la situation dans
laquelle je me trouve. Et nous ne sommes pas encore à un stade de
soutenir un candidat.
Il y a un mois, vous avez rencontré
Guillaume Soro, votre frère ennemi. C’était une première depuis 2010.
Qu’est-ce qui vous rapproche, est-ce le combat commun contre Alassane
Ouattara ?
Jamais je ne me mettrai dans
un combat contre un individu. J’ai décidé de rencontrer tous les acteurs
politiques de la Côte d’Ivoire pour que nous parlions de paix. On peut
se rencontrer pour se parler, on n’est pas toujours d’accord. Guillaume
Soro est venu. Nous nous sommes expliqué, nous nous sommes parlé. Sa
candidature n’était pas à l’ordre du jour de notre rencontre. Ce qui
était à l’ordre du jour, c’était la paix dans notre pays. Il fallait le
vider, ce dossier-là. Nous avons parlé. Nous nous sommes compris. Et
pour le moment, je ne rends pas officiel ce que nous nous sommes dit.
Le mandat d’arrêt lancé contre Guillaume Soro pour « complot contre l’État ivoirien ». Qu’en pensez-vous ?
C’est
ce que le gouvernement ivoirien a dit. L’affaire étant aux mains de la
justice, il faut laisser la justice faire son travail. Je n’ai pas pour
moi à m’immiscer dans une affaire judiciaire.
Donc, ce que
vous dites, c’est que les faits qui vous sont reprochés sont faux, mais
que les faits qui sont reprochés à Guillaume Soro sont peut-être vrais ?
Je
n’ai pas encore dit cela. Ce n’est pas moi qui dis que les faits qu’on
reproche à Guillaume Soro sont vrais. C’est le travail de la justice de
le dire. En ce qui me concerne, la Cour pénale internationale a conclu
que cela n’était pas vrai. Et j’ai été acquitté. Voilà en ce qui me
concerne. Pour Guillaume Soro, il faut laisser la justice à un moment
donné dire ce qu’il en est.
Concrètement, maintenant que vous avez ce mandat d’arrêt lancé contre vous par la justice ivoirienne, qu’allez-vous faire ?
Je
vais m’entretenir avec mes avocats dès cet après-midi et dès samedi, je
ferai une déclaration publique pour dire au monde entier ce que je
compte faire. En attendant, je dénonce le harcèlement judiciaire.
Par
Christophe Boisbouvier
RFI

