En éliminant en Irak le général iranien Qassem Soleimani, le
président américain Donald Trump
a profité d'un contexte local qu'il
estimait favorable tout en jouant sur la corde patriotique dans le cadre
de sa campagne pour la présidentielle de 2020.
Une frappe chirurgicale aux lourdes conséquences pour le Moyen-Orient. En assassinant le général iranien Qassem Soleimani vendredi 3 janvier, les États-Unis ont pris le risque de déclencher une déflagration diplomatique et militaire dans la région.
Selon un communiqué du Pentagone, l'opération a été menée sur ordre de Donald Trump lui-même. Pourquoi le président américain a-t-il pris ce risque pouvant mener à la guerre ?
Le
chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a affirmé vendredi que
le responsable iranien préparait une "action d'envergure" menaçant des
"centaines de vies américaines". "Nous savons que c'était imminent",
a-t-il insisté, précisant que la décision américaine avait été prise
"sur la base des évaluations" des services de renseignement.
Le
ministre américain de la Défense, Mark Esper, avait par ailleurs prévenu
la semaine passée que la mort d’un sous-traitant américain dans une
attaque à la roquette sur une base de Kirkouk, attribuée à une faction
pro-iranienne, avait "changé la donne". Tout comme l'attaque de l'ambassade américaine à Bagdad.
"Washington
a vu dans l'attaque contre son ambassade" – qui a pris fin un peu plus
de 24 heures après son déclenchement sur ordre direct du Hachd
al-Chaabi, coalition de paramilitaires pro-Iran intégrés à l'État
irakien – "comme une menace réelle plutôt que comme un signal de
dissuasion iranien", analyse Ramzy Mardini, de l'Institute of Peace,
interrogé par l'AFP
Un contexte régional mal évalué ?
Pour
Ramzy Mardini, le raid contre Qassem Soleimani est "très probablement
le résultat d'une mauvaise appréciation" de la situation en Irak.
Depuis le 1er
octobre, une vague de manifestations agite le pays. Les protestataires
sont engagés dans un bras de fer avec la classe politique, jugée
corrompue et à la solde de l’Iran. Un rejet de l'influence iranienne qui
a pu jouer un rôle dans la décision de Donald Trump et de son
administration, qui espérait capitaliser sur un éventuel soutien de la
population après son action.
Le secrétaire d'État américain, Mike
Pompeo, a d'ailleurs publié vendredi sur Twitter une vidéo montrant ce
qu'il présente comme des Irakiens "dansant dans la rue" pour célébrer la
mort de Qassem Soleimani.
"Des Irakiens – des Irakiens
– dansant dans la rue pour la liberté; reconnaissants que le général
Soleimani ne soit plus", a ainsi tweeté Mike Pompeo pour accompagner une
vidéo montrant une foule courant le long d'une route en brandissant des
drapeaux et des banderoles.
Un pari manqué ?
Malgré
tout, ce tweet ressemble à un vœu pieux de l'administration américaine.
En faisant rouler les tambours de la guerre face à Téhéran, Washington
n'a pas réussi à s'attirer les sympathies de la classe politique
irakienne, divisée sur l'Iran. Au contraire, elle l'a obligée à se
serrer les coudes.
Alors qu'il y a quelques jours encore ils
s'affrontaient politiquement, "le grand ayatollah Ali Sistani, Moqtada
Sadr, l'armée irakienne, le Premier ministre et même des manifestants
antipouvoir ont condamné" le raid américain, souligne Fanar Haddad,
expert de l'Irak à l'Université de Singapour. "Certains s'imaginent que
vendredi a coupé les ailes de l'Iran en Irak : c'est le contraire qui
est le plus probable."
"La rhétorique de l'anti-américanisme est de retour", assure pour sa part à l'AFP Renad Mansour, analyste pour Chatham House.
Le
ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a
affirmé sur Twitter que "l’acte de terrorisme international des
États-Unis, ciblant et assassinant le général Soleimani, est une
escalade extrêmement dangereuse et imprudente". "Les États-Unis subiront
toutes les conséquences de leur aventurisme voyou", a-t-il prévenu.
Une arrière-pensée électorale ?
Mais
pour comprendre pourquoi Donald Trump a décidé de frapper aujourd'hui
l'un des plus hauts responsables de l'armée iranienne, considéré comme
un terroriste, il faut aussi prendre en compte le contexte politique
intérieur aux États-Unis.
L'année 2020 est une année particulière
: Donald Trump briguera en novembre prochain un second mandat de quatre
ans, et il est d'ores et déjà en campagne.
L'un des points faibles
du président américain reste son bilan international. Un bilan maigre :
tensions avec l'Iran, guerre commerciale avec la Chine, détente aux
résultats contestés avec la Corée du Nord, isolationnisme…
La
communication autour de la frappe en appelle au patriotisme américain et
à la rhétorique guerrière. Selon Donald Trump, il a fait ce que ses
deux prédécesseurs auraient pu faire mais n'ont pas osé. Et difficile
d'être moins subtil que le drapeau américain tweeté par l'hôte de la
Maison Blanche juste après les frappes.
"Il reprend la stratégie
de Ronald Reagan en 1984, en disant : 'Je suis l'Amérique, et tous ceux
qui sont contre moi sont contre les États-Unis.' Il essaie d'installer
le clivage entre le parti américain et le parti non américain", estime Corentin Sellin, spécialiste des États-Unis, interviewé par Le Parisien.
"Surtout,
il est persuadé que son adversaire démocrate sera Joe Biden",
renchérit Jean-Éric Branaa, un autre spécialiste des États-Unis dans 20 minutes.
"Or, la force de cet adversaire, c’est sa posture internationale, lui
qui a été commandant en chef sous Barak Obama. Sur ce dossier, Donald
Trump ne peut plus reculer et doit aller au bout de son idée."
Quoi
qu'il en soit, la frappe du président américain gêne les démocrates,
qui ne peuvent se permettre d'apparaître comme des défenseurs de Qassem
Soleimani.
"Il ne faut pas donner l'impression de pleurer sa mort.
Cela peut devenir une arme politique s'il y a l'escalade que tout le
monde présage", explique Corentin Sellin sur Franceinfo.
Les
démocrates tentent donc de contester prudemment la légalité de la
frappe. Mais l'attaque américaine apparaît comme une frappe ciblée et
non, du moins formellement, une déclaration de guerre. Le président
américain, commander in chief, pouvait donc se passer d'un accord du
Congrès, estime Corentin Sellin.
Cependant, deux archives qui ont
resurgi risquent de mettre à mal la stratégie du président américain. En
novembre 2011, un an avant l'élection présidentielle qui avait vu la
réélection de Barack Obama, il avait écrit sur Twitter : "Afin d'être
élu, Barack Obama va commencer une guerre avec l'Iran." Avant de
renchérir, un an plus tard à quelque jours du vote : "Ne laissez pas
Obama jouer la carte de l'Iran pour commencer une guerre afin d'être
élu. Attention, les républicains !"
Attention les démocrates ?
Romain HOUEIX
Par France24

