Cameroun : en zone anglophone, une nouvelle rentrée scolaire dans la peur

En octobre 2020, la Mother Francisca International Bilingual School, à Kumba, avait été la cible d’une attaque ayant fait sept morts. 
Deux enseignants tués, une journée « ville morte » suivie… Le premier jour de classe a été une fois de plus entravé dans cette partie du pays plongée dans un conflit armé depuis 2017.


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Lundi 4 septembre était jour de rentrée scolaire au Cameroun. Mais à Bamenda, capitale de la région anglophone du Nord-Ouest, les rues sont une fois de plus restées désespérément vides. « Je suis à la maison. Tout le monde est à la maison. L’insécurité est toujours aussi élevée dans la région, souffle au téléphone Semma Valentine, le secrétaire général exécutif de la Cameroon Teachers’Trade Union, l’un des plus influents syndicats d’enseignants. Ce lundi était une journée “ville morte” et presque tout le monde l’a respectée. La situation n’a pas changé ici. »

Depuis 2017, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, les deux régions à majorité anglophone, sont plongés dans un conflit armé entre les séparatistes et l’armée camerounaise. Pris en étau entre les deux camps, les civils paient le prix fort. D’après l’organisation International Crisis Group (ICG), plus de 6 000 personnes ont été tuées depuis le début de la guerre et plus de 700 000 autres se sont réfugiées dans les régions francophones et le Nigeria voisin.

« Par ailleurs, les séparatistes prennent fréquemment pour cible des enseignants, des élèves et des écoles, les accusant d’être les tenants d’une éducation imposée par le pouvoir central », note Amnesty International dans un rapport paru en juin. De fait, la crise a débuté en 2016 par des revendications corporatistes des avocats et des enseignants. A l’époque, ces derniers dénoncent la « francophonisation » du système éducatif. Réprimés par les autorités, ces leaders modérés ont été arrêtés et emprisonnés, ouvrant la voie aux militants anglophones plus radicaux.

Coups de feu

Depuis, l’éducation a été durement affectée. Des centaines d’écoles ont été attaquées. Des centaines d’élèves et enseignants ont été torturés ou enlevés. Certains ont été tués. Pour cette rentrée scolaire 2023-2024, si une minorité de groupes sécessionnistes encourageaient les parents à envoyer leurs enfants à l’école, l’écrasante majorité leur donnait l’ordre de ne pas le faire.

Et comme c’est le cas depuis le début du conflit, lundi était une journée « ghost-town » (« ville morte »). D’après les autorités, le mouvement a été suivi dans de nombreuses localités anglophones. « Les lundis sont difficiles, soupire Roland Ngwang, le délégué régional de l’éducation de base pour le Nord-Ouest. Ce n’est que mardi que nous aurons une image claire de la rentrée scolaire. » Il assure néanmoins que 9 000 élèves ont repris le chemin des cours dans la région. En prévision de cette nouvelle journée « ville morte », les établissements catholiques ont fait leur rentrée dimanche.

« L’école n’a pas repris » lundi, avoue de son côté Ali Anougou, sous-préfet à Kumba. Dans cette ville du Sud-Ouest, les habitants se sont réveillés avec des coups de feu alors que des séparatistes attaquaient un barrage des forces de sécurité. D’après M. Anougou, les tirs des « terroristes sécessionnistes » ont mortellement atteint une jeune fille qui vivait dans le voisinage. L’incident a ravivé d’atroces souvenirs au sein des populations.

Le 24 octobre 2020, des hommes armés avaient pris d’assaut la classe de 6e de la Mother Francisca International Bilingual School, un établissement secondaire privé de Kumba, tuant sept élèves âgés de 9 à 12 ans et en blessant douze autres. L’attaque, jamais revendiquée, associée aux kidnappings et assassinats d’enseignants, a depuis poussé de nombreux parents à déscolariser leurs enfants.

Rapts et rançons

Pour cette rentrée comme les précédentes, le gouvernement a pourtant annoncé avoir mobilisé des forces de défense et de sécurité afin de protéger les établissements, les élèves et les enseignants.

Mais « à Bamenda, en dehors d’un rayon de trois kilomètres, le reste de la région est totalement en insécurité », insiste Semma Valentine. Selon lui, deux enseignants ont été tués dans le Nord-Ouest, dimanche, par des hommes armés. « Ils rentraient d’une réunion avec le responsable de l’éducation de base de leur localité », relate le syndicaliste.

Depuis 2017, plus de 160 enseignants ont été tués dans les régions anglophones, assure-t-il. « L’année dernière, 23 enseignants ont été tués et 58 ont été attaqués ou enlevés », détaille M. Valentine, qui a lui-même échappé à un rapt deux mois plus tôt. « Le kidnapping est monnaie courante pour nous les enseignants », confie-t-il, précisant que les familles paient d’importantes rançons pour leur libération.

Cette situation a poussé de nombreux éducateurs à déserter les salles de classe dans ces zones en conflit. Les autorités camerounaises, elles, menacent de radier les absentéistes.

Par (Douala, correspondance)

Source: Le Monde