© François Roelants / Maquillage : Delphine Sicard. Coiffure : Cécile pour Alexandre de Paris. Stylism... Claire Chazal : "Changer de vie a été un vrai choc" 

 Celle qui a passé ses week-ends à courir derrière l’actualité pendant vingt-quatre ans a découvert la joie de flâner, et la poésie du dimanche. Les coups durs, comme les coups bas, l’ont marquée. Mais Claire Chazal n’est pas femme à cultiver l’amertume. A la veille de ses 60 ans, cette battante a dû apprivoiser sa solitude et profite de ce qu’elle nomme aujourd’hui « sa liberté ».
Paris Match. Un an déjà depuis votre brutale éviction de TF1. Vous semblez aller bien ?
Claire Chazal. C’est vrai que changer de vie a été un choc, mais je l’ai fait. Même si j’ai traversé des moments compliqués,  eu de gros coups de cafard, j’avais les ressources nécessaires pour avancer. Vivre l’actualité quotidienne à l’intérieur d’une rédaction m’a manqué, cet univers était aussi ma famille. Mais j’ai trouvé un nouvel équilibre et je peux dire aujourd’hui que je vais bien, même très bien…

Cette même année, vous avez cumulé les bouleversements en perdant également votre mère. Comment l’avez-vous vécu ?
Même si la perte des parents est inévitable, on n’est jamais totalement prêt… Le cours de la vie, c’est aussi l’émancipation de ses enfants, et François a quitté la maison aussi cette année. En quelques mois, j’avais perdu tous mes repères. Heureusement, on peut trouver des ressources en soi en se consacrant à ce que l’on aime. C’est ce que j’ai eu la chance de faire grâce à ma nouvelle émission sur France 5, “Entrée libre”.
Vous souvenez-vous de votre premier week-end sans JT ?
Très bien. C’était justement le jour où François, mon fils, quittait définitivement la maison. Un vrai bouleversement. Il a fallu se réapproprier le temps du week-end. A TF1, j’avais une équipe à laquelle j’étais très attachée. Mes plannings du samedi et du dimanche étaient remplis, c’était intense et, tout d’un coup, le vide. Cette adrénaline à laquelle mon corps s’était habitué avait disparu. Il a fallu faire face à un sentiment d’inutilité qui n’a pas forcément été facile. Je me suis trouvée face à moi-même, ce qui est toujours enrichissant…
Comment décririez-vous ce que vous ressentiez ?
Cela n’a pas été linéaire, rectiligne… Forcément, quand l’actualité a été intense, il a fallu que je trouve les ressources pour ne pas avoir un sentiment de manque trop aigu. Notamment au moment des attentats du 13 novembre. Parce que c’était un de ces temps forts que je connais si bien, que j’ai traité si souvent. Ma vraie place était au journal. Après, il y a d’autres événements, le Brexit, la campagne électorale pour la présidentielle, qui me passionnent. Cette année, qui s’annonce si puissante, je vais devoir la vivre loin des infos qui ont rempli ma vie si longtemps. Mais j’ai redécouvert les plaisirs d’une autre vie passionnante également… M’enrichir autrement et aussi apprécier le temps libre.
Vous les avez pourtant longtemps considérés comme inutiles, ces temps libres…
C’est vrai. Mais j’ai appris à apprécier la légèreté… Ça peut paraître étonnant mais je redécouvre les simples plaisirs de la vie… Pouvoir partir à la campagne, ce que je ne faisais plus, aller aux puces, au théâtre ou à l’Opéra en matinée. J’ai redécouvert le charme du dimanche, cette parenthèse un peu hors du temps. Finalement, je me suis installée dans un autre univers. Moi qui n’avais plus aucune vie sociale durant le week-end, je m’y suis remise. Peu à peu, je suis entrée dans ma nouvelle vie.

"La danse m’a beaucoup aidée. J’y consacre un rendez-vous quotidien"

Professionnellement, tourner la page s’est-il fait plus rapidement que vous ne le pensiez ?
J’ai continué Radio classique. Côté télé, je n’ai pas eu à subir longtemps l’inactivité. Très vite, on m’a sollicitée dans un domaine qui me plaisait : la culture. Michel Field, qui était le patron de la 5 à l’époque, m’a proposé l’émission que je présente à présent. Je me suis donc glissée modestement dans un magazine qui était formidable. Le rebond a été facile, même s’il faut s’adapter à une autre écriture. C’était une vraie chance.
Quand vous n’alliez pas bien moralement, à quoi vous raccrochiez-vous ?
Pour être honnête, j’ai une force qui fait que je n’ai jamais flanché… Dans les moments de moins bien, j’ai pu compter sur mes amis, je suis très entourée. La léthargie, ce n’est pas ma nature. J’ai fait des choses. Mon emploi du temps de la semaine n’a pas changé. La danse m’a beaucoup aidée. J’y consacre un rendez-vous quotidien. Depuis dix ans, l’équipe du cours que je fréquente est aussi un peu devenue une famille. Et, aujourd’hui, avec “Entrée libre”, mes semaines sont bien chargées…
Comment vit-on le changement de statut : passer de superstar, reine du 20 heures, à une exposition plus discrète ?
Je n’ai pas senti de changement dans le regard des autres, c’est un grand réconfort. Les gens me regardent de la même façon, me disent des choses gentilles quand je les croise, cela me touche. Je me dis que j’ai peut-être existé indépendamment de TF1. J’ose espérer avoir apporté quelque chose que les gens continuent à aimer. C’est ce qu’ils me témoignent et c’est très important pour moi.
L’éviction de la chaîne a été plus qu’inélégante. A qui en voulez-vous ?
Je ne ressasse pas le passé, même si, évidemment, je n’oublie pas… J’ai gardé des amitiés fortes dans la chaîne, et je regarde devant…
La culture à la télévision est-elle un sujet prioritaire ?
Proposer tous les jours un éventail culturel très varié, sur un mode grand public, en restant exigeant, c’est très précieux, unique en France et, peut-être, en Europe. Je suis heureuse d’inciter à lire, à aller au cinéma, au théâtre, à aller voir de la danse ou écouter de la musique.

"J’ai redéfini ma vie matériellement, en restant très privilégiée"

Ressentez-vous moins de pression aujourd’hui sur France 5 ?
L’adrénaline du direct était très stimulante. Elle me manque. J’ai pu y goûter à nouveau quand j’ai présenté les “Victoires de la musique classique”, cette grande soirée musicale, sur France 3. Dans “Entrée libre”, qui est une émission enregistrée, tout est différent. On privilégie les images, le travail des journalistes qui font découvrir des pans très divers de la culture sans aucune dimension promotionnelle. De mon côté, j’essaie de mettre ce travail en valeur, le mieux possible. Nous sommes loin d’une émission polémique. Peu de promo. On a juste envie de donner envie aux gens… Après, on s’évade. En général, les artistes sont assez heureux. Cela donne de beaux moments.
J’imagine que votre salaire a changé sur le service public…
Ça, c’est sûr. Je gagne quatre fois moins ! Mais je fais ce que j’aime. J’ai redéfini ma vie matériellement, en restant très privilégiée. Ce n’est pas très grave. On s’amuse. J’aime transmettre ma passion, et je peux donner mon avis. Ma vie est plus légère aussi, c’est agréable. Plus doux.
Votre maman était très cultivée. Ne regrettez-vous pas qu’elle ne puisse vous voir dans ce programme ?
Même si, évidemment, j’aurais adoré partager cette nouvelle aventure avec mes parents, savoir qu’ils n’ont pas vécu la violence de mon départ est une forme de soulagement… Ils auraient été terriblement malheureux.
Pendant ces moments pénibles, avez-vous eu recours à un psy ?
Cela m’est arrivé, à certains moments un peu cruciaux de ma vie. Pas de thérapie longue, mais ponctuelle. Surtout récemment, quand il y a eu une conjonction d’événements lourds. Je ne sais pas si cela m’a aidée, mais je ne m’interdis pas d’y retourner.

"Je vais avoir 60 ans, je ne vais pas vous faire croire que ça me rend folle de joie…"

Avez-vous beaucoup échangé avec François, pendant cette période ?
Oui, pas mal, évidemment. Je ne lui ai rien épargné. Il a vécu cette éviction deux fois, l’une avec Patrick, son père, l’autre avec moi. Deux fois, il a vu les adieux en direct. Cette symétrie a fini par nous faire rire. Nous parlions depuis longtemps de ce que je ferais après ; d’une certaine manière, cela l’avait préparé. Il n’était pas inquiet. Il avait vu son père rebondir… il a relativisé. Il pense, à juste raison, qu’il y a plus grave.
Vous avez vécu hors des conventions, assumé votre statut de mère célibataire et votre désir de liberté. Vieillir à deux, ça ne vous fait pas envie ?
Il n’y a pas de schéma idéal. La solitude choisie n’est pas un statut dégradant. Au contraire. Il faut réhabiliter ce point de vue. Je ne prône rien, je pense juste qu’on peut dédramatiser ce que certaines personnes vivent mal et dire que cela peut être aussi un bonheur. On peut ne pas être mariée ni accompagnée et être pleine de projets, avoir une vie sociale intense, du calme pour lire, pour réfléchir, faire des choses qui vous intéressent. Tout ce que j’énumère, on peut le faire seule. Bien sûr, je fais partie des privilégiés, j’ai les moyens de ma liberté. C’est une chance que je mesure.
L’âge, comment le vivez-vous ?
Je vais avoir 60 ans, je ne vais pas vous faire croire que ça me rend folle de joie… Dans l’âge, ce qui m’angoisse, c’est que le temps se rétrécit. Aujourd’hui, je suis en pleine possession de moi-même, je vis comme à 20 ans, physiquement et intellectuellement. Je me sentirais même presque mieux. Avec moins de peurs, peut-être plus d’énergie. On n’est vieux que lorsqu’on est vraiment empêché dans ses mouvements, dans sa tête. J’aime voir les mêmes choses que mon fils. Mon entourage est jeune et je n’ai pas le sentiment d’être différente. C’est le rétrécissement de l’horizon qui me tracasse. Les projets, professionnels et sentimentaux, tout se contracte. Ce qui est triste, c’est d’avoir l’impression qu’une grande partie de sa vie est derrière soi.
La mort vous fait-elle peur ?
Je ne peux pas nier que, de temps en temps, je me vois à la place de ma mère, sur le lit d’hôpital où elle est partie. Je me dis que la prochaine fois, ce sera moi. C’est inévitable.
Et pourtant, vous êtes au top de la forme, très sexy. Comment faites-vous ?
La transformation me fait peur, d’où la double nécessité de prendre soin de moi. Je danse une heure et demie par jour, cinq fois par semaine. La danse est un exercice physique difficile mais gratifiant. Il faut se battre pour rester jeune. Le combat est rude. Même quand on en a la possibilité, l’argent, le temps, l’habitude, la capacité physique. Parce que cela nécessite des efforts, une régularité, une discipline, une hygiène de vie. La lutte contre le vieillissement de la peau est perdue d’avance. J’accepte mes rides. Je n’ai pas envie de chirurgie. Et puis, évidemment, être bien dans sa tête, ça se voit aussi.

"J’ai toujours été une téléspectatrice d’Arte et de France 5"

Pourriez-vous vous laisser embarquer dans une nouvelle histoire d’amour ?
Beaucoup de gens m’intéressent par ce qu’ils font, par leur personnalité. Après… c’est autre chose. Je n’ai pas de réponse mais ce n’est pas ma quête. Et puis, ne pas être en couple ne veut pas dire qu’on est seule. Je suis très entourée par des gens aimants, désintéressés, loyaux. C’est un luxe que je me suis forgé. Cela veut dire aussi que j’ai su donner de moi-même. Mais oui, évidemment, je ne m’interdis rien.
Devenir grand-mère serait un plaisir ou une crainte ?
Cela me paraît assez loin, car je n’ai pas eu François très tôt, mais cela me plairait. Pour l’engagement que cela représente, pour voir comment évolue un enfant de mon fils. Pour l’observer dans ce rôle… Et me prolonger.
Quel regard posez-vous sur toutes les nouvelles émissions de télévision et sur ceux qui les animent ?
L’engouement pour la nouveauté, que ce soit pour un animateur ou une émission, a toujours existé. J’ai dû en bénéficier à mon arrivée, en 1991. C’est la vie. La relève fait partie du système.
Qu’avez-vous pensé de l’arrivée de Yann Barthès sur TMC ?
Son émission est vivante, caustique, pleine d’esprit, talentueuse et moderne. Mais j’ai toujours été une téléspectatrice d’Arte et de France 5, qui est une chaîne très cohérente et rend un service extraordinaire concernant la connaissance non élitiste. Tous les animateurs y sont un peu sur le même modèle. C’est très agréable de faire partie de cette famille.
Depuis un an, regardez-vous les journaux télévisés ?
Pas trop. Un peu France 2.
Jamais TF1 ?
Franchement, non.
Vraiment ?
Oui. Je n’ai rien contre Anne-Claire [Coudray], mais, psychologiquement, je n’ai pas envie. C’est inutile.