Doudou Diène (ONU) : « Les autorités du Burundi ont réussi à épuiser les observateurs internationaux »

À quelques semaines d’une négociation cruciale sur la prolongation du mandat de la commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi, son président, le juriste sénégalais Doudou Diène, a répondu aux questions de JA.
Président de la commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi, le Sénégalais Doudou Diène se
confie sur les attentes et les craintes qui entourent l’arrivée au pouvoir d’Évariste Ndayishimiye.
Doudou Diène ne désarme pas. Voilà plus de deux ans et demi que ce juriste sénégalais, diplomate chevronné, a pris la tête de la commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi. Lancée en 2016 dans le tumulte de la crise post-électorale de 2015, cette mission s’est systématiquement heurtée à l’opposition du régime burundais qui n’a jamais souhaité accueillir ses experts.
Pourtant, Doudou Diène, qui est déjà intervenu au Togo, à Gaza et en Côte d’Ivoire, continue de croire qu’un changement d’attitude est possible avec l’arrivée au pouvoir d’Évariste Ndayishimiye. L’héritier de Pierre Nkurunziza, décédé le 8 juin, a beau multiplier les signaux inquiétants tendant à conforter la communauté internationale dans l’idée que l’heure n’est pas au changement au Burundi, le juriste sénégalais assure que le pays se trouve « à la croisée des chemins ».

En pleine finalisation du rapport annuel de sa mission, et à quelques semaines d’une négociation cruciale sur la prolongation du mandat de la commission, Doudou Diène a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Le changement d’homme à la tête du Burundi garantit-il un changement de politique ?
Doudou Diène : La crise burundaise a une très grande profondeur historique et les violations des droits humains y sont institutionnelles et structurelles. Le changement d’homme ne peut donc pas signifier de changement de politique. Mais c’est une opportunité d’avancer dans la bonne direction. Il faut seulement que les autorités comprennent qu’elles doivent saisir cette chance. Nous, nous allons observer la situation de près.
Quelles seraient les mesures encourageantes en faveur d’une ouverture ?
Avant le scrutin du 20 mai, nous avions dit que les conditions n’étaient pas réunies pour des élections objectives. Elles ont eu lieu, avec les résultats que l’on connaît. Nous attendons plusieurs choses désormais. Il y a notamment la fin de l’impunité. Il faut voir si les autorités burundaises vont finir par punir, par une justice indépendante, ceux qui se rendent coupables de violations des droits de l’homme, notamment les Imbonerakure.

Un autre signe d’ouverture serait de libérer les détenus politiques. On pense aux journalistes d’Iwacu, mais aussi aux opposants. Nous attendons enfin des gages d’ouverture envers la communauté internationale car, ces dernières années, les autorités ont réussi à se débarrasser de manière efficace de l’Union africaine [UA], de la Communauté de l’Afrique de l’Est [EAC], du bureau des droits de l’homme de l’ONU et, dernièrement, de l’OMS, en plein milieu d’une épidémie de coronavirus que Nkurunziza avait niée.
Le Burundi semble avoir enfin pris la mesure du coronavirus. Mieux vaut tard que jamais?
Il y a eu un changement. Mais les autorités savaient que cette pandémie mondiale, qui touchait tous les pays de la région, ne pouvait pas épargner le Burundi. L’idéologie du président Nkurunziza était de nier cette réalité et d’utiliser l’argument de la religion pour prétendre que le Burundi était protégé. L’OMS a été expulsée parce qu’elle était en mesure d’apporter des preuves du contraire. Le fait que Denise Nkurunziza, la première dame, ait été évacuée au Kenya à cause du virus a forcé le pouvoir à admettre la réalité. Reste maintenant à voir si cela va se traduire par une réelle politique sanitaire pour lutter contre la pandémie.
S’il existe des nuances entre les positions de Ndayishimiye et de Nkurunziza, nous attendons d’en voir la preuve par les actes
Par Jeune Afrique