C’est dans entretien accordé au journal
le Monde Afrique et condensé dans un article nommé «
Au Cameroun
anglophone, la violence semble être la seule manière de se faire
entendre » rendu public ce 30 novembre que Abakar Ahamat, ancien
gouverneur de la région du Nord-Ouest fait une analyse profonde la crise
qui secoue les régions anglophones du Cameroun depuis plus d’un an.
Ci-dessous l’intégralité de l’entretien de Abakar Ahamat accordé au journal le Monde Afrique.
Un an après le début de la crise, on assiste à une escalade
de la violence. Des forces de sécurité sont attaquées, des
établissements scolaires sont incendiés… Etait-ce prévisible ?
Je ne peux pas le dire, car je suis coupé de la réalité du terrain
depuis plus de cinq ans. Mais la violence dans cette partie du pays,
surtout dans le Nord-Ouest que je connais parfaitement, est un phénomène
permanent qui s’exprime de diverses manières. Chaque fois qu’il y a un
raidissement dans les relations entre les populations et les autorités,
la violence est utilisée comme mode d’expression. Comme si c’était la
seule manière pour ce peuple de se faire entendre et comprendre.
Quand vous étiez gouverneur, aviez-vous vu des signes précurseurs d’une telle crise ?
A l’époque, les problèmes qui se posaient étaient de nature
différente, même s’ils étaient tous liés aux nombreuses frustrations, à
la marginalisation, à l’assimilation forcée et à la francophonisation
que subissent les populations anglophones. Le problème anglophone est
vieux et bien connu. Bien que ne maîtrisant ni les tenants ni les
aboutissants de l’escalade actuelle, je pense que c’est la gestion plus
ou moins heureuse dudit problème qui a abouti à cette regrettable et
préoccupante crise socio-politique. Les négociations ont été, de mon
point de vue, menées de manière peu satisfaisante, soit parce qu’on a
minimisé le problème, soit parce qu’on a voulu trouver de fausses
solutions à de vrais problèmes.
Comment était la région du Nord-Ouest durant votre mandat ?
Deux mois après ma prise de service, les événements de février 2008
[les émeutes de la faim] ont éclaté, avec une violence inouïe, mais,
très rapidement, nous avons réussi à ramener le calme, à rétablir
l’ordre et à redonner confiance aux populations. Et ce par la magie du
dialogue, de la négociation, de la médiation, de la dissuasion, de la
persuasion et de la valorisation des interlocuteurs. La région, rendue
fréquentable après sa pacification méthodique, intelligente et
constructive, a pu accueillir le chef de l’Etat en visite à Bamenda pour
le cinquantenaire des forces de défense, et la présidentielle d’octobre
2011 a pu être organisée en toute transparence, équité et justice. Les
résultats sortis des urnes ont été reconnus et acceptés par tous, ce qui
n’avait jamais été le cas depuis les années 1990. A mon départ, en
2012, rien ne présageait un tel retournement de situation.
Au début de la crise, en octobre 2016, les parents
dénonçaient la « francophonisation » du système éducatif et les avocats
exigeaient la pleine application du Common Law [le système judiciaire
hérité de la colonisation britannique]. Leurs doléances ont-elles été
entendues ?
De mon point de vue, les réponses semblent insuffisantes car il n’y a
pas que les enseignants et les avocats qui ont des soucis. Et même dans
les deux domaines évoqués, il n’est pas sûr que toutes les vraies
préoccupations aient été correctement et totalement adressées.
Avec les violences observées ces derniers jours, peut-on craindre la formation d’un mouvement armé ?
Je crains que la crise ait atteint un point de non-retour, mais je ne
pense pas que l’on puisse franchir le pas du mouvement armé. Des coups
de force appelant des ripostes regrettables peuvent continuer sur la
durée, mais ce ne sera jamais un mouvement insurrectionnel armé tel
qu’on en connaît ailleurs. Le tout est de gérer intelligemment cette
escalade de la violence.
Au début, certains réclamaient le fédéralisme. Mais le 1er
octobre, des séparatistes ont symboliquement proclamé leur indépendance.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Il n’y a pas que des fédéralistes dans ce chaudron. Il y a aussi des
sécessionnistes, des autonomistes, des partisans du statu quo et des
anarchistes opportunistes qui savent tirer leur épingle du jeu et à qui
profite le désordre, quelle qu’en soit la cause. De mon point de vue, la
solution définitive au problème anglophone passe par la mise sur pied
d’un collège de médiateurs intègres, objectifs, rigoureux et courageux,
afin de paver la voie, de détruire les murs et de construire les ponts
entre des acteurs qualifiés pour représenter d’un côté le gouvernement
et de l’autre les populations.

