
Elu en mai 2017 à la tête de l’Etat
français, Emmanuel Macron s’est donné pour objectif de
renouveler la relation que la France entretient avec le continent africain. Mais le nouveau président sait que ce renouvellement passera par la liquidation d’un héritage parfois très lourd et la mise en place de nouvelles bases entre les deux parties. Aussi envoie-t-il depuis ses débuts une multitude de signaux. Sont-ils toujours les bons?
renouveler la relation que la France entretient avec le continent africain. Mais le nouveau président sait que ce renouvellement passera par la liquidation d’un héritage parfois très lourd et la mise en place de nouvelles bases entre les deux parties. Aussi envoie-t-il depuis ses débuts une multitude de signaux. Sont-ils toujours les bons?
Est-il celui qui liquidera le legs d’une histoire
passionnée et parfois douloureuse entre la France et ses anciennes
colonies ? Alors qu’il vient d’achever sa première tournée africaine
(Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Ghana), Emmanuel Macron, 39 ans, a, pour
certains, tout le profil de ce président par qui s’écrira une nouvelle
histoire entre la France et l’Afrique. Né en 1977, il n’est pas de la
génération qui est liée à la colonisation et il s’en revendique
clairement. «Je suis comme vous d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé.» lancera-t-il aux étudiants venus à sa rencontre à Ouagadougou.
Né en 1977, il n’est pas de la génération qui est liée à la colonisation et il s’en revendique clairement. «Je suis comme vous d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé.»
Pour son premier grand oral en Afrique, Emmanuel Macron
n’hésite pas à manipuler les symboles. Ouvrant son propos par une
citation de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara, il rappellera
par la suite que la libération du sud-africain Nelson Mandela et son
accession à la présidence de son pays constituent l’un des temps forts
qui ont marqué la vie politique de sa génération. Venu renouveler la
relation qui lie la France à l’Afrique, il sait qu’il lui faudra donner
des gages de sa bonne volonté. Dans un Burkina Faso sur lequel plane le
spectre de Thomas Sankara, ancien président du pays et leader
charismatique d’une jeunesse en quête de repères, sa décision de
déclassifier les archives produites par l’administration française
pendant le régime Sankara et après son assassinat, est susceptible de
lui faire gagner des points. En effet, de Sankara, il a été beaucoup
question ces dernières années. Déjà lors de la révolution qui a abouti à
la fuite de Blaise Compaoré et à l’instauration de la démocratie que
connaît le pays. Ensuite, lors de la réouverture de l’enquête sur les
conditions de sa disparition. Et ensuite lors des polémiques qui ont
récemment secoué l’Afrique francophone, notamment avec la polémique liée
à la question du Cfa. Conscient de son importance et des enjeux
derrière la réouverture de ce dossier, le président Macron s’est engagé à
déclassifier tous les documents relatifs à cette affaire.
A Ouagadougou, un autre symbole à une forte résonance a
réssurgi: Norbert Zongo. Si son nom n’a pas été directement cité, il
était au coeur de la promesse d’Emmanuel Macron de faciliter
l’extradition de François Compaoré. Le frère de l’ancien président
burkinabé est soupçonné par la justice de son pays d’être impliqué dans
le meurtre du journaliste, il y a maintenant presque 20 ans. Celui qui
est sous le coup d’un mandat d’arrêt international a été interpellé par
la justice française et devrait probablement être extradé vers le
Burkina Faso.
A Ouagadougou, un autre symbole à une forte résonance
a réssurgi: Norbert Zongo. Si son nom n’a pas été directement cité, il
était au coeur de la promesse d’Emmanuel Macron de faciliter
l’extradition de François Compaoré.
Un dernier symbole, plus controversé celui-là, a
ressurgi au cours des échanges entre le président français et les
étudiants de l’université Joseph Ki-Zerbo: Muammar Kadhafi. Si sa jeune
interlocutrice célèbre un peu trop l’ex-guide libyen à son goût,
Emmanuel Macron n’en reconnaît pas moins qu’à ses yeux, l’intervention
en Libye était une erreur et que ce genre d’opération ne devait être
menée que si l’on s’était assuré que l’Etat continuerait à exister après
la chute de la cible visée. « Président de la République, je n'aurais pas soutenu l'intervention [française] en Libye. (...)
Je ne crois pas aux solutions militaires quand elles ne s'inscrivent
pas dans une vision diplomatique et une solution politique construite
sur le terrain ». Une façon de donner raison au président tchadien
Idriss Déby Itno qui ne disait pas autre chose quand il affirmait que la
coalition internationale qui a chassé Kadhafi n’avait pas assuré le
service après-vente de l’opération.
« Je ne crois pas aux solutions militaires quand
elles ne s'inscrivent pas dans une vision diplomatique et une solution
politique construite sur le terrain ».
Puis s’il salue l’effort des troupes françaises dont
l’action au Sahel s’inscrit dans le même esprit que celui qui a poussé
des Africains à s’engager aux côtés de son pays lors des deux guerres
mondiales, on peut néanmoins se demander si en intervenant au Sahel
c’est n’est pas un peu (et peut-même d’abord) elle-même que la France
aide d’abord. Car le gouvernement français peut-il laisser cette région
du monde située à environ trois heures de vol de Paris se transformer en
poudrière sans intervenir ? Des Etats sahéliens faillis, n’est-ce pas
la porte ouverte au déversement d’un flux incontrôlé de migrants sur le
vieux continent dans un contexte où l’Europe a investi environ 16
milliards entre 2000 et 2015 pour lutter contre les migrations
clandestines? Autant de questions qui n’ont pas été posées et qui
resteront en suspens pendant quelques temps encore.
Tout le discours de Ouagadougou suivi de l’échange avec les étudiants.
Développer le lien économique
Sur le plan économique, le dirigeant français affirme
être totalement en accord avec les conclusions du rapport Vedrine-Zinsou
qui préconise un changement dans les paradigmes guidant l’action
économique de la France en Afrique. Pour l’économiste Lionel Zinsou, un
des auteurs de ce rapport, les obstacles au renforcement des relations
économiques entre la France et l’Afrique sont d’ordre psychologique.
Ainsi, explique-t-il dans les colonnes du Monde : «Il faut continuer
à convaincre, notamment les chefs d’entreprises, que l’Afrique, c’est
le continent de l’avenir. Et qu’on peut accélérer la croissance
française et accélérer la croissance africaine si on est capables de
bâtir beaucoup plus de partenariats.» Pour le nouveau président, ce
défi est largement à la portée de la France, et afin de le prouver, il
promet, entre autres, la création d’un fonds d’un milliard d’euros
destiné aux petites et moyennes entreprises africaines. Il invite en
outre les entreprises françaises à s’engager aux côtés du continent dans
des secteurs comme celui de la santé, où il dénonce les ravages des
faux-médicaments à un moment où une statistique que l’Afrique reçoit 40%
de la production totale de ces médicaments. Enfin, il s’engage d’ici
2020, à faire passer à 0,55% la portion du revenu brut français consacré
à l’aide au développement.

L’arrivée à Ouagadougou, avec le président Roch Marc Christian Kaboré.
Un conseil pour l’Afrique
En dépit de ces actes forts plusieurs questions
demeurent. La présidence Macron sera-t-elle vraiment différente des
autres? Connaît-il vraiment l’Afrique? Celui qui a fait son stage de
l’Ecole nationale d’administration (ENA) au Nigéria en 2002, n’a rien
d’un vieux routard du continent. Qu’à cela ne tienne, il dispose à ses
côtés de gens expérimenté comme Jean-Yves Le Drian, son ministre des
affaires étrangères. En outre, il innove assez vite en mettant sur pied
un conseil présidentiel pour l’Afrique. Cet organe constitué de 11
membres et directement rattaché à la présidence de la république a un
rôle de vigie et aide le président français dans la construction de sa
politique africaine en lui faisant remonter les échos du terrains et en
lui permettant de disposer d’un autre prisme que celui des structures
habituelles. Pour Karim Sy, fondateur de Jokolab et membre de ce
conseil, qui se confie à l’Agence Ecofin, «le CPA est composé de
personnes - pour beaucoup binationale d’ailleurs - qui font des actions
sur le terrain, qui parcourent l’Afrique à travers leurs activités […] Je remarque que c’est très innovant pour un conseil pareil d’être directement rattaché au président français […] Je pense que c’est un bon signal, d’avoir au moins une oreille sur une Afrique qui n’a pas l’habitude d’être entendue.»
En outre, il compte au rang de ses soutiens, Lionel Zinsou à qui son
aventure ministérielle, puis électorale, au Bénin aura au moins laissé
un aperçu de la complexité politique de ce continent.

Avec Nana Akufo-Addo, président du Ghana.
La sécurité au sahel: une priorité
Pour la France, la relation avec l’Afrique ne relève
pas que des défis socio-économiques. Emmanuel Macron a fait de la
sécurité le premier pilier de sa diplomatie. «La lutte contre le terrorisme islamiste doit être la première des priorités, et ce afin d’assurer la sécurité de nos concitoyens»
estime-t-il. Dans un tel contexte, les enjeux liés à la sécurité au
Sahel sont prioritaires, comme il le reconnaît lui-même en insistant sur
la nécessité de «faire davantage sur le volet du développement » dans cette région car cette démarche constitue un enjeu «indispensable pour la stabilisation de la région ».
Ainsi, alors qu’une série d’escarmouches l’opposent
depuis quelques semaines à son prédécesseur sur divers sujets de société
et des décisions prises par le pouvoir Hollande dont il se dissocie,
Emmanuel Macron n’hésite pas à saluer la décision de l’ancien président
d’intervenir au Mali.
«Nous ne pouvons pas laisser l’Afrique seule face aux défis démographiques, économiques, climatiques. (…) C’est en Afrique que se joue largement l’avenir du monde.» affirme-t-il.
«Nous ne pouvons pas laisser l’Afrique seule face aux défis démographiques, économiques, climatiques. (…) C’est en Afrique que se joue largement l’avenir du monde. »
affirme-t-il. Il est vrai que le Sahel, vaste territoire sur une
dizaine de pays africains et situé à environ trois heures de vol de
Paris est désormais une poudrière que la France ne peut pas laisser
exploser. La déstabilisation de l’Etat libyen, la question touareg, la
montée du terrorisme qui s’appuie sur le chômage des jeunes et l’absence
de perspectives, sont autant de questions qui exigent une attention
accrue dans le cadre d’un processus de désamorçage de la bombe
sahélienne. Et si la réponse sur le long terme ne peut être que dans le
développement, dans l’immédiat, l’avancée du terrorisme doit être
endiguée, combattue et arrêtée. Pour y parvenir, Paris a déjà initié
depuis 2014 l’opération Barkhane qui voit l’implication de quelques 3000
militaires français. Mais aujourd’hui, une autre approche doit être
préconisée et les les pays africains doivent supporter leur part de
cette lutte, estime-t-on du côté de Paris. Aussi, l’initiative du G5
Sahel de se doter d’une force militaire dans cette lutte, passe-t-elle
pour une solution crédible. La décision de ce groupe, constitué par le
Tchad, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et la Mauritanie apparaît
désormais comme le signe de la volonté des Africains de prendre en
charge eux-même leur sécurité. Il a reçu l’appui de la France qui
demande en juin dernier à l’Organisation des nations unies (ONU)
d’approuver le déploiement de cette force. Face à l’opposition des USA,
l’Onu salue l’opération sans lui donner un mandat onusien et donc, un
financement. Alors que la force qui veut à terme mobiliser 10 000 hommes
évalue ses besoins de financement à 400 millions d’euros, elle a,
jusque là, mobilisé à peine plus de la moitié. En outre, elle doit
composer avec diverses poches d’oppositions comme l’Algérie, les USA ou
même le Royaume-Uni.
Aaron Akinocho
Par Ecofin Hebdo

