L’éditorial récemment consacré par François Soudan aux élections
communales en Guinée a suscité
chez certains de vives réactions. Le
parti de Cellou Dallein Diallo nous a adressé cette mise au point, que
nous publions volontiers.
Par Souleymane Bah, Secrétaire national chargé de l’information et de la communication de l’UFDG
Le 12 février, Jeune Afrique publiait, sous la signature de François Soudan, un article intitulé « Élections en Guinée : la rue contre les urnes »,
dans lequel mon parti, l’Union des forces démocratiques de Guinée
(UFDG), et son président, Cellou Dalein Diallo, étaient violemment mis
en cause.
Selon l’article, l’UFDG, parti d’une communauté, a à sa
disposition les jeunes des « gangs de l’Axe », qualifiés d’« insurgés
permanents du “ghetto” peul » qui « sèment le désordre pour déstabiliser
le pouvoir d’[Alpha Condé] », dans le cadre d’une « stratégie de
tension délibérément choisie par le principal parti d’opposition et son
chef ».
Après les élections du 4 février, qui se sont déroulées
« ”normalement” malgré quelques imperfections », l’auteur de l’article
mentionne que « Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré bénéficient d’un
vote communautaire, peul pour le premier, soussou pour le second, avec
ses avantages et ses limites, alors qu’Alpha Condé, tout en conservant
la loyauté de son bastion de Haute-Guinée, déborde de l’électorat
malinké pour mordre largement sur ceux de Guinée forestière et de Guinée
maritime. »
Ratoma est bien dans la République
Je conteste ces allégations. Les jeunes de l’Axe ne sont pas
des jeunes de l’UFDG. Ce sont des jeunes de la nation guinéenne et
Ratoma, leur commune, est bien dans la République. Alors opposant, Alpha
Condé les qualifiait de « combattants de l’Axe de la démocratie ». En
effet, ce sont ces jeunes et leurs manifestations qui ont permis la mise
en place du gouvernement de consensus de Lansana Kouyaté en 2007, la
fin du régime militaire en 2009, l’organisation des élections
législatives en 2013 et la tenue des communales en 2018.
Dans leur odyssée, plusieurs d’entre eux ont été blessés ou
handicapés à vie, et le nombre de morts se compte par centaines. Ces
sacrifices, ils les ont faits pour la Guinée. Pour que la nation
guinéenne soit conduite par un État qui respecte les règles de droit.
Ces mêmes jeunes ont été de tous les combats lorsque la
conscience des citoyens, leurs libertés ou leurs droits étaient violés.
C’est au nom des valeurs de la République qu’ils opposent la rue non pas
aux urnes, mais aux fraudes qui ont émaillé toutes les élections qui se
sont déroulées en Guinée depuis 2010.
Ils opposent aussi la rue à la corruption et à l’impunité en
protestant contre la mauvaise gouvernance du pays sous Alpha Condé,
avec les délestages d’électricité, les coupures d’eau ou la baisse du
pouvoir d’achat dont la récurrence rend encore plus difficiles les
conditions de vie de la population guinéenne.
Plusieurs autres leaders peuls soutiennent Alpha Condé
Par ailleurs, je proteste avec véhémence contre la volonté
répétée de l’auteur de l’article de présenter le président de l’UFDG
comme le chef de la communauté peule. Cette considération est
diffamatoire et fallacieuse. Cellou Dalein Diallo est un homme politique
qui préside un parti politique qui a pour vocation non pas de mobiliser
une communauté, mais de conquérir les suffrages du plus grand nombre de
citoyens guinéens en vue d’accéder au pouvoir d’État, pour faire de la
Guinée un pays de prospérité, de fraternité, d’unité et de liberté.
Il faut préciser que la communauté peule, à l’instar des
autres communautés qui composent la nation guinéenne, a sa propre
organisation. En outre, la classe politique guinéenne comprend plusieurs
autres leaders peuls dont les partis appartiennent à la mouvance qui
soutient Alpha Condé. Ces informations sont à la portée de tout
observateur de la vie publique du pays. Mais les intentions de cet
article à charge étaient-elles vraiment de rendre compte de la réalité
de la situation politique en Guinée ?
Cette question se pose lorsque l’on tient compte de
l’acharnement avec lequel l’article tente de confiner l’influence
électorale de l’UFDG dans la sphère de la communauté peule. Faut-il
rappeler que le premier tour de l’élection présidentielle de 2010 fut
considéré par tous les observateurs comme celui qui a réellement traduit
la vérité des urnes, contrairement aux élections qui ont suivi ?
Est-il besoin de préciser que près de 44 % des Guinéens
firent alors confiance à Cellou Dalein Diallo, contre 18 % pour son
adversaire arrivé derrière lui ? Ce taux n’est-il pas représentatif de
la place de ce leader dans toute la nation guinéenne ? […]
Je voudrais enfin condamner le fil rouge ethniciste qui
traverse l’article. Ce regard subjectif est une insulte à la volonté des
Guinéens de vivre dans la paix et l’harmonie. Et comme l’histoire
l’enseigne, l’ethnicisme est un concept qu’il convient d’utiliser avec
prudence. Surtout lorsqu’il concerne l’Afrique, dont les nations sont
encore en construction, et la Guinée, dont le tissu social a déjà été
suffisamment fragilisé par le pouvoir d’Alpha Condé.
La réponse de JA
1. Tout d’abord, et pour l’honnêteté du débat, évitons
de mettre sous ma plume et entre guillemets des phrases que je n’ai… pas
écrites ! (ex : « qui sèment le désordre pour déstabiliser le pouvoir
d’AC »).
2. Les faits sont têtus. Depuis huit ans, les actes de
contestation violente du pouvoir en place proviennent tous, à Conakry,
du même quartier de Ratoma où la proximité est établie entre les
revendications de l’UFDG, celles des jeunes et la composition
communautaire de la grande majorité des habitants. En quoi le fait de
rappeler cette évidence équivaut-il à une quelconque stigmatisation de
ladite communauté ?
3. La cartographie électorale de la Guinée est limpide.
C’est dans le Fouta et à Ratoma, ses fiefs, que l’UFDG et son chef
réalisent de très loin leurs meilleurs scores. Certes, lors des
communales du 4 février, ce parti est arrivé à égalité avec la formation
au pouvoir dans certaines villes de Basse Guinée, ce qui constitue un
progrès. Mais il faudra m’expliquer pourquoi qualifier M. Dalein Diallo
de leader de sa propre et très respectable communauté (ce que je
maintiens) est « diffamatoire » – à moins de considérer qu’il s’agit là
d’une tare. Aurais-je écrit le contraire que cela m’aurait aussi valu,
de sa part, une volée de bois vert !
4. J’aimerais être aussi sûr que vous du fait que les
jeunes qui ont tragiquement perdu la vie lors des violences de rue
depuis 2010 soient tombés « pour la Guinée » et non pas dans le champ
clos d’une lutte pour la conquête de ce que vous appelez « le pouvoir
d’État ». Je n’en suis, hélas, pas convaincu.
François Soudan
Source: Jeune Afrique