
7,4% de croissance économique pour 2018 :
c'est le chiffre
annoncé par la Banque mondiale qui vient de rendre son
rapport annuel sur l’économie ivoirienne. Une croissance parmi les plus
rapides du monde mais une croissance de rattrapage explique la Banque
mondiale. L’institution financière reste optimiste pour les années à
venir mais plaide pour une croissance plus partagée dans un pays ou 46%
de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Et surtout alors
que le moteur de cette croissance, Abidjan, comptera 10 millions
d’habitants en 2040, la Banque mondiale insiste sur la nécessité de
penser l’urbanisation et la mobilité. Jacques Morisset est l’auteur de
ce rapport.
RFI : Jacques Morisset, 7,4 % de croissance en
2018 c’est un léger ralentissement par rapport aux années précédentes.
Comment l'expliquer ?
Jacques Morisset : Comme vous le dites, c’est un
léger ralentissement. Un taux de 7,4 % c’est un taux spectaculaire, cela
reste l’un des plus rapides du continent africain, voire même du monde.
Donc, il n’y a pas un signe d’alarme. C’est une économie qui a crû à un
taux de plus de 9% pendant plusieurs années, on peut s’attendre
qu’après quelques années de rattrapage, après une crise qui a duré plus
de dix ans, la croissance se ralentisse un peu.
Que devra faire le gouvernement ivoirien pour maintenir ce taux à hauteur de 7% ?
Nous restons optimistes. Nous pensons que la croissance va rester
rapide, sous-entendu qu’il n’y a pas de choc majeur. Quand on parle de
choc majeur, cela reste une économie vulnérable à des chocs extérieurs,
notamment des variations à des prix des commodités, mais aussi de chocs
internes et le climat politique devra être maîtrisé. Donc, dans ces
conditions, nous restons extrêmement optimistes. Malgré cela, il y a
plusieurs défis qui apparaissent. Le premier défi c’est que – on l’a dit
auparavant –, la croissance se ralentit. Elle se ralentit parce que le
secteur privé devient moins ambitieux qu’il ne pouvait l’être à la
sortie de crise. Donc il y a un besoin d’encourager le développement de
secteurs privés.
Le deuxième défi qui est peut-être le plus important, c’est d’arriver
à une croissance plus partagée. Pour la première fois depuis une
trentaine d’années, la pauvreté diminue en Côte d’Ivoire, mais elle
diminue de manière relativement réduite par rapport à la croissance
économique qui a été celle du pays pendant ces dernières années. Donc il
y a un besoin d’un meilleur partage.
La pauvreté a diminué de 51% à 46% pendant une période où la
croissance économique a entraîné l’augmentation de 80% du revenu. Donc
la question mérite d’être posée, où est passée une partie de ces
revenus ? Et certainement que les effets de rationnement ont été
relativement réduits. Il y a beaucoup d’explications. La première c’est
que la croissance a d’abord été urbaine et dans des secteurs
relativement peu porteurs d’emploi, à l’exception peut-être, de la
construction. Mais aussi, il faut donner du temps au temps. La Côte
d’Ivoire part d’une situation qui était difficile en 2011. Le
gouvernement a fait quand même beaucoup d’investissements dans
l’infrastructure et aussi dans l’éducation et la santé. Et pour que ces
investissements se répercutent dans le portefeuille des ménages, il faut
laisser du temps au temps. Cela prend une génération pour former des
gens, cela prend plusieurs années pour que nos routes fonctionnent. Donc
il faut aussi laisser un peu de temps. Mais néanmoins, cela reste une
urgence. Une urgence économique et une urgence politique et sociale.
Il n’y a pas de mesures plus rapides à prendre pour rendre cette croissance plus inclusive ?
Il y a plusieurs mesures. Une politique de redistribution, une
politique d’aide protection sociale. En fait, tout cela a alimenté le
nouveau programme social qui a été annoncé par le président de la
République il y a quelques mois. Dans ce rapport nous mettons l’accent
sur l’urbanisation. Nous pensons que l’urbanisation est un allié
important pour réussir une croissance accélérée et partagée. Parce
qu’une urbanisation permet de désaffecter une agglomération, à la fois
pour les entreprises, elle permet d’accélérer leur croissance, d’accéder
à de meilleurs emplois, d’avoir de meilleurs échanges, mais aussi pour
la population et les familles d’accéder à des moyens d’éducation,
d’accéder à des centres de santé… Donc l’urbanisation permet d’accélérer
la croissance, mais aussi une croissance mieux partagée.
Vous mettez l’accent cette année, surtout sur la mobilité
dans le cadre de cette urbanisation, parce qu’à Abidjan c’est un gros
problème. Pourquoi c’est un enjeu crucial pour la croissance économique,
cette mobilité ?
Si cela vous prend deux heures, trois heures, quel est le temps moyen
que passe un individu à Abidjan dans les transports ? Vous payez 30 %
de votre revenu, auquel cas pour les plus pauvres, vous imaginez bien
que ces effets d’agglomération ne fonctionnent pas. Les gens arrêtent
d’aller à l’école, les gens ne cherchent pas les meilleurs emplois… Donc
le potentiel de croissance économique que pourrait créer la ville
n’existe pas ou est amoindri. Nous avons fait une estimation et chaque
année cela coûte 5% du PIB de la Côte d’Ivoire. Ce qui est important
aussi, c’est que cet effet est multiplié sur les plus démunis. Parce que
les plus riches peuvent toujours se déplacer. Par contre, les plus
pauvres, eux, ont véritablement des contraintes budgétaires pour pouvoir
accéder à des moyens de mobilité et donc à de meilleurs emplois ou à
une meilleure formation.
Et alors, comment remédier à ce problème de mobilité, à cet engorgement d’Abidjan ?
Il faut savoir où on veut aller. Donc il faut une vision de ville,
une vision de l’aménagement de l’espace. Un réseau de transport ne peut
s’intégrer que dans l’aménagement de l’espace optimal. L’un ne va pas
sans l’autre. Savoir où l’on va, cela présuppose aussi les moyens pour
mettre en place cette vision. Donc une bonne coordination, une
identification des moyens de financement… Tout cela impose une bonne
gouvernance. Donc ça, c’est le premier élément.
Le deuxième élément, c'est que nous sommes convaincus que pour
pouvoir arriver à une meilleure mobilité il faut développer les moyens
de transport de masse. Aujourd’hui, dans une ville comme Abidjan, il
n’existe pas de moyens de transport de masse. Il n’y a pas de métro, il
n’y a pas de bus rapide… Qu’est-ce qui reste aux gens ? La marche à
pied. Ou alors le transport informel, qui est certainement une solution
dans certains cas, mais qui n’est pas toujours une solution.
Les taxis collectifs, les baka, les minibus ?
Exactement. Donc il y a beaucoup plus de baka - de taxis collectifs -
ou de bus, que de voitures privées. Et c’est peut-être une bonne chose,
cela permet aux personnes de voyager quand même, mais le coût n’est pas
si faible que cela pour les pauvres. L’insécurité est énorme. Ces baka,
vous pouvez voir tous les jours le danger qu’ils peuvent créer. Ils
polluent, parce que les voitures ne sont pas aux normes. Et finalement,
aussi, ils ne desservent pas toute la ville, parce que les conducteurs
de taxis veulent faire de l’argent, ils restent sur les axes principaux
et donc ils ne couvrent pas forcément les endroits où sont les gens
pauvres ou des quartiers démunis. Donc c’est extrêmement important le
fait de penser à la ville de demain.
Par
Pierre Pinto
RFI

