
L’année 2020 s’annonce particulièrement
importante pour de nombreux pays du continent qui
doivent élire de
nouveaux dirigeants. De la Côte d’Ivoire à la République Centrafricaine,
en passant par le Ghana, voici cinq grandes échéances électorales
incertaines à enjeu politique majeur pour l’Afrique en 2020.
Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara… acte 3 ?
L’élection présidentielle en Côte d’Ivoire sera sans
doute l’un des événements politiques les plus suivis par les
observateurs internationaux en 2020. Le pays qui a déjà enregistré son
lot de violences post-électorales en 2011, s’apprête à élire un nouveau
chef d’Etat, dans un contexte politique particulièrement tendu.
En effet, l’une des énigmes de la nouvelle élection
présidentielle est aujourd’hui la candidature du président Alassane
Ouattara. S’il dispose d’une nouvelle chance pour se présenter au
prochain scrutin, suite à l’adoption d’une nouvelle constitution en
2016, le dirigeant n’a toujours clairement pas affiché ses ambitions
pour la magistrature suprême.

Guillaume Soro, ancien proche d’Alassane Ouattara, restera sur le banc de touche.
Début décembre, le chef de l’Etat ivoirien indiquait
d’ailleurs qu’il conditionnerait sa participation au prochain scrutin à
celle des membres de sa génération. « Je veux que tous ceux de ma
génération comprennent que notre temps est passé. Et que nous devons
tous nous mettre de côté. Alors s’ils décident d’être candidats, je
serai candidat ! », avait-il déclaré. S’il ne les a jamais cités
directement, les observateurs s’accordent à dire que l’homme de 77 ans
semble conditionner sa candidature à celle de ses rivaux et anciens
présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. Alors que le premier a
démarré des tractations politiques pour former une coalition
d’opposants, l’acquittement-surprise du second par la Cour pénale
internationale (CPI) a redistribué les cartes au sein de la sphère
politique ivoirienne, même si l’éventualité d’un retour rapide au pays
est, pour l’heure, incertaine.
Après huit années passées à la tête du pays, Alassane
Ouattara peut se targuer d’avoir fait redémarrer la croissance
économique du pays, désormais l’une des plus fortes au monde. Même si ce
progrès reste encore loin d’être inclusif, de très bonnes performances
ont été réalisées, notamment dans les secteurs de l’énergie, de
l’agriculture et des infrastructures, qui ont absorbé de gros
investissements, ces dernières années. Encore, faudra-t-il consolider ce
bilan avec la mise en place d’une élection présidentielle pacifique,
alors que le spectre des violences post-électorales de 2011 vient de se
profiler, nourri par les récentes décisions judiciaires.
En effet, Guillaume Soro, ancien proche d’Alassane
Ouattara, jusque-là seul candidat déclaré à l’élection présidentielle de
2020, prévue pour se dérouler en octobre, est depuis le 23 décembre
visé par un mandat d’arrêt international pour « tentative d’atteinte à l’autorité de l’Etat ».
Une infortune que l’ancien président de l’Assemblée nationale partage
avec son ancien frère ennemi Charles Blé Goudé qui, dans un procès par
contumace, a été condamné à 20 ans de réclusion et 10 ans de privation
de ses droits civiques.
Ethiopie : nouveau challenge pour Abiy Ahmed
En mai 2020, l’Ethiopie tiendra des élections
législatives particulièrement importantes qui permettront de désigner le
nouveau Premier ministre du pays, conformément au régime politique
parlementaire en vigueur. Il s’agira des toutes premières élections à se
tenir sous le mandat de « Dr Abiy ».
Arrivé au pouvoir en avril 2018 après la démission du
Premier ministre Hailemariam Desalegn, l’homme de 43 ans a entrepris une
véritable opération de démocratisation du pays, en améliorant la
liberté de la presse, en adoptant des réformes politiques favorisant la
parité et en ouvrant plusieurs secteurs de l’économie aux investisseurs
étrangers. La normalisation des relations avec le voisin érythréen,
mettant fin à plusieurs décennies de guerre, aura été l’une des
principales réussites du lauréat du prix Nobel de la paix 2019.
Pourtant, c’est dans un environnement socio-politique
incertain et tendu que s’ouvriront les prochaines échéances électorales
du pays des négus. En effet, les réformes initiées par Abiy Ahmed, ces
derniers mois, se sont accompagnées d’une résurgence des violences
intercommunautaires et ont amené de nombreux groupes ethniques à
revendiquer davantage de pouvoir, concentré depuis des décennies entre
les mains de quelques communautés.

Un scrutin menacé par la résurgence des violences intercommunautaires.
On estime que les violences ont déjà fait plus de 3
millions de déplacés internes dans le pays. Signe de ces tensions, le 22
juin 2019, une tentative de coup d’Etat a eu lieu dans la région
d'Amhara, au nord-ouest de l'Ethiopie, avec pour objectif la chute du
gouvernement régional. Le 20 novembre dernier, un référendum sur la
création d’une région Sidama était approuvé par plus de 98% des votants.
Si la bonne tenue du référendum et la reconnaissance de
ses résultats par le gouvernement pourraient jouer en faveur du
dirigeant pour les prochaines élections, les observateurs craignent que
l’instabilité sécuritaire qui règne dans le pays ne contraigne les
autorités à modifier le calendrier électoral et à reporter le scrutin.
Pour l’instant Abiy Ahmed, à la tête du Front démocratique
révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), la coalition au pouvoir
depuis 1991 et récemment fusionnée en un simple parti, semble écarter
cette possibilité. « La démocratie a besoin de mouvement. Si nous
disons que nous ne pouvons pas tenir d'élections maintenant, cela posera
beaucoup de problèmes. Nous devrions travailler de tout cœur à bâtir la
confiance du peuple » a souligné devant le parlement, en octobre
2019, l’unique Africain à avoir été classé parmi les 50 personnalités
les plus influentes de la décennie écoulée, par le Financial Times.
Ghana: Akufo-Addo vs Mahama, pour un troisième round
En décembre 2020, les Ghanéens seront appelés aux urnes
pour élire un nouveau président qui dirigera le pays pour les quatre
prochaines années. Comme en 2016, un nouveau duel pour le fauteuil
présidentiel semble se dessiner avec les candidatures de Nana Akufo-Addo
et de son prédécesseur John Dramani Mahama. Si quatre ans plus tôt,
l’actuel locataire du Flagstaff House avait le manteau d’un opposant
très critique des actions du gouvernement de l’époque, il s’agira cette
fois pour Nana Akufo-Addo de défendre son bilan, pour le moins mitigé.
En effet, si le mandat reste marqué par une politique
anti-corruption intense et un arrêt du programme de tutelle conclu avec
le FMI, le bilan socio-économique de l’homme de 75 ans reste mitigé.

Les progrès réalisés par l’économie ghanéenne profitent essentiellement aux riches.
Héritant d’un pays à l’économie chancelante, Nana
Akufo-Addo a opté dès son arrivée au pouvoir, pour la rigueur dans la
gestion des finances publiques. Il est parvenu à réduire le déficit
budgétaire qui est passé à 5,9% du PIB en 2017 et il table maintenant
sur une baisse progressive au cours des années qui suivront. Grâce à une
hausse de la production pétrolière, le pays a enregistré une croissance
économique de 8,5% en 2017, devenant ainsi l’une des locomotives de la
croissance africaine. Malheureusement, ces performances restent
entachées par une hausse inquiétante de la dette qui a atteint 59,4% du
PIB à la fin du mois de juillet 2019, dont 31% de dette extérieure.
D’après le FMI, elle devrait atteindre les 63%, d’ici à la fin de
l’année, alors que la Banque centrale indique que le déficit budgétaire
global s'est affiché à 3,9% du Produit intérieur brut au cours du
deuxième trimestre 2019, contre un objectif de seulement 3,2%.
Les perspectives tablent d’ailleurs sur un
essoufflement progressif de la croissance, portée jusqu’à présent par
les matières premières. Au cours des prochaines années, l’institution de
Bretton Woods prévoit une croissance autour de 5%, bien loin des 8,9%
de l’année 2017 ou encore des 6,3% de 2018.
Selon Philip Alston, rapporteur spécial de l’ONU sur
l’extrême pauvreté, les progrès réalisés par l’économie ghanéenne
profitent essentiellement aux riches. Le nombre de pauvres (24 % de la
population) ne change pas vraiment, alors que celui des millionnaires en
dollar est passé de 1900 en 2006 à 2900 en 2016, affichant une hausse
de 52 % en dix ans.
A quelques mois de l’élection présidentielle, Nana
Akufo-Addo pourrait encore avoir quelques cartes à jouer pour redresser
un bilan économique qui sera probablement au centre de la campagne qui
l’opposera à un John Dramani Mahama revanchard.
Burundi : vers la fin de l’ère Nkurunziza ?
Au Burundi, on se dirige en 2020, vers des élections
générales particulièrement importantes pour le pays et pour toute la
région des Grands Lacs. Si les élections législatives et communales sont
prévues pour le 20 mai prochain, c’est surtout l’élection
présidentielle prévue le même jour qui devrait monopoliser l’attention
de la communauté internationale.
En effet, il s’agira de la première élection
présidentielle à se tenir sans la participation du président Pierre
Nkurunziza, depuis 2005. L’homme de 55 ans qui avait déjà brigué en 2015
un troisième mandat anticonstitutionnel, a annoncé à la surprise
générale, au milieu de l’année 2019, son intention de ne pas se
présenter à la prochaine élection présidentielle. Ceci, alors que le
changement de constitution opéré en 2018 lui permettait de briguer un
nouveau mandat.
Laissant un pays économiquement exsangue, en plus
d’être marqué par des violences meurtrières sur fond d’autoritarisme, le
dirigeant semble donc vouloir céder la place à une nouvelle
personnalité qui conduira les destinées du pays.

Pierre Nkurunziza a annoncé qu’il ne se représentera pas.
Cependant, si le pouvoir en place loue un processus électoral « apaisé et ouvert », l’opposition en exil dénonce des élections à « huis clos », qui risquent d'envenimer la crise. « Ces
élections sont des élections de grands enjeux pour le Burundi. Ce ne
sont pas des élections qui vont apaiser le climat politique. Au
contraire, ce seront des élections qui vont aggraver la situation », a, à cet effet, déclaré Jean Minani, le président du Cnared, une plateforme qui regroupe une partie de l'opposition en exil.
Pour rappel, les violences et la répression qui ont
accompagné la crise post-électorale déclenchée par le troisième mandat
de Pierre Nkurunziza, auraient fait au moins 1200 morts et déplacé plus
de 400 000 personnes entre avril 2015 et mai 2017, selon les estimations
de la Cour pénale internationale qui a ouvert une enquête.
Centrafrique : élections tests pour une paix fébrile
Fin décembre 2020, ce sera au tour de la République
centrafricaine de se lancer dans le ballet des élections présidentielles
africaines. Pour le pays, il s’agira d’un véritable test démocratique,
la situation sécuritaire et économique étant encore précaire. En juin
dernier, l'Autorité nationale des élections (ANE) annonçait qu’elle
fixait « le premier tour des élections générales (présidentielle et
législatives) au 27 décembre 2020, tandis qu'un second tour, si
nécessaire, se tiendra le 14 février 2021 », pour un budget d’environ 33 millions $.

Un scrutin qui sera suivi de près par Moscou, nouvel acteur en Centrafrique.
S’il se représentait, l'actuel président centrafricain
Faustin-Archange Touadéra, élu en 2016, devra donc remettre en jeu son
fauteuil présidentiel après un bilan peu reluisant, malgré un accord de
paix signé en février avec 14 groupes armés. Le pays classé parmi les
plus pauvres du monde est toujours majoritairement contrôlé par des
groupes armés qui s'affrontent dans les provinces pour le contrôle des
ressources, notamment les diamants, l'or et le bétail, depuis le chaos
dans lequel a sombré le pays après le renversement du président François
Bozizé. Déjà, des rumeurs circulent sur l’éventualité d’un report du
scrutin. En cas de maintien des dates prévues, la difficile équation de
la tenue desdites élections sur toute l’étendue du territoire, et sans
violences, devrait être la priorité d’un gouvernement qui a encore du
mal à trouver une solution durable pour la sortie de crise.
Moutiou Adjibi Nourou
Par Ecofin Hebdo

