Les autorités japonaises ont immédiatement réagi dès la fin
de son "show" médiatique organisé
mercredi à Beyrouth, qui plus est sans
mâcher leurs mots, ce qui est rare.
"Pas convaincant", "fugitif hors-la-loi", "critiques inacceptables"
: le gouvernement, des personnalités mises en cause et les médias
japonais ont réagi, jeudi 9 janvier, avec colère, aux propos de Carlos Ghosn,
lui enjoignant de venir s'expliquer devant la justice nippone s'il a
des preuves. Alors qu'il attendait au Japon son procès pour diverses
malversations financières présumées, Carlos Ghosn s'est enfui fin
décembre au Liban, brisant l'interdiction formelle de quitter l'archipel
où il était libre sous caution depuis avril 2019. Mercredi, il s'est
exprimé pour la première fois depuis plus d'un an devant 150 journalistes triés sur le volet et il a dit tout le mal qu'il pense de la justice japonaise, où il se sentait condamné avant d'être jugé.
"Je
veux qu'il vienne affronter réellement la justice japonaise, mais il a
fui, alors même qu'il n'était pas enfermé, qu'il pouvait voir librement
ses avocats. Une telle attitude est inqualifiable", s'est agacée la
ministre de la Justice, Masako Mori, lors d'un point de presse à Tokyo
jeudi matin. Elle avait déjà réagi dans la nuit. "Dans tous les cas, son évasion n'est pas justifiable", a-t-elle poursuivi.
"Si
l'accusé Ghosn a quelque chose à dire sur son affaire pénale, qu'il
présente ses arguments ouvertement devant un tribunal japonais et
apporte des preuves concrètes. J'espère sincèrement que le prévenu Ghosn
déploiera tous les efforts possibles pour faire valoir son point de vue
dans le cadre d'une procédure pénale équitable au Japon", a répété la ministre. "Mon impression est qu'il n'y avait rien de probant", a-t-elle encore ajouté, en faisant référence aux dernières déclarations du Franco-libano-brésilien.
"Il apparaît trop plein de ressentiments"
Les procureurs nippons ont aussi fustigé les assertions de l'ex-patron de Renault-Nissan
dans un communiqué publié dès la fin de sa prestation survoltée. Pour
la énième fois, Carlos Ghosn a dénoncé une collusion entre les
procureurs, Nissan et la presse "qui s'est contentée de publier des fuites des enquêteurs, sans une once de critique ou d'analyse".
Réponse du berger à la bergère, les commentateurs des télévisions
japonaises n'ont exprimé jeudi matin aucune mansuétude à son égard.
"Il n'y a rien de nouveau dans ses propos, aucun élément concret convaincant, c'est plutôt un monologue émotionnel", a résumé un journaliste de la chaîne publique NHK. "Ghosn
était un homme d'affaires hors pair, ça ne fait pas de doute, mais dans
ce genre de spectacle, il apparaît trop plein de ressentiments et cela
manque d'arguments solides pour asseoir sa défense", a commenté Hisao Inoue, journaliste et essayiste qui a suivi l'affaire depuis le début.
"Quelqu'un qui joue un drame écrit par lui-même"
Même tonalité du côté des responsables de Nissan nommément mis en cause par Carlos Ghosn. "Je n'ai pas de temps à perdre avec quelqu'un qui joue un drame écrit par lui-même après avoir fui un pays en violant la loi", a lancé à la chaîne de télévision NTV Masakazu Toyoda, un administrateur extérieur du groupe automobile. "Si le contenu de la conférence de presse se limite à ça, il aurait pu la faire au Japon",
a ironisé l'ancien directeur général de Nissan Hiroto Saikawa, dénoncé
par le capitaine d'industrie comme étant un de ses fossoyeurs.
Dans
ce concert de critiques, beaucoup ont néanmoins été impressionnés par
les talents de polyglotte du "citoyen du monde" Ghosn (hormis le
japonais) et certains ont quand même donné un peu de crédit à ses
propos. "Si les médias japonais ont été écartés de cette conférence,
on n'y peut rien, c'est une conséquence de la défiance à l'égard d'une
presse qui écrit sans cesse 'le suspect Ghosn', 'l'accusé Ghosn' et
déroule sans recul les fuites des procureurs", a écrit sur Twitter l'intellectuel Kenichiro Mogi.
"Ce n'est pas en niant les problèmes du système pénal japonais mais
au contraire en reconnaissant ses lacunes et montrant la volonté d'y
remédier que la justice japonaise peut recouvrer la confiance", a-t-il estimé.
Par Franceinfo

