Pour Jean Philbert Nsengimana, ministre de la jeunesse et des nouvelles
technologies, le Rwanda est devenu une « start-up nation à
l’africaine ».
Kigali, la capitale d’un pays métamorphosé depuis la fin du génocide en 1994 accueille du mercredi 10 mai au vendredi 12 la conférence numérique Transform Africa qui sera consacrée aux Smart Cities africaines. Près de 4 000 délégués viendront des dix-huit pays d’Afrique membres de l’alliance Smart Africa, une initiative voulue par le président du Rwanda Paul Kagamé afin de renforcer le poids du numérique dans le développement économique du continent africain.
Entretien avec Jean Philbert Nsengimana, le ministre de la jeunesse et des nouvelles technologies, pour qui le Rwanda, qu’il qualifie de « start-up nation à l’africaine », est aujourd’hui prêt à exercer un leadership sur le continent en prenant la tête d’un mouvement africain des villes intelligentes.
Vous dites que Kigali est devenue une « ville
intelligente ». Quels ont été les résultats du programme Smart City
Kigali lancé en 2013 ?
Jean Philbert Nsengimana Premier résultat, Kigali
est aujourd’hui une capitale totalement connectée à Internet avec un
accès gratuit au Wi-Fi dans les espaces publics, dans les transports,
dans les restaurants, les hôtels, etc. Chaque partie de Kigali est
reliée à Internet grâce au réseau de 500 km de fibres optiques déployés
sur l’ensemble de la ville. Le second résultat est le fait que les
habitants de Kigali peuvent accéder à la totalité de leurs services municipaux sur Internet. Nous avons dématérialisé toutes les procédures pour le bien-être des administrés qui peuvent payer en ligne leurs impôts locaux, obtenir un permis de construire, un titre
de propriété, un extrait de naissance, etc. La plate-forme Kigali
Permit System, par exemple, fonctionne particulièrement bien et est très
populaire.
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Les habitants de Kigali peuvent également accéder à tous les plans locaux d’urbanisme et les visualiser en ligne, demander de l’information, estimer
la valeur de leur terrain, etc. Le troisième résultat est la
digitalisation de l’adressage de Kigali. Comme dans beaucoup de villes
africaines, notre capitale s’est beaucoup développée ces dix dernières
années avec la création de nouveaux quartiers et de nouvelles rues. Le
programme Smart City Kigali a permis de géolocaliser 100 % des rues de
la capitale.
Quelle est la prochaine étape ?
Aller plus loin vers la disparition de l’argent liquide afin que l’économie rwandaise devienne réellement « cashless ». Dans les transports publics de Kigali, vous
pouvez déjà payer votre trajet en touchant une borne avec votre
téléphone grâce à la technologie NFC. Nous sommes en train d’accompagner
les hôtels et les restaurants de Kigali dans leur transition vers le
paiement sans cash. Il reste cependant un gros travail à accomplir pour digitaliser les paiements des commerces et des petites échoppes de quartier.
La conférence Transform Africa 2017 s’ouvre cette semaine avec le thème de la ville intelligente. Pourquoi ?
La vision du président Paul Kagamé est que la transformation digitale doit être
au cœur du développement d’une Afrique qui peut être leader sur de
nombreux sujets comme la mobilité urbaine, la e-santé ou la
connectivité. Le Rwanda s’est transformé grâce aux nouvelles technologies et Kigali est devenue elle-même une ville intelligente. Nous souhaitons faire bénéficier
les Etats africains de notre expérience en diffusant nos bonnes
pratiques via un schéma directeur baptisé Smart Cities Bluprint qui sera
dévoilé durant la conférence Transform Africa. Smart Cities Bluprint
fixera une feuille de route pour tous les maires et décideurs africains
qui veulent transformer
leur ville. C’est la raison pour laquelle nous lancerons un réseau des
villes intelligentes africaines à l’issue de cette conférence.
L’usage des drones médicaux dans les zones rurales préfigure-t-il la ville intelligente africaine de demain ?
Effectivement, car la ville intelligente doit rapprocher
les citoyens des systèmes de santé grâce aux technologies. C’est la
raison pour laquelle nous expérimentons depuis 2016 la livraison de
médicaments de première nécessité vers les zones isolées par des drones
civils, en partenariat étroit entre le ministère de la santé du Rwanda,
les hôpitaux publics du pays et une société de robotique
américaine, Zipline. Les premiers tests sont remarquables et la
prochaine étape sera le passage à l’échelle de tout le territoire.
Comment cela fonctionne-t-il ?
Les drones décollent depuis leur base de Muhanga [province du sud du Rwanda] qui a l’avantage d’être situé au centre du pays, et livrent des poches de sang dans des lieux
difficiles d’accès. Comme par exemple Kilinda, une petite ville située
dans une zone très montagneuse et très isolée à l’ouest du Rwanda. Grâce
aux drones, des poches de sang peuvent être acheminées en quelques
dizaines de minutes au lieu de quatre à cinq heures par la voie
terrestre.
Combien de vies ont été sauvées grâce à ces drones médicaux ?
Plusieurs vies. J’ai en tête une belle histoire
qui remonte à quelques semaines, celle d’une femme enceinte qui a donné
la vie dans un centre de santé situé dans une zone montagneuse avant de
faire une hémorragie post partem. L’hémorragie était très sévère et la
maman avait besoin sur-le-champ de tous les lots de sang disponibles.
Les drones sont arrivés très rapidement sur place, en délivrant sept
poches de sang, du plasma, des plaquettes et des médicaments.
Aujourd’hui, la maman et son bébé sont en pleine santé. Si les poches de
sang avaient été livrées par la route, elle n’aurait pas survécu.
Samir Abdelkrim, entrepreneur et consultant avec StartupBRICS. com, un blog sur l’innovation dans les pays émergents, est chroniqueur technologies pour le Monde Afrique. Depuis 2014, il a parcouru une vingtaine d’écosystèmes start-up africains avec #TECHAfrique.

