Depuis le début des années 1990, les enquêtes montrent une nette hausse de la croyance en la
corruption des élites politiques.
De multiples sondages montrent, depuis quelques années, que de
nombreux Français sont enclins à croire en la corruption massive des
hommes politiques.
Cette croyance est fondée en partie sur les
informations données par les médias quant à des affaires qui montrent
l’implication de certains hommes politiques dans des faits délictueux
–qu’il s’agisse de détournements pour financer une formation politique
ou d’enrichissement personnel d’élus.
Un avis partagé par près de la moitié des enquêtes
De
ce point de vue, l’affaire Cahuzac est emblématique puisque c’est le
ministre du Budget, héros de la lutte contre la fraude fiscale, qui se
révèle l’avoir pratiquée à grande échelle: il est titulaire de comptes
non déclarés à l’étranger, a reçu des honoraires de laboratoires
médicaux pour une activité de conseil et dément pendant plusieurs mois
les informations qui le visent. Les médias avaient là une affaire de
rêve pour dénoncer un homme politique. Mais cette dénonciation –normale–
par les médias n’entraîne pas chez tous les citoyens le même jugement
pessimiste sur la moralité des élus.
Certains ressorts favorisent la croyance en la corruption des élus et des fonctionnaires, comme le montre l’enquête de l’International Social Survey Programme(ISSP), réalisée en France en 2016 et reprenant des questions identiques à 2006.
À peu près un Français sur deux juge que «beaucoup» ou «presque tous»
les hommes politiques sont corrompus, alors que seulement 14% d’entre
eux jugent que «presque tous» les élus sont honnêtes. Les jugements sont
beaucoup moins négatifs concernant les fonctionnaires. La comparaison
avec les résultats obtenus en 2006 ne montre pas d’évolution nette.
Moins de corruption, plus d’opinions négatives
D’autres
enquêtes dessinent une tendance quelque peu différente. Chaque année
depuis 1977, TNS Sofres demande à ses sondés si les hommes politiques
sont «plutôt honnêtes» ou «plutôt corrompus». Jusqu’à la fin des
années 1980, la croyance en leur corruption tournait autour de 40% et en
leur honnêteté autour de 35%, alors qu’environ 25% des sondés étaient
sans opinion.
C’est à la fin des années 1980 que la corruption
politique devient un sujet d’actualité plus important, en lien avec la
révélation d’affaires mais aussi avec une évolution des valeurs, les
individus devenant plus critiques à l’égard de la politique et se
montrant plus soucieux de moralité publique.
C’est très
probablement ce qui explique une baisse des non-réponses et une montée
de la croyance en la corruption, qui atteint 65% en 1991 et oscille par
la suite entre 52% et 64%.
Un nouveau palier est franchi en
2011 avec 72% de Français jugeant globalement les hommes politiques
«plutôt corrompus», un taux qui grimpe même jusqu’à 75% en 2016, selon
le baromètre Cevipof/Opinionway de la confiance politique.
On peut penser qu’il y a plutôt moins de corruption qu’autrefois, du fait des mesures prises depuis quelques années
afin de contrôler les responsables politiques et les finances des
partis. Des affaires retentissantes ont toutefois continué de sortir,
aussi bien sous les quinquennats de Nicolas Sarkozy que de François
Hollande; autrefois, la délinquance financière restait largement cachée ou avait peu d’écho dans l’opinion.
La médiatisation des affaires contribue certainement à augmenter la croyance en une corruption assez généralisée.
Fonctionnaires et faits de corruption
L’enquête
ISSP indique aussi le pourcentage de personnes qui ont constaté
elles-mêmes ou entendu parler par leur famille d’une tentative
d’extorsion, d’un pot-de-vin ou d’une faveur par un fonctionnaire depuis
cinq ans.
Seulement 14% des enquêtés ont eu connaissance directe
ou indirecte d’un fait de corruption de la part d’un fonctionnaire
(pourcentage décomposé en 1% «souvent», 5% «de temps en temps» et 8%
«rarement»): la constatation est nettement plus rare que la croyance.
Les
réponses à cette question objective sont très peu corrélées à ce que
sont les répondants. Autrement dit, quels que soient le groupe social et
les opinions politiques des individus, les différences sont minimes
dans les niveaux de corruption observée –beaucoup plus faibles que pour
la corruption perçue.
Vu du haut et d’en bas de l’échelle sociale
La
croyance en la corruption des hommes politiques et en celle des
fonctionnaires sont liées: plus on croit en l’une, plus on croit aussi
en l’autre. Ce qui autorise à construire un indice simple de la
corruption perçue des élites publiques, qui cumule les deux questions et
permet ensuite de distinguer trois catégories, selon qu’elle serait
rare, moyenne ou fréquente.
La croyance en la corruption des
élites publiques est plus fréquente chez les femmes, chez les 25-49 ans
(alors qu’elle apparaît plus rare pour les plus de 65 ans) et dans les
catégories sociales défavorisées: la corruption des élites publiques est
jugée fréquente par 54% des ouvriers, mais seulement par 34% des cadres
supérieurs; par 56% de ceux qui se perçoivent en bas de l’échelle
sociale, mais seulement par 33% de ceux qui se considèrent en haut.
L’expérience
de la précarité ou d’une condition sociale modeste entraîne un jugement
nettement plus négatif sur la moralité des élites.
À cette explication socio-économique, il convient d’ajouter des explications plus politiques.
La droite plus critique
Ce sont les
individus les plus à droite (en positions 9 et 10 de l’échelle
gauche-droite) qui sont les plus nombreux à considérer que la corruption
des élites est fréquente, alors que les personnes de gauche sont plus
mesurées dans leur critique. On a probablement là beaucoup de personnes
qui partagent le discours de la droite radicale sur le «tous pourris».
Moins
on s’intéresse à la politique et moins on se sent compétent sur les
questions politiques, plus on estime fréquente la corruption des élites.
L’éloignement des préoccupations politiques s’accompagne de jugements
négatifs à l’égard des élites, sans que l'on puisse véritablement dire
si l’éloignement produit la critique, ou si c’est la critique qui
explique l’éloignement. Il est possible que, selon les individus,
l'explication tienne plutôt de l’une ou plutôt de l’autre.
La
croyance en la corruption est également fortement liée au jugement porté
dans d’autres domaines sur ces élites. Si on estime que les hommes
politiques ne tiennent pas leurs promesses ou que les hauts
fonctionnaires ne sont pas dignes de confiance pour défendre l’intérêt
du pays, on juge très souvent que ces catégories sont aussi corrompues.
Si l'on a une image plus positive, on estime la corruption nettement
plus rare.
Discrédit général
La
croyance très répandue en la corruption des hommes politiques tient,
évidemment, à l’existence de certains scandales bien réels, qui sont
fortement médiatisés et réprouvés par les opinions publiques. Mais la
force et l’étendue de cette croyance dépendent fortement de ce que sont
les individus.
Les catégories populaires, les gens plus éloignés
du monde de la politique, les personnes proches de la droite radicale et
plus critiques à l’égard des élites sont beaucoup plus souvent
croyantes en leur corruption.
En définitive, la fréquence élevée
de la croyance en la corruption des élites exprime surtout le discrédit
assez général qui les frappe.
L’enquête ISSP est pilotée en France
par le CNRS depuis le laboratoire de sciences sociales PACTE, avec le
soutien de la TGIR PROGEDO et de l’ADISP/CMH. Elle porte chaque année
sur un sujet différent mais répliqué environ tous les dix ans.
Échantillon aléatoire auto-administré postal. 1.501 réponses en 2016.
Résultats détaillés des enquêtes annuelles sur www.issp-france.fr.