Le gouvernement du Tchad lance l’audit
des diplômes des fonctionnaires civils à travers la mise en
place d’un
comité de pilotage. Cet audit a pour but d’identifier et de répertorier
les faux diplômes, les faux titres et avancements dans la fonction
publique pour assainir et réactualiser les fiches de la solde. Que
penser vraiment d’une telle initiative?
Au Tchad, les idées et initiatives ne
manquent pas ! Ce qui manque, ce sont l’honnêteté et la volonté de poser
des actes qui servent l’intérêt général. Depuis 1991, le taux de
chômage des 15-24 ans est de 10,9% en moyenne. Pourtant, dans la
fonction publique, des milliers d’individus occupent illégalement des
postes grâce aux faux diplômes. L’audit des diplômes est en principe
salvateur non seulement pour l’Etat mais aussi pour les diplômés sans
emplois. Sauf que plusieurs éléments laissent planer des doutes sur la
crédibilité de cette opération.
Sélectivité et manque d’indépendance
Les premiers éléments de doute font même
partie de la décision. Les faux diplômes ne sont pas fabriqués
uniquement dans la fonction publique. Ils viennent de partout alors
pourquoi limiter l’audit à la fonction publique ? Le secteur privé
est-il irréprochable ? Certains agents de l’Assemblée Nationale et
d’autres hauts responsables des institutions étatiques et paraétatiques
sont, ces derniers mois, pointés du doigt pour détention de faux
diplômes par la presse locale. Circonscrire cet audit à une branche de
l’administration relève de la sélectivité discriminatoire, ce qui lui
ôte toute crédibilité.
Ensuite, l’équipe de pilotage de cet
audit lui porte un préjudice grave. Composé en grande partie des cadres
et membres du gouvernement, ce comité de pilotage ne présente guère les
gages d’impartialité nécessaire à une telle opération. Ces cadres font
partie des hauts placés qui usent de leurs positions pour faire des
intégrations à la fonction publique et desnominations un business qu’ils
entretiennent soigneusement. Leur présence dans ce comité laisse croire
que les potentielles victimes de cette chasse ne seront que des boucs
émissaires qu’ils sacrifieront ou encore des règlement de comptes
politiques comme ce fut le cas au Cameroun avec l’opération épervier.
Des antécédents pas très rassurants
En 2012, le gouvernement lance
« l’opération Cobra » pour combattre le détournement de deniers publics
(environs 300 milliards/an). Doté de moyens colossaux, Cobra n’a eu de
venin que pour les petits poissons qui n’ont que quelques miettes à
retourner à l’Etat. Il s’est retrouvé sans venin face à des
personnalités clés du régime qui demeurent jusqu’à nos jours
intouchables. Sans véritable force, « Cobra » est enterré en silence.
Toujours en 2012, le Système Intégré de
Gestion Administrative et Salariale du Personnel de l’Etat (SIGASPE)
importé du Burkina a été lancé. Ce système a permis d’identifier environ
4000 fonctionnaires fictifs et ceux ayant un double emploi représentant
quelques 17 milliards de FCFA. Puisque les hommes sont plus forts que
les institutions, les faussaires sont réhabilités dans leurs fonctions
et le SIGASPE a disparu pour des raisons ridicules : non paiement des
droits d’utilisation au Burkina, problème d’électricité et d’internet.
La vraie raison c’est que le SIGASPE faisait trop de victimes parmi les
hommes forts de ce pays. Ces deux exemples démontrent clairement que de
telles initiatives sont dorénavant voués à l’échec tant que le
clientélisme et la corruption sont érigés en mode de gouvernance.
Une politisation systémique de l’administration
En 1990, Deby à la tête des rebelles
chasse du pouvoir Hissein Habré. En guise de remerciement, les
ex-rebelles sont nommés à des postes de responsabilité. L’impunité entre
dans l’administration lorsque ces responsables par tous les moyens
cherchent à s’accaparer les biens et services de l’Etat qu’ils
considèrent comme butin de guerre. L’audit des diplômes qui couvre la
période allant de 1996 à 2016, montre clairement que dans cette affaire,
le règne du président Deby a joué un rôle prépondérant. S’attaquer aux
faux diplômés qui exercent déjà est intéressant mais que faire des
sources qui les produisent en amont ? Les faux diplômés dans la fonction
publique tchadienne ont trois provenances principales. D’abord, les
mouvements rebelles qui échangent leurs armes contre les postes et les
intégrations à la fonction publique au moment de leur ralliement.
Ensuite, les militants des partis politiques qui reçoivent ces
privilèges comme récompense de leur militantisme. Enfin, il y a les
membres des réseaux de copinage qui utilisent les liens amicaux,
parentaux et l’argent pour obtenir des avantages qu’ils ne méritent en
rien. L’Etat ne peut pas prétendre mener une guerre contre les
faussaires alors qu’il en est le premier complice. C’est là le paradoxe
tchadien qui jette du discrédit sur cette initiative qui sous d’autres
cieux mérite du soutien.
Trafic de faux diplômes
Cela dit, il faudrait rappeler aussi la
responsabilité des instituts et des écoles d’enseignement supérieur, qui
font des faux diplômes de véritables fonds de commerce. Déplorer les
agissements de ces établissements c’est souligner le rôle de l’Etat qui
est le régulateur avant et après la mise en place de ces établissements.
Les autorisations de fonctionner sont délivrées, parfois dans les
coulisses sans qu’il n’y ait d’enquêtes pour mettre en exergue les
compétences et l’intégrité des demandeurs. Les cahiers de charges sont
soit trop vagues, soit non respectés en raison de la corruption des
contrôleurs. Résultat, ces établissements « commerçants » prolifèrent et
se mettent à marchander des diplômes à tout le monde.
Auditer les diplômes est une initiative
salutaire dans ce pays où des individus véreux font perdre énormément
d’argent à l’Etat. Seulement, l’audit des diplômes tel que lancé doit
aller au delà des limites qu’il se fixe. Il ne sert à rien d’identifier
les faussaires et ne pas combattre les diverses sources qui les
fabriquent. Il faut à ce titre libérer et renforcer les pouvoirs de la
justice afin qu’elle puisque appliquer les décisions prises lors de ces
genres d’opération. La diversification de l’économie s’avère aussi
important pour offrir d’autres opportunités d’emploi car, tant que tout
le monde aura les yeux rivés sur la fonction publique, il y aura
toujours des personnes qui useront de tous les moyens pour y avoir
accès. Enfin, si l’audit n’est pas confié à un cabinet indépendant qui
pourrait rendre publics les résultats, il sera vu comme un nouvel
éléphant blanc ou juste une farce utilisée par le gouvernement pour
endormir la population.
OREDJE Narcisse, bloggeur tchadien. Le 10 novembre 2017.