En RDC, les autorités ont enfin fixé une date
pour les élections.
Dimanche dernier, elles ont annoncé que la
présidentielle et les législatives auraient lieu le 23 décembre 2018,
soit plus de deux ans après le terme officiel du second mandat de Joseph
Kabila. Que penser de cette promesse ? Le consultant belge Kris
Berwouts a notamment été un expert de l'Union européenne auprès de l'ONU
à Kinshasa. Il vient de publier en anglais, chez Zed Books, l'ouvrage
« Congo's violent peace » (en français, « Paix violente au Congo »).
En ligne de Bruxelles, il répond aux questions de RFI.
RFI : Après avoir évoqué la date d’avril 2019,
Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale nationale
indépendante (Céni), fixe aujourd’hui la date du 23 décembre 2018.
Pourquoi cette valse-hésitation ?
Kris Berwouts : Je pense que les dates ont été changées sous l’influence de la visite de l’ambassadrice des Etats-Unis auprès
des Nations unies, Nikky Haley. Elle a visité le Congo il y a une
dizaine de jours avec une délégation importante, et elle a exprimé son
souhait que les élections soient organisées au courant de l’année 2018.
« Les élections doivent être organisées en 2018, sinon
le Congo ne doit pas compter sur le soutien des Etats-Unis et de la
communauté internationale », a-t-elle alors déclaré.
Voilà. Disons que pour le président Kabila, ces déclarations [de la
Céni] diminuent un peu la pression sur la période de la fin d’année que
nous avons devant nous maintenant. L’Etat congolais, le régime
congolais, s’attend à une forte pression qui vient de l’intérieur, qui
vient du terrain, qui vient de la population fâchée dans les villes, qui
vient des zones rurales qui sont en train d’échapper à son contrôle.
Alors maintenant, le fait qu’il y a une telle déclaration, qu’on gagne
un an, si vous voulez, cela diminue un peu la pression.
C’est une parenthèse, mais est-ce que cette pression américaine
montre que Donald Trump est aussi intéressé par le Congo-Kinshasa que
son prédécesseur, Barack Obama ?
Personnellement, j’en doute. Par exemple, la disparition de la
fonction d’envoyé spécial des Etats-Unis montre que le Congo a diminué
de poids pour la diplomatie américaine. Je ne pense pas que la pression
est maintenue au même niveau.
Alors cette date du 23 décembre 2018, c’est une première. Aucune
date n’avait été fixée auparavant. Est-ce que c’est le signe que la
présidentielle, les législatives, toutes les élections auront bien lieu à
cette date ?
Je continue à m’inquiéter un peu. Il y a beaucoup de questions
pratiques, logistiques, financières autour de l’organisation des
élections, mais la première question, le point crucial, c’est quand même
la volonté politique. Aujourd’hui, on souhaiterait avoir quand même un
signal très fort que le régime va prendre ces dates au sérieux et
que le président Kabila va déclarer qu’il ne participera pas, parce que
cela aussi est parmi les souhaits que madame Nikky Haley a exprimés.
Madame Nikky Haley justement déclare : « Maintenant,
la publication d’un calendrier électoral, qui était longtemps
attendue, établit un échéancier clair pour une transition du pouvoir ». C’est-à-dire que visiblement, pour elle, c’est une bonne nouvelle et elle veut y croire ?
Nous faisons tous des efforts pour y croire,
mais on a besoin quand même d’un engagement très fort du gouvernement.
Et aussi des gens qui ont cru, y compris moi, dans l’Accord de la
Saint-Sylvestre [entre le pouvoir et l’opposition le 31 décembre 2016].
Rapidement après la signature de l’Accord, on a quand même vu des
indications que le régime n’avait pas du tout l’intention de respecter
les dates limites [du 31 décembre 2017]. Alors aujourd’hui,
effectivement, c’est un pas en avant. La prochaine étape, c’est quand
même la preuve qu’on va vers des élections.
C’est-à-dire qu’après le premier glissement vers 2017, puis le deuxième vers 2018, vous redoutez un troisième glissement ?
Le président Kabila dans les années passées a fait plusieurs
tentatives pour consolider son régime au-delà de ses limites
constitutionnelles. Il n’a jamais réussi à trouver une solution durable,
ni un référendum, ni un troisième mandat. Alors la seule chose qui
marche jusque-là, c’est de tomber de glissement en glissement. Mais là
aussi, il y a des limites bien sûr parce que la population est quand
même fâchée, parce que ses conditions de vie ne se sont pas améliorées
considérablement depuis le début du régime il y a vingt ans. Et donc la
population a développé dans son sein un potentiel de révolte, un rejet,
un ras-le-bol généralisé contre le régime. Je ne pense pas qu’on peut
glisser éternellement.
« De nouveaux retards ne feront qu’isoler les dirigeants congolais », menace l’ambassadrice américaine, Nikky Haley ?
Oui, je le crois aussi. Non seulement aux yeux de la communauté
internationale, y compris des pays voisins, mais aussi aux yeux de la
population qui s’attend à une alternance parce qu’elle croit que c’est
nécessaire pour que ses conditions de vie s’améliorent.
Vous dites, « La population est fâchée ». Mais les
derniers appels à des journées ville morte, qu’ils viennent de
l’opposition ou de la société civile, n’ont pas rencontré beaucoup de
succès. Est-ce qu’il n’y a pas un essoufflement du côté de l’opposition ?
Il y a la capacité de l’opposition et de la société civile de
mobiliser cette population. Cette capacité est en train de diminuer. Le
mot qu’on entend beaucoup, c’est « l’auto prise en charge » de
la population. Jusqu’à maintenant, l’opposition congolaise n’a pas
convaincu et elle n’a pas pu mettre en place une structure harmonisée
pour ses combats politiques. C’est une question de leadership moral.
Du vivant d’Etienne Tshisekedi, en 2016 notamment, il y a eu de grandes manifestations. Mais depuis sa mort le 1er février 2017, il n’y a plus eu de grand mouvement populaire au Congo. Est-ce une simple coïncidence ?
La clé, avec ou sans Etienne Tshisekedi, est une opposition qui
travaille ensemble, qui met en place une structure, au moins une
collaboration, et qui est capable d’expliquer à la population quel est
son projet de société. Jusque-là, on n’a pas entendu cela.