Une partie de l’armée, qui dénie avoir
fomenté un coup d’Etat, a pris le contrôle de la capitale, Hararé,
précisant que le président Mugabe reste au pouvoir.
L’abcès a crevé en une nuit. Au Zimbabwe, un officier en uniforme camouflage est apparu à la télévision nationale, aux petites heures du matin pour annoncer gravement, béret vissé sur la tête, que l’armée contrôlait la situation dans le pays avant d’ajouter : « Nous voulons qu’il soit absolument clair que ceci n’est pas un coup d’Etat. » Voilà un genre qui avait disparu de la surface de la planète
des coups de force militaires depuis plusieurs décennies. Mais, en
raison sans doute de l’âge de son président, Robert Mugabe, 93 ans, le
Zimbabwe entretient un rapport particulier avec le temps. Les militaires
viennent donc de renouveler ce genre délicat du ceci-n’est-pas-un-coup-d’Etat, mercredi matin 15 novembre.
Juste avant l’aube, à Hararé, le général Sibusiso Moyo, porte-parole des Forces de défense
du Zimbabwe (ZDF), apparaissait donc à la télévision nationale pour
annoncer la nouvelle, emballée de mille précautions oratoires : « Ce que les ZDF sont en train de faire est de ramener le calme dans une situation politique, sociale et économique en train de dégénérer dans le pays, qui, si cela n’est pas fait, va se terminer en conflit violent. »
« Sécurité garantie »
En réalité, c’est la guerre de succession de Robert Mugabe qui vient de connaître
une nouvelle phase brusque, sans que le président, dans l’immédiat, ne
soit visé officiellement. Rhétoriquement, tout au moins, le vieillard
frêle qui alterne moments de désarroi et extrême lucidité, est présenté
comme le chef incontesté du pays et de ses institutions, y compris l’armée. « Nous voulons assurer
la nation que son excellence, le président de la République du
Zimbabwe, chef de l’Etat, du gouvernement et des forces défense du
Zimbabwe, le camarade Robert Gabriel Mugabe et sa famille, sont sains et saufs, et leur sécurité garantie, a assuré le général Sibusiso Moyo. Nous
ne visons que des criminels qui ont été à l’origine de nombreux crimes
ayant entraîné des souffrances sociales et économiques dans le pays dans
le but de les amener devant la justice. »
Robert Mugabe n’est pas intervenu publiquement depuis plusieurs
jours. La veille, il tenait un conseil dans ses bureaux de la
présidence. Mercredi matin, ces bureaux, comme ceux du Parlement, et
différents points de Harare, étaient entourés par des blindés. On ignore
l’état exact de sa situation en dehors de sa « sécurité garantie »,
signifiant par là qu’il n’a pas été tué dans l’opération, mais sans
doute retenu contre son gré, ainsi que son épouse, Grace, qui avait
poussé de toutes ses forces, ces dernières semaines, pour tenter de lui tordre le bras et prendre
sa succession. Dans les milieux bien informés, on évoquait l’hypothèse
d’une abdication potentielle du chef de l’Etat dans les prochains mois,
au profit de son épouse, plus jeune que lui de quarante et un ans, qui
limitait l’accès au seul dirigeant que le Zimbabwe ait connu depuis
l’indépendance en 1980.
L’objet de l’opération militaire nocturne est, en premier lieu, de faire triompher, au sein du parti au pouvoir, la Zanu-PF, la faction des partisans du vice-président, Emmerson Mnangagwa, qui a été démis de ses fonctions et contraint de quitter
le pays clandestinement, le 6 novembre, afin d’éviter une arrestation,
face à celle de Madame Mugabe, et de ses alliés. Ces dernières semaines,
la Génération 40 (G40), la faction de Grace (que la rue surnomme
« Disgrâce » en raison de ses outrances, de ses dépenses et,
dernièrement, de sa virulence inquiétante) avait opéré une offensive
interne, obtenant de Robert Mugabe qu’il limoge le vice-président
Mnangagwa, qui dirige la faction Lacoste, baptisée ainsi en raison du
nom de son groupe de combattants pendant la guerre de libération, le
« gang crocodile ». Reste que les alliés du « Crocodile « étaient
nombreux, occupant des postes dans le gouvernement, l’administration,
l’armée, et à la tête de certaines régions.
« A la poursuite de la démocratie authentique »
La « purge » déclenchée par leurs ennemis depuis une semaine n’était
donc pas une affaire sans risque. Celle-ci a désormais échoué mais,
inversement, il n’est pas certain que les partisans du G40, qui comptent
des soutiens dans les forces de sécurité, admettent leur défaite. Mais
les partisans du groupe Lacoste avaient passé des mois à se préparer, tissant de nombreux liens, y compris à l’extérieur du pays.
Emmerson Mnangagwa, pourtant impliqué dans de nombreux détournements
(ses adversaires l’accusent même d’avoir volé 15 milliards de dollars)
était parvenu à faire la démonstration qu’il serait la « meilleure chance des investisseurs au Zimbabwe » comme de nombreuses sources dans ce milieu l’affirmaient, notamment dans le secteur minier. L’une de ces sources, responsable Afrique d’un des grands groupes miniers, commentait ainsi, mercredi matin, l’évolution de la situation : « J’espère que ça va bouger positivement, on surveille le Zimbabwe avec beaucoup d’intérêt. » Le général Chiwenga, chef des armées du Zimbabwe, avec le
président Robert Mugabe, le 14 novembre 2017, veille du coup de force
fomenté par une partie de l’armée.Crédits : Philimon Bulawayo / REUTERS
Les ressources du sous-sol du pays, peu et mal explorées, sont l’un
des derniers trésors cachés de la planète dans ce secteur. En parallèle,
selon une source bien informée, Mnangagwa avait aussi fait jouer ses relations en Chine.
Des groupes miniers chinois sont très présents au Zimbabwe, en liaison
avec l’armée, à travers des montages souvent opaques, mais fortement
rémunérateurs. En 2016, Robert Mugabe s’était fâché avec les
investisseurs chinois, provoquant le départ de plusieurs compagnies
(notamment la compagnie Anjin, pilier historique) et la colère de Pékin.
Beaucoup moins délicat dans la rhétorique que le porte-parole de
l’armée, Christopher Mutsvangwa, le président de l’Association nationale
des vétérans de la guerre de libération (ZNWLVA), en exil depuis
quelques jours en Afrique du Sud et l’un des piliers de la faction Lacoste, commentait ainsi la situation : « Nous
louons la dernière manifestation d’extrême courage et de ténacité de
notre commandement militaire, dirigé par le général Chiwenga, qui a pris
le pouvoir dans un coup d’Etat sans verser le sang. (…) Le Zimbabwe peut désormais commence une nouvelle page de son Histoire, à la poursuite de la démocratie authentique qui va mener à la prospérité tous ses habitants. »
Dans la nuit, il y avait eu une parenthèse de plusieurs heures d’un
calme étrange à Hararé. L’aéroport n’avait pas été fermé, malgré les
rumeurs de coups d’Etat, les blindés signalés à la périphérie, les
menaces de violence émanant de deux factions opposées au sein du
pouvoir. Le président, Robert Mugabe, était lui aussi silencieux. Il
venait d’être défié par une partie de l’armée. Sur quelles forces
pouvait-il encore compter ? Vers minuit, des buveurs terminaient une
bière, en chuchotant à la buvette de l’aéroport, au sud de la ville.
Employés, agents de renseignement subitement las de tout, la parole se
libérait. « On a cru que c’était bon, cet après-midi, tout le monde était prêt à descendre dans la rue, pour célébrer la défaite de Grace Mugabe. On a été tellement patients, attendant gentiment la fin de Mugabe pour passer à autre chose, mais là, depuis qu’il veut nous imposer sa femme, c’est le coup de trop. On ne va jamais s’en sortir », glissait
un mélancolique en retournant son téléphone dans l’attente de messages
annonçant que quelque chose, finalement allait se produire.
Le chef de l’armée, le général Chiwenga, entouré de près de cent
officiers, n’avait-il pas annoncé depuis le quartier général des FDZ,
lundi soir, que les militaires allaient « intervenir » ?
« S’abstenir de s’engager sur la voie de la violence »
Vers la ville, là où étaient passés de fantomatiques blindés quelques
heures plus tôt, les avenues étaient désertes. Pas un barrage de la police
en vue, pas un uniforme. Puis, vers une heure du matin, quelques tirs
retentissaient, isolés. Hormis ces explosions, qui ne signifiaient pas
le début du combat mais sonnaient comme une mise en garde, la capitale
du Zimbabwe était silencieuse comme une tombe. Tandis qu’une pluie lente
tombait avait commencé le grondement des véhicules militaires en train
de se déployer
après leur courte apparition de l’après-midi. Ils prenaient position en
ville, et entraient à la télévision nationale, la ZBC. Des
arrestations, au même moment, avaient lieu, notamment de ministres
proches de la faction G40, de Grace Mugabe. Le président zimbabwéen Robert Mugabe le 7 octobre 2017 à Harare.Crédits : Philimon Bulawayo/REUTERS
En quelques heures, le pouvoir avait changé de main au Zimbabwe. Il est encore trop tôt pour affirmer
que la chaîne des événements est terminée, et du reste le discours
s’accompagne d’une mise en garde à l’adresse des partis politiques : « Nous demandons à vos membres de vousabstenir de s’engager sur la voie de la violence. »
Le coup-d’Etat-qui-n’en-est-pas-un est avant tout une révolution de
palais. L’opposition, pour l’heure, n’est pas associée à un changement
de pouvoir qui s’opère… au sein du pouvoir. Emmerson Mnangagwa a été un
proche de Robert Mugabe depuis les années de la guerre de libération.
Puis il a été son proche collaborateur avant de prendre la direction des
services de renseignement à l’indépendance. Il avait été au premier
plan dans la politique
d’écrasement du parti allié dirigé par Joshua Nkomo, la Zapu, et de
l’opération sanglante contre la région qui était supposée le soutenir (encore aujourd’hui un tabou au Zimbabwe).
En dépit de cette évolution endogame, un fait est important : pour la
première fois, un mouvement de libération au pouvoir en Afrique
australe vient de connaître une transformation par la force. La région
va-t-elle l’admettre ? C’est pour tenter de cimenter
leur action que les responsables de la faction Lacoste tiennent tant à
assurer qu’il ne s’agit pas d’un coup d’Etat, et que le président Mugabe
reste au pouvoir. Mais, dans les capitales alentour, chacun a compris
le message.