Démis de ses fonctions de ministre de la Culture ce 8 février,
Mahamat Saleh Haroun dit être parti de
sa propre volonté, suite à une
mésentente avec le gouvernement : il a refusé de dresser la liste des
fonctionnaires en grève au sein de son administration. Au sein du
gouvernement tchadien, certains expliquent plutôt son départ par son
tempérament frondeur, peu apprécié en haut lieu.
Jeudi 8 février, le conseil de cabinet du gouvernement du
Tchad, présidé par le Premier ministre Pahimi Padacket Albert, aborde
l’épineuse question du mouvement social qui touche, notamment, les
agents du secteur public, en grève illimitée depuis la fin janvier pour
protester contre les coupes opérées sur leurs salaires. Les ministres
prennent la parole à tour de rôle pour exposer les dispositions prises
dans leurs services pour vérifier la présence de chaque fonctionnaire à
son poste.
« Problème moral »
Lorsque son tour arrive, le ministre de la Jeunesse, du
Tourisme, de la Culture, des Sports et de l’Artisanat, Mahamat Saleh
Haroun, déclare qu’il se refuse à dresser la liste des présents au sein
de son ministère. « Cela me pose un problème moral, au vu de la
souffrance de ces gens », lâche-t-il.
Stupéfaction autour de la table. « Il avait bien préparé son
coup », confiera plus tard un des ministres présents. Deux heures plus
tard, un décret annonce le remplacement du cinéaste primé à Cannes par
Djibert Younous. Mahamat Saleh Haroun, lui, est « appelé à d’autres
fonctions ».
Depuis hier, plusieurs hauts-fonctionnaires contactés par Jeune Afrique,
qui refusent de s’étendre sur le sujet, réutilisent à l’envie le terme
de « remaniement ». Mais celui-ci ne concerne toutefois qu’un seul
membre du gouvernement : Mahamat Saleh Haroun.
Dans les heures qui ont suivi l’annonce, les premières
analyses pointent, comme origine de l’éviction du ministre, l’entretien
qu’il a accordé à Jeune Afrique, publié le 28 janvier. Mais
jeudi, dans la soirée, l’ex-ministre a fait publier par une agence de
communication un texte dans lequel il indique qu’il n’a pas été limogé. «
J’ai déposé ma démission le 6 février à 9h30. Elle a été acceptée jeudi
matin », écrit-il.
Une démission mise en scène ?
De sources proches de l’ancien ministre, celui-ci aurait en
effet été mal à l’aise, depuis un bon moment, au sein du gouvernement. «
Il a même tenté de partir il y a quelques mois », confie l’une de ses
collaboratrices. À son retour de Paris, où il s’est rendu pour la sortie
de son film Une saison en France, sa décision était prise.
C’est en petit comité qu’il a préparé sa lettre de démission. Sa sortie,
lors du conseil de cabinet de ce jeudi, n’aurait-elle donc été qu’une
mise en scène ?
Un ami du cinéaste à N’Djamena assure à Jeune Afrique que
« son communiqué est tout à fait sincère. La manière dont les
manifestations sont gérées lui déplaît. Il a remis sa démission le
mardi, elle a été acceptée le jeudi ».
Mais une autre source proche de Saleh Haroun affirme au
contraire qu’« il y a quelques jours encore, il travaillait à ses
dossiers » et qu’il « y a eu une accélération » inattendue des
événements.
Accumulation de tensions
Plusieurs sources concordantes font état de tensions
accumulées ces derniers mois entre le cinéaste et d’autres haut
fonctionnaires. « La situation paraissait compliquée : il voyageait en
France, continuait à travailler à ses films, s’exprimait dans les
médias. Il est plus artiste que ministre, il aime travailler seul. Il
n’a pas dû s’acclimater, et les gouvernements tchadiens ne sont pas des
modèles de souplesse », avance un ministre, sous couvert d’anonymat.
Le statut particulier dont il bénéficiait au sein du
gouvernement – il était logé dans une villa réservée aux hôtes de marque
et profitait d’un véhicule de fonction différent de celui des autres
ministres – ne lui a pas fait que des amis. Autre facteur qui a pu jouer
: « Il parle très librement », témoignent plusieurs ministres. Une
posture qui lui aurait valu des difficultés avec plusieurs de ses
collègues, sur divers sujets.
La crise sociale qui se joue au Tchad bouscule en tout cas
le gouvernement : fin janvier, toujours par décret, c’est Ahmadaye
Abdelkerim Bakhit qui avait perdu son portefeuille de ministre de la
Sécurité. Et depuis plusieurs mois, les remaniements et évictions de
ministres se font plus fréquents. Saleh Haroun n’est que le nom le plus
connu.
Source: Jeune Afrique