Après #MeToo et l'affaire de la Ligue du Lol, c'est au tour du
monde de la publicité et de la
communication de connaître sa révolution
féministe. Et alors que les témoignages de harcèlement et de sexisme se
multiplient, le milieu s'organise pour enfin mettre fin à la masculinité
toxique qui le gangrène. Entretien avec Christelle Delarue, directrice
de la première agence féministe et à l'initiative de l'association Les
Lionnes.
En novembre dernier, on l'avait rencontrée pour discuter de son
agence de publicité féministe, Mad & Women, de son parcours et de
sexisme. Depuis, Christelle Delarue n'a pas chômé. A 37 ans,la militante
n'a pas fini de mener la révolution.
Nommée Advisor Expert
spécialiste des questions d'égalité hommes-femmes pour l'UNESCO (ses
missions : montrer en quoi la publicité sexiste détruit l'égalité des
chances, oeuvrer pour la promotion du talent féminin et promouvoir
l'égalité des personnes racisées - entre autres - par le biais
d'ateliers et de conférences), la publicitaire s'est lancée dans une
autre aventure, plus que nécessaire : Les Lionnes, une association qui a
pour but de sécuriser la parole des femmes victimes de sexisme et de
harcèlement, dans un monde de la pub et de la com toujours sous
domination patriarcale. Mot d'ordre : sororité et entraide.
#MeTooPub
"En
tant que femme dans le milieu de la pub, on a le sentiment que ça
avance et que tout va bien. En réalité, à 30 ans, le sexisme, le
patriarcat et le management qui en découle m'avaient essoufflée".
Après
un break, c'est par l'entraide et les liens tissés avec d'autres femmes
travaillant dans le milieu de la pub que Christelle Delarue a retrouvé
l'amour de son métier et lancé son agence, la première ouvertement
féministe. Et loin de se contenter de "faire de la publicité autrement",
d'enchaîner les conférences et d'oeuvrer avec la mairie de Paris pour
l'interdiction des publicités sexistes dans l'espace public, elle mène
la lutte pour un vrai basculement des mentalités dans un domaine
longtemps considéré comme "cool".
"On travaille avec des
personnes égotiques. Les blagues sexistes et les comportements déviants
sont courants. Le harcèlement moral et sexuel, je l'ai bien connu. Tout
cela invisibilise le talent des femmes. On ne compte que 11% de femmes
directrices de création. Tant qu'on ne fera pas évoluer ce chiffre, on
ne changera pas cette industrie. Si la créativité est du côté des
hommes, on ne représentera pas le talent féminin."
Pire que
la domination du patriarcat sur cette industrie (qui influe sur la
nature des publicités qu'on voit, mettant le plus souvent en scène des
femmes, nues de préférence, pour vendre tout et n'importe quoi), nombre
de témoignages récents font état d'affaires de harcèlement. Des cas
graves dont le journal Le Monde s'est fait écho, publiant la tribune de Christelle Delarue pour enfin mettre un bon coup de pied dans la fourmilière.
"Après
#MeToo et #BalanceTonPorc, j'ai reçu 223 témoignages de femmes. Quand
on reçoit ça, on pleure, c'est effroyable. Depuis, je travaille avec
elles pour qu'elles reçoivent réparation. Parler dans ce milieu
bourgeois et col blanc n'est pas facile. Il faut de l'entraide. Puis
l'affaire Ligue du Lol est arrivée et ça a été un nouveau basculement.
Je me suis rendu compte de la nécessité de monter une asso pour faire
face au #MeToo de la pub".
Les Lionnes à l'assaut du patriarcat
Les
Lionnes ont ainsi vu le jour il y a quelques jours. L'objectif de cette
association : offrir un espace protecteur pour les femmes travaillant
dans l'industrie de la communication et de la pub. Et accompagner les
démarches en justice de celles qui portent plaintes. "Il faut
verrouiller les preuves, c'est un long travail. Ces femmes ont besoin de
dire qui leur ont fait vivre ça, pour se réparer psychologiquement." Dénoncer devient un passage obligé quand rien ne bouge.
L'objectif est aussi d'éduquer pour transformer en profondeur l'industrie. "On
ressent souvent un sentiment d'impuissance lié au fait qu'on n'est pas
forcément très nombreuses au sein des agences. Il faut cultiver
l'attitude sororale et miser sur la force du collectif, sur la
bienveillance." Les femmes grandissent aussi avec le sexisme et
l'idée que l'accepter et le reproduire leur vaudra peut-être de mieux
évoluer. Être en compétition avec ses collègues féminines est d'ailleurs
une idée bien ancrée, et en réalité destructrice.
Casser la
culture machiste et misogyne passe par cette sororité, pour être enfin
en capacité de faire entendre sa voix et dire "non, je ne suis pas
d'accord". "Il faut insister sur le fait que tout comportement qu'on
ne juge pas normal doit être discuté avec sa direction. Si on n'a pas
confiance en cette dernière, il faut se tourner vers des associations,
comme Les Lionnes."
Déjà 150 femmes y ont adhéré. Et si Les
Lionnes est un collectif 100% féminin, Christelle Delarue rappelle
combien le soutien des hommes est déterminant dans la réussite de cette
révolution féministe. "Ma génération, avec l'aide d'hommes
bienveillants, peut faire basculer les choses. Il faut bien se dire
qu'un monde sans publicité sexiste est possible. Et que le sexisme
dénigre les hommes comme les femmes et n'est pas porteur d'innovation.
Lutter contre, c'est d'utilité publique aujourd'hui. La lutte n'est
d'ailleurs pas quelque chose d'agressif, c'est énergétique, pluriel,
drôle, célébratif."
Par puretrend.com