
L’opposant Camerounais Maurice Kamto a été
libéré le 5
octobre dernier, après avoir passé plus de huit mois en
détention. L’annonce avait été faite la veille par le président Paul
Biya. Président du MRC, Maurice Kamto avait été arrêté à la fin de
janvier avec des centaines de ses partisans à la suite des
manifestations contre les résultats de la dernière présidentielle. C'est
un document RFI.
RFI : Maurice Kamto, vous voilà libre, après plus de huit mois de prison. Quelle est votre réaction ?
Maurice Kamto : Je
n’ai pas de réaction particulière. Il fallait bien que cette détention
prenne fin à un moment donné et elle a pris fin, tant mieux.
Saluez-vous le geste du président Biya ?
Que
faut-il saluer là-dedans ? Saluer que l’on vous restitue votre liberté,
après neuf mois de détention injustifiée, illégale, à la suite d’une
arrestation arbitraire ? Je ne vois pas un geste ou un acte de
magnanimité quelconque.
Mais il aurait pu ne pas vous libérer.
Il aurait pu, mais il l’a fait. Que voulez-vous que je dise de plus ?
Certains y vont vu un geste d’apaisement.
Tant
mieux s’ils voient cela de cette façon. Mais ce n’est pas eux qui
étaient en prison. C’est moi, mes camarades et mes alliés.
Allez-vous continuer à contester les résultats de la présidentielle de l’an dernier ou allez-vous tourner cette page ?
Qu’est-ce
qui a amené la contestation ? Est-ce que ce qui était à l’origine de la
contestation a été réglé ? J’avais tendu la main pour que l’on solde le
passif de cette élection. Personne n’a jamais saisi ma main. Cette main
reste tendue, d’ailleurs. Mais il ne faut pas nous demander de tourner
une page. Qui refuse de se tourner ? Ce n’est pas nous qui refusons de
tourner la page.
Mais les manifestations, est-ce que, c’est terminé ?
La résistance nationale va se poursuivre dans les formes et les modalités que nous indiquerons le moment venu.
Votre libération a-t-elle été le résultat d’un accord avec la présidence ?
Je suis formel. Nous n’avons eu de pourparlers avec personne.
Le président Macron a-t-il eu raison, selon vous, de rencontrer le président Paul Biya à Lyon ?
Je n’ai pas à juger les actes du président français. Je n’étais pas à Lyon et je ne sais pas ce qu’ils se sont dit là-bas.
Vous
demandez aujourd’hui la libération de tous les prisonniers politiques, y
compris celle de leaders séparatistes anglophones, comme Sisiku Ayuk
Tabe. Vous l’avez rencontré en prison ?
On partageait la
même cour, donc il aurait fallu être particulièrement impoli pour qu’on
ne se dise pas bonjour. J’ai le sentiment profond que, tant que le
dialogue n’associe pas et n’implique pas les leaders des groupes armés
séparatistes, fédéralistes, tout ce que vous voulez… Mais ne les
implique pas directement dans les négociations sur la forme de l’État,
nous n’aurons pas la paix ou une paix durable dans ces régions. C’est
dans ce cadre-là que nous demandons – et parce que nous croyons que
c’est nécessaire –, la libération d'Ayuk Tabe Sisiku et les autres.
Les
séparatistes rejettent les conclusions du grand dialogue national.
Est-ce que, selon vous, la décentralisation avec un statut spécial pour
les deux régions anglophones peut aider au règlement de la crise, tout
de même ?
Le dialogue attendu n’a pas eu
lieu. Fallait-il attendre près de 3 000 morts, quelque un million de
déplacés internes, près de 40 000 réfugiés au Nigeria, 300 villages
rasés, trois années de scolarité perdues, des pans entiers de
l’économique effondrés, pour venir servir une solution qui est contenue
dans la Constitution de 1996 ? Donc il n’y a rien de nouveau.
Mais des Camerounais se sont parlé tout de même. Un travail a été fait. Est-ce que cela, vous le reconnaissez ?
Les
Camerounais se sont parlé… Des Camerounais d’un même parti politique
qu’on a choisis en décorant ou en essayant de panacher avec quelques
personnes… C’est ça, les Camerounais qui se sont parlé ? J’aurais bien
voulu que la solution issue du grand dialogue national soit
satisfaisante pour ceux qui ont pris les armes ou en tout cas pour les
contestataires des régions du nord-ouest et du sud-ouest.
Je
constate que la situation s’est plutôt aggravée sur le terrain. Je dis
que, quelle que soit la solution que l’on veut retenir, au final, il
faut discuter franchement avec les gens. Partout ailleurs, face à une
crise, on appelle les acteurs de la crise autour d’une table. On discute
dans le but de trouver une solution et non pas dans le but de faire une
manœuvre, de faire de la ruse politique. Il y a des choses sur
lesquelles on ne fait pas de la ruse politique.
Et quand
vous avez entendu le sultan de Bamoum, Ibrahim Mbombo Njoya, qui est un
proche du président Biya, parler des limitations de mandats et
d’introduction du second tour pour la présidentielle, est-ce que cela
vous a surpris ?
Le sultan Ibrahim Mbombo Njoya, qui est
un homme politique expérimenté - je signale qu’il a plus de 80 ans -, il
ne parle pas à la légère. C’est un homme réfléchi, donc il a tenu des
propos de sagesse et de bon sens. Je me réjouis qu’il ait pu tenir ces
propos.
Je crois que le point important, c’est l’impératif de la
réforme consensuelle du Code électoral dans notre pays, avant les toutes
prochaines élections. Si on ne fait pas, on va aller au-devant de
crises électorales multiples.
Deuxièmement, les populations des
zones anglophones ne pourront pas participer aux élections à venir avec
la confiance. Et dans ces conditions, ce sera acter de fait la
partition du pays. Nous ne sommes plus à l’élection présidentielle où
les gens nous ont expliqué que c’était une circonscription unique et
qu’on pouvait balancer les voix. Nous sommes dans des élections de
proximité. Il s’agit de députés et maires, d’exécutifs locaux. On ne
peut pas faire l’économie d’une telle réforme. Les règles du jeu doivent
toujours faire l’objet d’un consensus entre les acteurs.