
Une meilleure école pour moins de pauvreté en Afrique (4). Dans ce pays
parmi les plus pauvres de
la planète, une ONG lutte pour la parité dans
les écoles.
Lorsque Fadiratou évoque ses rêves, ses yeux noirs s’illuminent. « Docteure. C’est ce que j’aimerais devenir »,
murmure-t-elle, avant de baisser le regard. Comme gênée de cette
ambition qu’elle cultive dans son internat pour jeunes filles, à Nanoro,
commune de la région Centre-Ouest, au Burkina Faso.
Il
y a quelques années, Fadiratou ne pouvait même pas s’imaginer d’avenir
professionnel, car son aventure scolaire devait se terminer en fin de
primaire. Ses parents, cultivateurs, la destinaient au travail des
champs et à un mariage arrangé pour lui « assurer une sécurité ». Jusqu’au jour où elle s’est rebellée. « J’ai dit non », raconte la jeune fille du haut de ses 18 ans, un voile vert encadrant son visage aux traits encore enfantins. Je préférais aller à l’école pour réussir ma vie et ne pas dépendre d’un mari, comme ma mère. »
« Un chemin pavé d’obstacles »
Le
Burkina affiche le cinquième taux le plus élevé au monde pour les
mariages d’enfants, avec une fillette sur deux mariée avant ses 18 ans
et une sur dix avant ses 15 ans. « Les parents préfèrent investir dans l’éducation des garçons, car la fille est considérée comme une “étrangère” qui devra partir vivre dans une autre famille et s’occuper des tâches ménagères », explique Naaba Karfo, roi et chef coutumier de Nanoro. « Chaque année, on perd des écolières, mariées de force puis rapidement enceintes »,
regrette l’inspecteur de l’enseignement de la commune, Seydou Yameogo,
qui a ensuite bien du mal à les réintégrer dans le système scolaire.
Pauvreté,
isolement géographique, pesanteurs sociales, mariages et grossesses
précoces : au Burkina, où plus de 60 % de la population est analphabète
et 40 % vit sous le seuil de pauvreté, le chemin vers l’école reste pavé
de trop d’obstacles pour bien des jeunes filles.
Si Fadiratou a réussi à les franchir, c’est parce que son ambition est arrivée aux oreilles de Yaya Ouedraogo. « J’ai
regardé ses notes, qui étaient très bonnes. Cette jeune fille avait
aussi une envie. Alors nous avons décidé de la soutenir pour qu’elle
puisse aller au collège et au lycée », explique cet animateur de
Res Publica, une association française qui a mis en place un plan de
scolarisation des filles. En une vingtaine d’années, l’ONG a réussi le
pari de multiplier par cinq l’effectif des filles dans la centaine de
structures construites, dans trois provinces du pays.
Ses
fondateurs, les Lyonnais Françoise et Jean-Claude Perrin, ont débarqué
en 2001 au milieu des champs de sorgho et de mil de la région de Nanoro,
dans le sillage d’un médecin français dont ils ont financé les
missions. Le couple, qui observe alors les avancées sanitaires sur la
zone, découvre la réticence des parents à envoyer leurs filles en
classe. « Les familles, modestes préféraient garder leurs enfants
pour être aidées dans les tâches ménagères et les travaux champêtres »,
se rappelle André Kaboré, coordinateur local de Nanoro. Les deux
Français décident, avec leur argent personnel, d’octroyer des bourses
aux filles.
« Ventre vide »
La
localité qui regroupe 14 villages ne compte alors qu’une dizaine
d’écoles primaires et un seul collège public, ce qui oblige les élèves à
parcourir plusieurs kilomètres à pied, expose les fillettes aux
agressions ou aux viols. Au Burkina, si l’école est gratuite et
obligatoire jusqu’à 16 ans, les familles doivent contribuer aux frais de
fonctionnement des établissements, prendre en charge les déplacements
et encore acheter des fournitures scolaires.
Res
Publica décide alors de construire 16 nouveaux établissements – de la
maternelle au lycée – avec trois internats féminins et met ces
infrastructures à la disposition du ministère de l’éducation burkinabé,
qui y nomme des enseignants. L’association, elle, prend en charge les
frais de scolarité des enfants des familles les plus démunies et met en
place des cantines avec des repas préparés par les familles du village. « Avant, les élèves restaient le ventre vide toute la journée, perdant en concentration », rapporte André Kaboré, bien conscient que ce repas quotidien, parfois le seul, est un argument de plus pour envoyer les enfants étudier.
Vingt ans plus tard, deux choses ont changé. « La parité est assurée entre filles et garçons »,
rappelle Jean-Claude Perrin. Ensuite, selon les données de
l’association, les résultats scolaires de la zone ont progressé de 30 %
depuis son intervention. « L’idée était de montrer que nous pouvions réussir à développer une région en injectant des deniers privés dans le “pot commun” », résume Fabien Pagès, directeur adjoint de Res Publica.
A
Nanoro C, l’un des établissements primaires construit en 2004 par
l’association, les enseignants continuent le combat pour changer les
mentalités « dès l’école ! », insiste Habibata Zela Sanogo. Au
sein de sa classe, l’institutrice veille à l’équilibre des travaux de
groupes et combat pied à pied les préjugés. Elle invite régulièrement
d’anciennes élèves devenues pompier ou médecin pour montrer aux filles
que « c’est possible ! ». L’équipe enseignante se déplace aussi dans les villages pour convaincre les derniers parents « récalcitrants ».
« C’est moi qui l’aide ! »
L’enjeu
de la scolarisation des filles reste énorme en Afrique subsaharienne,
où vivent plus de la moitié des 61 millions d’enfants non scolarisés de
la planète. Ces dernières années, le Burkina Faso a réalisé des progrès
significatifs en matière éducative grâce à un plan décennal. Le nombre
de filles scolarisées dans le primaire est passé de 72 % en 2008 à 95 %
en 2018. Mais la difficulté vient après. Seulement 40 % d’entre elles
poursuivent dans le secondaire et 4 % dans le supérieur. « Les
familles pensent encore qu’il suffit que leur fille apprenne à lire et à
écrire. Ensuite, elle doit travailler pour ne pas devenir une charge »,
observe Rasmata Ouedraogo, directrice de la promotion de l’éducation
inclusive des filles au ministère de l’éducation nationale.
« Si tous les adultes achevaient le secondaire, le taux de pauvreté dans le monde diminuerait de moitié »,
estime pourtant l’Unesco. Accès à l’emploi, meilleurs revenus,
autonomisation des femmes : l’éducation contribue au développement de la
croissance économique et à la baisse des inégalités, pointe l’agence
onusienne.
Peu à peu, en terre burkinabée, la prise de conscience se fait. « Ma
mère et ma grand-mère dépendaient de leur mari, moi-même j’ai dû
arrêter l’école en CM2 et me marier à 18 ans. Alors je ne veux pas le
même destin pour mes filles ! », insiste Marie-Jeanne Kafando, une
cultivatrice qui complète ses revenus en donnant des cours
d’alphabétisation à un groupement de femmes de Nanoro. « Beaucoup de
mères sont analphabètes. Ces cours les aident à développer leur
activité et à s’impliquer dans le suivi des devoirs de leurs enfants », raconte Mme Kafando, qui a pu elle-même payer ainsi les études de ses deux filles : « Maintenant, je gagne plus que mon mari. C’est moi qui l’aide ! »