
Alors qu’elle ne cesse de s’illustrer par son activisme contre le Président, la diaspora camerounaise
ne fait pas l’unanimité. Des élus proches du pouvoir sont favorables à «une nouvelle diaspora» plus impliquée dans «la construction de la nation». Une initiative a priori louable, mais les véritables intentions de ses promoteurs sont questionnées.
Comment
faire naître une «nouvelle diaspora» camerounaise? La question est au
centre des débats dans le pays. Les 28 et 29 juillet derniers, le Réseau
parlementaire de la diaspora, de la coopération décentralisée et
transfrontalière (REP-COD) –une structure dominée par des partis alliés
au pouvoir– a lancé une série de concertations
avec les acteurs sociopolitiques. Une consultation qui vise à trouver
des pistes pour permettre aux ressortissants camerounais à l’étranger de
participer de manière plus efficace à la construction de la nation.
L’objectif est de servir d’interface entre cette diaspora camerounaise
et les pouvoirs publics à travers l’écoute et le dialogue.
Nouvellement
créé au sein de l’Assemblée nationale, le réseau présidé par le député
Henri Louis Ngantcha, député du parti au pouvoir, a pour mission de «servir
de cadre permanent d’échange et de médiation entre les compatriotes de
la diaspora et les parlementaires pour leur participation active au
développement et au rayonnement du Cameroun».
«Ce réseau aura pour mission d’identifier un ensemble de problèmes rencontrés par la diaspora et y apporter des solutions adaptées. Nous voulons accompagner nos ressortissants dans les projets d’investissement du pays en faisant le lobbying auprès des décideurs. Il faut donc créer un climat de confiance entre le gouvernement et cette diaspora», explique Henri Louis Ngantcha à Sputnik.
Depuis sa mise en place, cette initiative –qui semble pourtant
louable– ne génère pas que des éloges. Pour Auréole Tchoumi, communicant
du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), parti d’opposition,
au-delà des discours et de la rhétorique, le Parlement a le pouvoir de
légiférer une bonne fois pour toutes sur le statut de cette diaspora.
«Il faut aller au-delà de la théorie et des discours creux et
évasifs du RDPC [Rassemblement démocratique du peuple camerounais, le
parti au pouvoir, ndlr]. L’abcès est là, le mal profond, il faut le
crever plutôt que de servir des embellies à la population avec derrière
le seul dessein des avantages inouïs que de pareilles initiatives
génèrent pour ceux qui la conduisent, sans aucun résultat probant», proteste-t-il au micro de Sputnik.
Calmer l’activisme anti-Biya d’une partie de la diaspora camerounaise
Le pari est énorme dans un contexte marqué par un activisme accru
d’une partie de la diaspora frontalement opposée au pouvoir de Yaoundé.
En effet, celle-ci s’est illustrée bruyamment ces dernières années dans
la recherche de solutions aux multiples crises que traverse le pays.
Depuis la dernière présidentielle, de nombreux militants installés à
l’étranger ont exprimé leur mécontentement face à la gestion des
affaires internes.
À
grand renfort de manifestations, de pétitions et de campagnes sur les
réseaux sociaux, elle combat toute initiative du pouvoir en place. Pour
Aristide Mono, politologue camerounais et enseignant de sciences
politiques à l’université de Yaoundé 2, la mise sur pied de ce réseau
parlementaire est motivée, entre autres, par l’activisme de cette frange
protestataire.
«La diaspora camerounaise est montée en puissance dans les activités subversives. Elle a formalisé une brigade antirégime appelée Brigade anti-sardinards (BAS), une entreprise contestataire qui manifeste ainsi son exaspération politique, sociale et socioprofessionnelle», commente-t-il au micro de Sputnik.
Née au sein de la diaspora camerounaise
au lendemain de la présidentielle d’octobre 2018, la BAS ne manque pas
une occasion de réclamer ouvertement, sur les réseaux sociaux ou sur le
terrain, le départ du Président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982.
Dernier cas en date, près de 200 membres de ce mouvement ont pris
d’assaut l’esplanade du siège de l’Union européenne (UE), en marge du
sommet européen sur le plan de relance post-coronavirus et le budget à
long terme (2021-2027). Les manifestants étaient venus demander à l’UE
de prendre des mesures contraignantes contre les dirigeants camerounais
pour la libération des prisonniers politiques et exiger le départ du
Président Biya. Des sorties qui, en cristallisant l’attention de la
communauté internationale, agacent le pouvoir de Yaoundé.
«Il reviendrait ainsi au nouveau réseau de désamorcer pacifiquement ou passivement ces contestations en tentant d’offrir à leurs porteurs un cadre d’expression décrispé, moins chaotique pour le régime qui aurait trouvé la méthode répressive inopérante», poursuit Aristide Mono.
Participer à la construction du pays: les préalables
Comment donc mutualiser les forces de cette diaspora afin de garantir
leur participation à la construction de la nation? Difficile dans le
contexte actuel au vu des divergences idéologiques et du combat mené par
le camp hostile au pouvoir de Yaoundé, d’envisager une réponse
concrète. Cependant, pense Henri Louis Ngantcha, il faut absolument
encadrer cette colère.
«Vous pouvez être des opposants mais il faut savoir exprimer votre colère. Même si ceux qui posent des actes de violence manifestent en quelque sorte une frustration refoulée. Nous voulons donc les écouter, peu importe le parti politique ou l’appartenance ethnique», tempère-t-il.
Dans les rangs du MRC, on a du mal à croire à la sincérité de la
nouvelle démarche du pouvoir de Yaoundé. Pour Auréole Tchoumi, «ce
n’est pas après 38 ans que vous allez prêter une oreille attentive à des
gens qui vous parlent depuis des siècles. La diaspora n’est pas une
vache à lait certes, encore moins une solution miracle, mais elle reste
un maillon fort à prendre en compte».
«Il faut créer un climat économique plus fiable, pour favoriser la création d’entreprises, identifier les spécificités de notre diaspora et créer un lien productif entre elle et la nation camerounaise», suggère néanmoins le communicant du MRC.
Mais au-delà des dérives enregistrées sur le terrain des
revendications politiciennes au sein de la diaspora, d’autres facteurs
entravent le plein engagement des Camerounais de l’étranger pour le
développement du pays. En bonne place, la question de la double
nationalité qui ne date pas d’aujourd’hui. Une «revendication compréhensible», souligne le président du réseau parlementaire qui entend la porter au niveau des instances décisionnelles.
En
effet, le Cameroun, toujours méfiant envers une diaspora jugée hostile,
a opté depuis 1968 pour une interdiction totale du cumul des
nationalités. Un choix qui complique encore les investissements, les
transactions financières, immobilières et diverses démarches
administratives des ressortissants camerounais ayant acquis une
nationalité étrangère.
D’ailleurs, souligne Aristide Mono, la participation financière de la diaspora camerounaise «au développement économique du pays à travers des transferts de fonds est restée jusqu’ici parmi les plus faibles d’Afrique, environs 0,9% du PIB, très loin de l’activisme financier de la diaspora malienne (7% du PIB) ou sénégalaise (10% du PIB)».
De nombreuses préoccupations sont donc au cœur des premières
concertations au sein du REP-COD. Si la tâche semble bien lourde pour le
réseau parlementaire, l’approche moins répressive de Yaoundé vis-à-vis
de ses ressortissants à l’étranger peut-elle déboucher sur une ère nouvelle avec une diaspora moins hostile?
Par sputnik