Un seul prévenu vous manque et tout est dépeuplé. Le procès du système Ghosn a lieu sans son supposé bénéficiaire.
Ce devait être la superproduction judiciaire de l’année. Carlos Ghosn
aurait fait son entrée sur la scène du tribunal de Tokyo sous une
tempête de flashes photographiques. Les journalistes du monde entier se
seraient battus pour assister, au coude à coude avec ses proches, aux
audiences. Le verbe haut, il aurait tenu la rampe face aux procureurs,
au débit terne, défendant son honneur, sa réputation, son “bilan”. Sa
rectitude. “Conspiracy!” aurait-il tonné... Au lieu de quoi mardi a commencé le procès de... Greg Kelly, ancien bras droit de Carlos Ghosn, et de Nissan.
Le premier est accusé d’avoir organisé un mode de
rémunération secret pour son patron, et la seconde de l’avoir entériné
en ne le déclarant pas. Greg Kelly plaide non coupable ; s’il ne nie pas
des discussions poussées sur le sujet, il conteste leur caractère
définitif. Juriste redoutable (“il mangeait des vipères au
petit-déjeuner”, se rappelle drôlement un ancien collègue), au service
d’un patron qui, d’après ses collaborateurs, était juridiquement très
tatillon, il espère prouver qu’il a toujours agi dans la stricte
légalité. Nissan
quant à elle non seulement plaide coupable mais se morigène en public.
Son représentant, un cadre dirigeant de second rang mais d’une grande
prestance nommé Manabu Sakane, a expliqué mardi pleinement coopérer avec
le procureur avant de fièrement présenter les récents progrès de
gouvernance internes réalisés par Nissan.
Feuilleton rocambolesque
Ce
feuilleton rocambolesque où l’employeur (Nissan) a mené l’enquête pour
le procureur de Tokyo et se retrouve au banc des accusés tout en se
déclarant victime est d’autant plus baroque que Carlos Ghosn n’a jamais
touché les sommes en jeu. Et qu’il est de plus en plus évident qu’un
grand nombre de cadres dirigeants connaissaient ce “système Ghosn”. Greg
Kelly portera-t-il seul le chapeau ? “Le nom de Greg Kelly n’apparaît
pas sur les documents. Avec le défilé des témoins pendant les audiences,
ce procès va se transformer en procès de Nissan”, craint un proche du
dossier.
Cette cacophonie a lieu en sourdine. En
l’absence de Carlos Ghosn réfugié au Liban, la superproduction
hollywoodienne promise est devenu une pièce en “off”. L’ambiance
paparazzi qui accompagnait chaque pas de Carlos Ghosn s’est éventée. Il
n’y a pas, devant le tribunal, ces vans équipés d’antennes satellitaires
que sortent les télévisions nippones pour les grands procès. Pas de
meute de journalistes japonais qui, dictaphones en main, se ruent sur le
moindre protagoniste. Dans la salle 104 où ont lieu les débats les
parties s’expriment d’une voix ténue, rendue encore plus inaudible par
le port du masque et le murmure de la traductrice en anglais. Sur des
écrans plats fixés au mur défilent à vitesse rapide les pièces à
conviction, mais avec des caractères si petits qu’elles sont
indéchiffrables dès le second rang. On compte dans la salle une
quinzaine de journalistes et un public aussi nombreux. Parmi eux : Dee
Kelly, l’épouse de Greg Kelly, petite femme américaine comme égarée au
milieu de ces débats en japonais. Seul manque, criant d’absence : Carlos
Ghosn.