L'ancien président de la Commission européenne aidera la banque
d’affaires américaine à gérer l'après-Brexit. Un transfert qui envoie un
message négatif de plus au débit de l'UE.
Les « portes tournantes » continuent de tourner. L'ancien président
de la Commission européenne, le Portugais José Manuel Durão Barroso, a
été recruté par la banque d'affaires étatsunienne Goldman Sachs pour
l'aider à gérer les conséquences de la sortie annoncée du Royaume-Uni de
l'Union européenne après le référendum du 23 juin dernier. Il sera
ainsi nommé président non exécutif de Goldman Sachs International (GSI) à
Londres et, de surcroît, il aura le titre de « conseiller ».
Aider Goldman Sachs à gérer le Brexit
Selon le Financial Times,
José Manuel Barroso entend « faire ce qu'il peut pour adoucir les
effets négatifs du Brexit ». Les banques d'affaires américaines ont
naturellement choisi Londres comme base d'opération pour leurs activités
européennes. Mais si le Royaume-Uni perd son accès au marché unique
européen, il leur faudra ouvrir de nouvelles filiales dans un pays de
l'Espace économique européen. Quel pourrait alors être le rôle de
l'ancien président de la Commission ? Aura-t-il pour charge de faire du
lobbying auprès des négociateurs européens qu'il connaît fort bien pour
sauvegarder cet accès de la finance londonienne au marché unique (le
fameux « passeport » européen) ? Cherchera-t-il à négocier des avantages
avec un éventuel « point de chute » ? Pour le moment, il va déménager à
Londres et croit que « Londres restera un centre financier mondial très important », indique-t-il au FT.
Le problème de l'indépendance
Évidemment,
ce « transfert » pose une question centrale : celle de l'indépendance.
Les liens entre Goldman Sachs et d'autres grandes banques et de nombreux
fonctionnaires européens ou nationaux posent de véritables problèmes,
notamment dans la gestion de la crise financière. Le cas le plus souvent
cité est celui de Mario Draghi. L'actuel président de la BCE depuis
2011 a été vice-président de la branche européenne de Goldman Sachs de
2002 à 2005. Or, Goldman Sachs n'est pas une banque comme les autres.
C'est elle qui a aidé le gouvernement grec à détourner la méthode de
calcul du déficit public par des produits de « swaps » qui permettaient
de reporter à plus tard une partie de ce déficit. Grâce à ce tour de
passe-passe, la Grèce était entrée dans la zone euro en 2002. Ce
mécanisme avait été utilisé, du reste, par l'Italie, en 1997 pour
rejoindre l'union monétaire à une époque où le directeur général du
trésor transalpin était un certain... Mario Draghi.
Le comportement de José Manuel Barroso durant la crise
Et
pour José Manuel Barroso ? Cette nomination n'est pas neutre. En tant
que président de la Commission, cet homme a été un des responsables des
erreurs de gestion des années 2010-2013. Partisan d'une austérité forte
et d'un ajustement féroce, il a participé à la troïka dans tous les
pays touchés par la crise, de la Grèce à l'Irlande. Or, le principe de
ces « sauvetages » a été de sauvegarder les intérêts des créanciers des
États, principalement les banques. José Manuel Barroso a notamment
participé aux pressions contre l'Irlande pour empêcher le gouvernement
de ce pays de réduire le fardeau porté par sa populations en faisant
participer les créanciers des banques irlandaises. L'ancien président de
la Commission, qui n'a jamais vraiment eu à répondre de ces choix
devant le parlement européen, a donc géré au mieux les intérêts du
secteur financier dans une crise causée à l'origine par des produits
vendus à la Grèce par Goldman Sachs qu'il rejoint à présent.
Un combattant contre la « mauvaise finance » ?
Certes,
dans son interview au Financial Times, l'ancien premier ministre
portugais, chef de file lors de la Révolution des œillets en 1974 du
Mouvement révolutionnaire du prolétariat portugais (MRPP, maoïste) avant
de rejoindre en 1980 le parti social-démocrate (PSD) de centre-droit,
se présente comme celui qui a entamé un « effort global de régulation et
de supervision » de la finance. Mais son bilan, de ce point de vue,
reste contestable. Le projet Barnier de séparation bancaire, assez
timide, a été abandonné. L'union bancaire n'a pas été conclue sous la
direction de José Manuel Barroso et montre déjà ses limites en Italie
ces derniers jours. Surtout, les lendemains du Brexit montrent
clairement que le risque d'une crise financière n'est pas écarté. Qu'une
banque aussi fragile que Deutsche Bank puisse continuer à menacer comme
une épée de Damoclès sur l'Europe prouve aussi que les efforts de
l'ancien président de la Commission ont été pour le moins insuffisant.
Effet désastreux pour l'UE
En réalité, les déclarations de José Manuel Barroso, qui se dit « très impressionné par l'engagement de Goldman Sachs pour les niveaux les plus élevés en termes d'éthique » et par la « culture d'intégrité et de responsabilité »
de l'entreprise, sonnent comme les reflets un cynisme parfait. De tels
engagements ne peuvent manquer de soulever des questions quant à
l'action présente des dirigeants européens. Voir un ancien chef de
l'exécutif de l'Union européenne chercher à aider une banque à gérer au
mieux le Brexit ne peut manquer de soulever des questions sur
l'engagement quant à l'intérêt général européen des dirigeants de l'UE. A
l'heure où le successeur de José Manuel Barroso, Jean-Claude Juncker
est très contesté et où l'UE peine à tirer les leçons du vote
britannique, cette nomination est particulièrement mal venue et pourrait
avoir un effet désastreux.