Le numéro 1 du sport affiche de très loin le plus gros budget de
recherche et développement du secteur. Et renouvelle ainsi ses
collections à un train d'enfer. Plongée dans ses labos.
hez Nike, les brevets s'enchaînent comme les
«dunks» de Kobe Bryant, la star du basket américain. Nous avons fait le
décompte : sur les quatre premiers mois de 2016, l'équipementier en a
déjà déposé 139. Ce qui porte à 8.235 patentes son invraisemblable
catalogue. Tout y passe : les collants d'athlétisme en tissu
antisudation, les maillots à capuche ultramoulants, les semelles
amortissantes, mais aussi les process industriels visant à réduire sa
dépendance à l'Asie. Ou encore cette paire de lunettes intelligentes
digne de la Silicon Valley : ses verres s'adaptent instantanément à la
luminosité, et la focale s'ajuste en fonction de la discipline
pratiquée.
Une basket qui se lace tout seul
Cette
trouvaille verra-t-elle vraiment le jour ? Une chose est sûre, pour
Nike, l'innovation est le nerf de la guerre. «Nous sommes entrés dans
l'ère de la performance personnalisée», expliquait, tel un Steve Jobs du
sneaker, le P-DG, Mark Parker, lors de la dernière convention de la
firme en mars à New York. Lors de ce grand show, il a présenté
l'HyperAdapt 1.0, un drôle de godillot qui se lace tout seul, comme dans
le film «Retour vers le futur». Un coup de pub qui n'aurait pas été
possible sans les fortunes que la marque au swoosh place dans la
R&D.
> Vidéo. Notre journaliste détaille les points qui font la force de Nike :
Pendant
longtemps, elle y a consacré 2 à 3% de son chiffre d'affaires, ratio en
phase avec le reste de l'industrie du sport. Mais, ces dernières
années, son budget aurait doublé pour atteindre 1,5 milliard de dollars,
soit trois fois plus qu'Adidas, son plus proche adversaire. Voilà
comment le numéro 1 mondial du sport rivalise d'ingéniosité pour
améliorer la performance de ses chaussures (voir ci-dessous). Ce qui lui
permet d'afficher sans complexe des prix à 130 euros !
18 mois de R&D pour sortir sa nouvelle Hyperdunk, à 130 euros, dédiée au basket :
(cliquez sur l'image ci-dessous pour l'agrandir)
Innovations en série
Le
cœur de son business reste en effet la chaussure. La plus fameuse des
technologies, apparue dans les années 1980 et toujours en vogue, est la
semelle Air, déclinée en de multiples versions (Max, Force, Zoom...)
censées garantir un amorti toujours meilleur.
Nike
a aussi créé le Foamposite, dessus de chaussure sans couture, les
semelles ultraflexibles Free, qui donnent l'impression de courir pieds
nus, ou le Flyknit, un chausson intégré qui assure souplesse et
maintien. «Aucune autre marque n'approche ce niveau de sophistication
sur une gamme aussi large», note Frédéric Tain, éditeur de la
publication spécialisée «Sport Guide».
La Zoom Superfly Flyknit :
Et
le flot ne semble pas près de se tarir. Les pointes de sprint Zoom
Superfly Flyknit conçues pour les JO de Rio épousent parfaitement le
pied et sont dotées d'une semelle constellée d'un maillage de pointes
ultraréactif. Reste qu'une bonne partie des nouveautés sont assez
cosmétiques. Si tous les modèles sont retouchés une fois l'an, les
véritables innovations restent rares.
Nike, 44 ans d'existence et des modèles cultes (cliquez sur l'image pour l'agrandir) :
600 chercheurs dédiés à la R&D
Il
a ainsi fallu huit ans avant que l'Hyperdunk soit redessinée. Le plus
souvent, il ne s'agit que d'une modification du look. «Nike abuse un peu
du terme «innovation»», s'amuse Eugenio Di Maria de «Sporting Goods
Intelligence», une lettre professionnelle réputée dans l'industrie.
L'astuce tient dans le fait que la marque étale ses nouveautés, parfois
minimes, tout au long du calendrier, en présentant quatre collections
par an. C'est ce rythme infernal qui finit par donner une impression de
renouvellement permanent dans les magasins.
Le
design selon Nike est mitonné dans un lieu mythique pour les salariés
de la maison : l'«Innovation Kitchen» (la cuisine aux innovations),
bâtiment discret situé sur le campus de la multinationale à Beaverton
(Oregon). Dans ce laboratoire dédié aux sciences de la chaussure et de
la tenue de sport travaillent plus de 600 personnes : designers, experts
en matériaux, médecins, aérodynamiciens... Ce bataillon de
scientifiques est deux fois plus nombreux que l'ensemble des chercheurs
travaillant pour les cinq principaux concurrents.
> Vidéo. Pour susciter plus d'innovation : miser sur la R&D ou le marketing ?
L'antre
est surveillé comme Fort Knox. Surtout depuis qu'Adidas a réussi en
2014 à en débaucher trois designers réputés (Nike avait menacé d'un
procès). Les seuls visiteurs admis sont des athlètes sous contrat avec
la marque, qui font part de leurs besoins et servent à tester les
prototypes. Le temps nécessaire pour peaufiner une nouvelle recette dans
la Kitchen ? Au minimum 18 mois, comme dans le cas de l'Hyperdunk. Et
parfois beaucoup plus, comme pour l'HyperAdapt, qui a pris cinq ans.
Hyperlong.
Éric Wattez
capital.fr