Cameroun:Jean-Paul Pougala "IL Y A 27 ANS POUR PAYER MES ETUDES EN ITALIE MON APPARTEMENT D'ÉTUDIANT ÉTAIT TRANSFORME EN UN CENTRE D'AFFAIRES"

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IL Y A 27 ANS POUR PAYER MES ETUDES EN ITALIE MON APPARTEMENT D'ÉTUDIANT ÉTAIT TRANSFORME EN UN CENTRE D'AFFAIRES

Dans l'Italie des années '80, il était interdit aux étudiants africains d'exercer la moindre activité salariale ou indépendante. Je n'avais ni papa, ni maman pour payer mes études. Je n'avais personne au monde pour me payer la moindre facture. Je devais donc tout faire moi-même.
Après avoir travaillé à laver clandestinement les plats dans les restaurants de Perugia, après avoir travailler dans les plantations pour récolter les tomates, je me rendis tout simplement compte que le travail physique me fatiguait trop et ne me laissait pas la sérénité d'étudier mes leçons. Pire avec de tels métiers, j'étais en train de répéter les gestes que mes ancêtres avaient été contraints de faire quelques 2 siècles auparavant. Mais là, j'étais un homme libre et non plus un esclave. Pourquoi pour payer mes études, je devais répéter les gestes des esclaves ?
C'est ainsi que mon petit studio d'étudiant sera très vite transformé en un centre d'affaires, en mon quartier général avec un ordinateur, un fax, une imprimante (un vrai luxe pour l'époque) pour mettre au point des stratégies pour gagner de l'argent sans m'incliner à faire l'esclave, sans plus travailler à transpirer pour quelqu'un et en plus clandestinement.
Mais quoi faire ? et comment y parvenir sans aucune possibilité d'avoir la moindre autorisation pour m'inscrire au registre des entreprises ? L'informatique était à ses débuts. Et les italiens en étaient très friands. J'importais de Taiwan des disquettes de 3,5 et tapis pour souris d'ordinateurs, que je revendais à travers les journaux d'annonces gratuites comme CERCO E TROVO (Je cherche et je trouve) à Perugia et "Porta Portese" à Rome. Et puis un jour, à force de fouiller dans le domaine électronique, je découvre dans un journal américain qu'il suffisait de percer un trou sur le bout gauche de la disquette pour doubler la capacité de 720 kb à 1,44mb. J'importe immédiatement l'appareil pour faire ces trous et je réussis ainsi à doubler mes bénéfices juste en perçant deuxième trou, mais sur le bord gauche de la disquette.
Et puis avec l'argent gagné, je voulais passer à quelque chose de plus lucratif. Mais quoi ? Et je me mis à éplucher un quotidien de Perugia du nom de "Corriere dell'Umbria". Je ne savais pas ce que je cherchais, mais j'étais confiant que la curiosité bien orientée finirai par payer. J'ai ainsi acheté le même journal 6 jours sur 7 pendant 1 mois et éplucher chaque page pour voir quelles informations revenaient souvent pour avoir une indication d'un phénomène de mode. Mais à ma grande surprise, les informations qui vont m'intéresser ne se trouvent pas là où je cherchais : rubriques Sciences, International, etc; mais dans une autre rubrique qu'ils appelaient : CRONACA. C'était la rubrique préférée des personnes âgées parce qu'on y racontait les faits divers. Et les faits divers marquants qui revenaient sans cesse étaient les cambriolages dans les villas en périphérie de la ville. 
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J'envoie un télex à mon fournisseur de Taiwan pour savoir s'il peut m'aider pour trouver des sirènes contre les intrusions. Quelques mois après, je reçois un catalogue avec des nouveautés que je ne pouvais même pas imaginer. 2 sont les articles qui m'intéressent : des fausses caméras de surveillances et les chiens électroniques. Je démarre avec une importation test de fausses cameras et cela remporte un succès fou en Italie. Et même si les caméras sont factices et donc moins cher, le succès venait du fait qu'un bandit ne pouvant pas en être certain, préférait cambrioler la maison voisine de celle où j'avais installé la camera. Et le lendemain, c'est tout le quartier qui me contactait pour leur installer la fausse camera.
Et puis j'ai monté de niveau. A mes clients de qui je ne pouvais plus rien encaisser, je proposais des chiens électroniques, toujours importés de Taiwan. C'était un appareil doté d'un haut parleur et d'un senseur qui se déclenchait devant tout petit bruit et aboyait comme un chien de garde. L'appareil était posé derrière la porte de la maison avant de sortir et il suffisait d'essayer d'ouvrir la porte pour déclencher l'appareil et entendre ce chien aboyer comme un vrai chien, faisant fuir le cambrioleur. Un succès phénoménal.
Mais le plus difficile n'était pas de les vendre ou de les installer.
J'avais pris des cours par correspondance d'électronique, parallèlement à mes cours en faculté d'économie.
Le plus dur était de passer la douane italienne avec une marchandise sans aucune inscription légale de mon affaire
au registre du commerce. Mais nous étions en pleine guerre froide. Taiwan était l'allié de l'Occident et donc, il n'existait aucune taxe douanière à l'importation en provenance de ce pays. En même temps, les pays occidentaux étaient installés dans leur hypocrisie d'accepter la politique de la Chine Unique selon laquelle si vous reconnaissez Taiwan, la Chine rompt les relations avec vous. Tous traitaient donc officiellement avec la Chine et faisant semblant d'igrnrer Taiwan. Et du coup, il n'y avait pas de tracasserie administrative avec ce pays, juste une feuille à remplir pour les statistiques de l'Italie. Et cette feuille devait être remplie par l'entreprise importatrice. Comment faire ?
A force de réfléchir, j'ai eu une idée un soir. Et si c'est ma faculté qui importait mes appareils ? Pour tester si cette idée pouvait fonctionner, je m'expédie à moi-même une correspondance sous le couvert d'une fantomatique sous division de la recherche en Faculté d'Economie et Commerce, Via Pascoli n° 4 Perugia. Mais pour faire réussir l'opération, il fallait le concours du planton de ma faculté, celui là qui récolte les courriers tous les matins pour les distribuer aux enseignants et aux départements. Je lui avais dit que je n'arrivais pas à payer le loyer et du coût, le bailleur confisquait mes courriers. Comment faire pour recevoir mes courriers en fac et en être averti lorsqu'il y a quelque chose pour moi ? C'est ainsi que j'ai reçu le courrier que j'avais envoyé à moi-même. Ensuite, de Taiwan, ma marchandise expédiée par avion avec les documents arrivaient tout naturellement à l'adresse de ma faculté avec mon nom comme destinataire, mais sous le couvert du département de recherche. Et à la douane, c'est tout naturellement que le colis m'était remis comme un envoyé de ce département de la recherche et que tous ces appareils servaient à la recherche de ma faculté.
Pour éviter d'avoir les stocks, puisque dans mes 11m2 de mon studio, il ne pouvait y avoir de l'espace pour accueillir les dizaines de cartons, je m'arrangeais à ce que toute la marchandise ait trouvé preneur avant même l'arrivée. J'avais pour cela une collection des annuaires professionnels qui étaient ma principale cible.
Et c'est comme cela que refusant les travaux d'esclave je vais réussir à bâtir une petite fortune, qui ensuite servira à financer quelques années après mon voyage pour le Canada. Oh le Canada !!! Sans commentaire, tellement l'illusion suite au bluff du marketing que déploie ce pays pour convaincre les naïfs africains à immigrer, était énorme.
Extrait de 'En Fuyant les Ténèbres" de Jean-Paul Pougala, Einaudi 2007 (Mondadori)
Traduit à Batié le 22 Août 2014
Mise à jour à Paris le 24 septembre 2016