
La situation sécuritaire s'est dégradée dans les deux régions anglophones du Cameroun durant l'année écoulée. L'ONG International Crisis Group considère que cette crise est l'un des dix conflits à surveiller en 2019 dans le monde. Tanda Theophilus est chercheur pour l'ONG International Crisis Group (ICG). Il estime que ni le gouvernement, ni les groupes séparatistes n'ont l'intention de dialoguer aujourd'hui, une étape pourtant indispensable selon lui pour que la situation s'améliore.
Tanda Theophilus : Nous sommes confrontés
clairement à une multitude de groupes distincts, mais qui coopèrent de
temps en temps. Depuis peu, ces groupes se battent entre eux, ce qui
affaiblit davantage la partie séparatiste au profit de l’armée qui
avance. Nous avons vu le gouvernement par intérim de l'Ambazonie donner
l'ordre de kidnapper un chef combattant dans le département du Moungo
qui a été retenu pendant des mois, ce qui a facilité l’avancement de
l’armée camerounaise qui a pu tuer le général ambazonien, Amigo. Ce qui
fait que nous sommes en face d’une multitude de groupes qui
s’entretuent, qui ne parviennent pas s’entendre.
Comment expliquer que l’armée n’ait pas réussi jusqu’à présent à anéantir ces groupes ?
Déjà il y a la maîtrise du terrain. Ils ont des campements dans la
forêt. Ils frappent et ils retournent dans la brousse ou dans la forêt.
Lle soutien de la population rend la tâche également difficile pour
l’armée. Il aurait été profitable pour l’armée et l’Etat de façon
générale d’engager des mesures d’apaisement et de séduction de la
population. Mais jusqu’ici, c’est cette même population qui parvient à
faire survivre les séparatistes.
Le 30 novembre 2018, le président camerounais a signé un
décret lançant un processus de désarmement-démobilisation-réinsertion
(DDR). Où en est-on un mois plus tard ?
Il y a eu quelques démarches, pas forcément spectaculaires. Mais
jusque-là, le comité en question n’est pas encore pleinement
opérationnel, ou alors nous ne voyons pas encore ce comité agir.
Pensez-vous que cela peut quand même être une solution ou une partie de la solution ?
C’est une partie de la solution si c’est sincère. Il faudrait que
l’armée cesse les exactions sur les populations, surtout sur les
populations civiles, pour bâtir un certain degré de confiance.
►Dans les régions anglophones du Cameroun, beaucoup n'ont pas pu
célébrer le passage à la nouvelle année comme ils l'auraient souhaité.
Les violences liées à la crise y sont quasiment quotidiennes comme à
Bamenda. En fin de semaine dernière, un caporal de l'armée a ainsi été
enlevé et tué.
Pas de foule dans les rues pour célébrer le Nouvel An ce 31 décembre à
Bamenda, dans la région camerounaise et anglophone du Nord-Ouest. Même
si le couvre-feu a été levé pour la période des fêtes, les habitants
sont peu nombreux à se risquer dehors une fois la nuit tombée.
Fon Nsoh, qui habite à Bamenda, explique que les échanges de tirs sont quasiment quotidiens. « Cela arrive tellement souvent que généralement, les échanges de tirs ne sont pas signalés, raconte-t-il. On
en parle seulement s'ils sont particulièrement violents ou s'il y a des
morts. Les habitants ici sont très prudents parce qu'ici, tout peut
arriver n'importe quand entre les groupes armés et les forces de l'ordre ».
Conflit à surveiller en 2019
Les violences sont également quotidiennes dans l'autre région
anglophone du Cameroun, le Sud-Ouest. Le groupe armé Socadef, actif dans
cette zone, rappelle que la seule solution possible est politique. Mais
son chef exige toujours de négocier en présence d'une instance
internationale ou d'un pays étranger et tient à ce que les discussions
aient lieu hors du Cameroun. Cette option n'est pas envisagée par les
autorités de Yaoundé.
La situation sécuritaire s'est dégradée dans les deux régions
anglophones du Cameroun durant l'année écoulée. International Crisis
Group estime qu'au moins 500 civils et plus de 200 membres des forces de
sécurité ont été tués depuis le début des violences. L'ONG considère
d'ailleurs que cette crise anglophone est l'un des dix conflits à
surveiller en 2019 dans le monde.
Cette crise a été largement évoquée le 31 décembre par le président
dans son discours de voeux. Paul Biya s'est dit conscient des
conséquences pour les populations et a de nouveau appelé les groupes
séparatistes à déposer les armes.