
« CARNET DE SANTÉ ». Dans la capitale centrafricaine, la variole du
singe, le virus de la vallée du
Rift ou Ebola sont étudiés dans un
laboratoire hypersécurisé.
« Voilà un exemple typique de ce qu’il ne faut pas faire en
matière de prélèvement. C’est pour ça que j’insiste pour que ce soient
des personnels formés par l’institut qui s’en chargent. » Le
docteur Emmanuel Nakoune Yandoko est agacé. Des agents ont mal rebouché
les tubes à essais contenant des prélèvements de patients suspectés
d’avoir été contaminés par la variole du singe à Banda, dans
l’arrière-pays.
Les échantillons se sont déversés dans le sac en plastique qui les contenait. « Ils sont inutilisables, lâche-t-il. Nous
les avons détruits alors que nous avons pourtant des procédures
strictes et que ce sang doit être conservé à une température de 4 à 8
degrés, dans des tubes soigneusement étiquetés. »
Le
docteur Yandoko est directeur scientifique de l’Institut Pasteur de
Bangui, où sont analysés des échantillons qui font peur : virus de la
vallée du Rift, variole du singe ou encore tuberculose. Voilà ce que
traque l’établissement, inauguré en 1961, membre du réseau international
des Instituts Pasteur (RIIP) préposé plus largement à la recherche, la
santé publique (centres de vaccinations, analyses), et l’enseignement
(formation de chercheurs ou de médecins militaires, par exemple).
Bijou de technologie
Si
certains diagnostics n’imposent pas d’équipements trop complexes, pour
les virus les plus dangereux, comme Ebola ou la fièvre de Marburg, le
niveau de sécurité augmente considérablement. Et c’est pour pouvoir
traiter ces agents pathogènes très virulents que, depuis 2011,
l’Institut s’est doté d’un laboratoire P3 + (P pour protection). C’est
un plateau technique très moderne et hyperprotégé.
De
l’extérieur, ce bijou de technologie ne paie pas de mine. Pas de
barbelés, ni de dispositif de sécurité notable, ou de gardes armés
jusqu’aux dents. Juste un petit bâtiment de plain-pied en phase avec
l’atmosphère bucolique et arborée de l’Institut. Seuls quelques panneaux
discrets avec têtes de mort ou sigles de danger bactériologique
préviennent de ce qui se cache derrière ces murs.

Le modernisme du P3 + se
cache à l’intérieur. Les laboratoires P3 sont conçus pour protéger à la
fois l’opérateur et les populations environnantes grâce à une étanchéité
de l’enceinte, une mise en dépression des locaux qui évite toute fuite
vers l’extérieur et une filtration de l’air rejeté. « Avant d’atteindre la salle de recherche proprement dite, Il faut traverser trois sas de dépressurisation, explique le docteur Yandoko. Cette pression de plus en plus basse empêche les virus de s’échapper. » Gants,
masques, combinaisons : personne n’entre dans la salle de recherche
avec ses effets personnels et tout ce qui en sort passe immédiatement
dans l’autoclave pour être désinfecté. A Bangui, le laboratoire est par
ailleurs équipé d’une boîte à gants mobile, permettant son transport sur
les zones à risques, pour effectuer des analyses encore plus
efficacement.
Prévenir tout début d’épidémie
Ce
P3 + a déjà sauvé bon nombre de vies. Récupérés dans la région de la
Lobaye (sud-ouest), des échantillons provenant de l’eau de moustiques et
de tiques y ont été analysés, prouvant la présence du virus de la
fièvre de la vallée du Rift. Une maladie mortelle qui touche à la fois
les hommes et le bétail, et qui peut avoir aussi des conséquences graves
sur le plan économique. En 2016, un échantillonnage plus important sur
des bovins et des humains a permis de tracer la circulation de ce virus
en Centrafrique, et cette étude, menée par le docteur Nakoune, permet
aujourd’hui de mieux prévenir tout début d’épidémie.
La
variole du singe, une cousine de la variole humaine, mortelle et
hypercontagieuse, réapparue en Centrafrique au début des années 2010,
est pour l’heure diagnostiquée rapidement par le P3 + de l’Institut à
chaque alerte, une douzaine par an. Le P3 + permet d’isoler les patients
très rapidement pour contenir la maladie à des zones très étanches, et
éviter une expansion meurtrière comme celle qu’a connue le Nigeria en
septembre 2017 avec 345 cas suspects dans 25 Etats.
Ces
derniers temps, le laboratoire scrute aussi les indices d’une
potentielle arrivée d’Ebola depuis la République démocratique du Congo
(RDC), pour l’anticiper au maximum. Etrangement, aucune alerte n’a pour
le moment été confirmée, alors que le docteur Yandoko estime que toutes
les conditions sont réunies : « Selon une étude récente, 13 à 14 %
de la population des bords de la frontière avec la RDC présentent des
anticorps à Ebola. Ce taux grimpe énormément avec les populations en
contact direct avec la forêt, comme les communautés pygmées. Ils sont ou
ont été par conséquent en contact avec des réservoirs du virus. »
La
possibilité d’une épidémie n’est donc pas à exclure, comme le risque
d’une importation via la RDC, puisqu’une épidémie y sévit à 1 000
kilomètres. Plusieurs alertes de suspicion ont déjà été lancées après
des cas de fièvre hémorragique déclarés, notamment à Mboki, dans l’est
de la Centrafrique. Mais aucun échantillon envoyé au P3 + ne s’est pour
l’heure révélé positif.
« Un atout exceptionnel »
Dans
un pays comme la Centrafrique, en proie à un conflit interminable, et
où 80 % du territoire est encore entre les mains des groupes armés, la
présence de ce laboratoire est jugé « primordial » par le
docteur Alain, coordinateur médical pour Médecins sans frontières. Il en
existe également un autre à Kinshasa, inauguré en 2016, mais compte
tenu de la taille du pays et des difficultés de circulation, celui de
Bangui est parfois utilisé pour des alertes en RDC. Sinon, il faut aller
jusqu’en Guinée, au Kenya ou en Afrique du Sud pour trouver ce type de
matériel. Or dans la lutte contre ces pathologies très dangereuses, la
proximité est essentielle pour « avoir une réponse rapide, et mettre en place des mesures de confinement, en cas de confirmation d’une contamination », ajoute le coordinateur.
Le ministre de la santé Pierre Somsé se félicite aussi que « ce
laboratoire constitue un atout exceptionnel pour la Centrafrique. Il
nous permet une capacité de riposte, dans un pays au cœur de l’Afrique
intertropicale, où les maladies infectieuses constituent un élément
caractéristique ». L’Institut Pasteur a d’ailleurs été intégré au
cœur même du dispositif de surveillance des épidémies aux côtés des
personnels de santé, des organisations humanitaires et de l’armée.
Pour
voir plus loin, le P3 + a aussi une vocation de recherche. Une
convention a été passée avec l’université de Bangui, afin de former des
jeunes chercheurs. Des travaux sur le paludisme y sont actuellement
menés. D’autres sur le virus de la mosaïque du manioc.
Par Le Monde