« Team building » en Côte d’Ivoire, cahier de doléances au Sénégal, manifestations au Burkina… La journée internationale des travailleurs se décline de multiples façons.
Il y a les classiques, ceux qui défilent dans la rue, ceux qui
manifestent par procuration et… les autres. En Afrique de l’Ouest, le 1er-Mai, jour de la fête internationale des travailleurs, peut être revendicatif ou festif, l’approche variant d’un pays à l’autre.
Côte d’Ivoire : merci patron !
La palme de l’originalité revient à la Côte d’Ivoire.
Ce jour férié y est l’occasion d’un moment de partage avec son patron
et ses collègues autour d’une activité tendance à Abidjan : le team building. Un 1er-Mai
avec le patron ? On est quasiment aux antipodes de l’esprit de cette
journée, destinée à l’origine à commémorer le combat des ouvriers de
Chicago pour la limitation de la journée de travail à huit heures…
Mais
à Abidjan, cela n’empêche pas de plus en plus de fonctionnaires et de
salariés des grandes entreprises (banques, assurances, cliniques) de se
retrouver ce jour-là dans un hôtel de luxe, sur une plage ou en forêt,
dans le but de stimuler la cohésion des équipes. Imaginé par les coachs
en développement personnel, le concept englobe des activités telles que
la danse, les sports collectifs ou des concerts privés. C’est ludique,
certes, mais aussi « présenté comme la solution à tous les problèmes
d’entreprises, comme si tout le monde pouvait devenir motivé et
productif en une journée », doute l’économiste Samuel Mathey, basé à Abidjan.
Certains
n’hésitent pas mettre les moyens pour réussir ce rendez-vous. Ainsi,
en 2018, l’homme d’affaires Adama Bictogo avait largement médiatisé sa
journée foot-barbecue aux côtés de tous ses collaborateurs à l’Heden
Golf Hotel, un des lieux les plus chics de la capitale économique. Un
signe de bonne santé de l’entreprise autant qu’un outil de com’. Mais
pas grand-chose à voir avec l’historique du 1er-Mai…
Sénégal : la liste au président
Plus puriste, le Sénégal
se souvient qu’il a une longue histoire de défense des droits des
travailleurs. La première grève en Afrique subsaharienne a eu lieu à
Dakar en 1919. A suivi l’enregistrement du premier syndicat, en 1923,
et, depuis 1947, le passage du 1er-Mai au rang des jours
fériés. Depuis c’est un rituel. Chaque année, plusieurs milliers de
personnes arborant tee-shirt, boubou et casquette aux couleurs de leur
syndicat se réunissent autour de la place de la Nation pour le célébrer
cette date à coups de sifflet et de tam-tam.
La
tradition exige qu’à la fin du défilé, les travailleurs portent un
cahier de doléances au palais présidentiel. Non sans malice, les
syndicats soulignent que cette liste est identique chaque année, les
revendications étant rarement prises en compte… Cette année, eux mois
après l’élection présidentielle, nul doute que ce cahier viendra
rappeler au président réélu, Macky Sall, sa promesse de campagne : la
création d’un million d’emplois durant son quinquennat.
Le
chômage est l’un des plus grands défis du pays, avec un taux à 15,7 %
en 2017, selon des chiffres officiels que plusieurs analystes disent
sous-estimés. Mais le Sénégal n’est pas le seul pays de la zone où
l’emploi est une denrée rare.
Burkina Faso : « le sang et la sueur »
Au Burkina Faso,
où la société civile et les syndicats occupent une place importante et
ont marqué l’histoire du pays, fonctionnaires de l’administration,
personnels de santé, enseignants, avocats et de nombreux corps de
métiers se mobilisent pour réclamer de meilleures conditions de vie et
de travail.
Avec une touche un tantinet moins festive et plus revendicative qu’au Sénégal. « En
parlant de “fête du travail”, nos politiques cherchent à occulter le
fait que la plupart des droits des travailleurs ont été obtenus dans le
sang et la sueur, soutient Bassolma Bazié, secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina. Ce
jour est pour nous l’occasion de rendre hommage à tous ceux qui sont
tombés dans la lutte et rappeler que le combat continue. »
Du
côté des enseignants, l’inquiétude monte face à la recrudescence des
attaques contre des écoles dans le nord et l’est du pays. Vendredi
26 avril, cinq instituteurs ont été abattus par des individus armés à
Maytagou, dans la région du Centre-Est. « Dans certaines localités,
nos collègues sont tétanisés, ils ne pensent plus qu’à survivre. L’Etat a
le devoir d’assurer leur sécurité et de permettre aux enfants de
retourner en classe », réclame Souleymane Badiel, de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation.
Ghana : un jour chargé d’histoire
Au Ghana aussi, « c’est important pour nous de nous rassembler pour porter nos revendications »,
souligne Kofi Asare, président de la Ghana National Education Campaign
Coalition, un des principaux syndicats d’enseignants du pays. Si les
organisations se réunissent sur la place de l’Indépendance, à Accra,
avec pour mot d’ordre une critique de la politique gouvernementale, le
président Nana Akufo-Addo et le vice-président prennent aussi
traditionnellement part aux festivités. En 2018, ils s’étaient montrés à
Kumasi, la deuxième ville du pays, pendant que la capitale résonnait de
slogans pointant la trop faible réduction des inégalités.
Les célébrations du 1er-Mai sont intimement liées à
l’histoire du pays, qui a été le premier d’Afrique subsaharienne à
obtenir son indépendance, en 1957. Trois ans plus tard, le pays dirigé
par Kwame Nkrumah, panafricaniste proche du bloc de l’Est pendant la
guerre froide, célèbre pour la première fois le 1er-Mai.
Entre 1966 et 1972, à la suite d’un coup d’Etat, cette fête sera
interdite dans le pays et il faudra attendre 1992 et l’instauration du
multipartisme pour qu’elle ait lieu chaque année.
Cameroun : « le combat continue »
Enfin, au Cameroun
aussi, la volonté de se faire entendre est forte. Même si le climat
n’est pas à une expression franche des revendications, après les
nombreuses arrestations d’opposants ces derniers mois, « le combat continue », comme l’observe un leader de la cause ouvrière. « Il y a bien le code du travail, les conventions collectives et des lois, poursuit-il. Mais
il nous faut encore nous battre pour une répartition juste des fruits
de la croissance. Le travailleur étant le producteur des richesses et
l’employeur le principal investisseur, les bénéfices devraient être
répartis de telle sorte que le travailleur y trouve son compte. Au
Cameroun on n’en est pas encore là, certes, mais on espère y parvenir. »