
Après plus de 5 ans d’une guerre civile qui
a déchiré le pays en deux camps menés respectivement
par le président
Salva Kiir et son ancien vice-président Riek Machar, les deux hommes
vont à nouveau cohabiter à la tête du pays. En application de l’accord
de paix signé en septembre 2018, Riek Machar devrait rentrer au Soudan
du Sud pour retrouver ses anciennes fonctions. Le président
sud-soudanais a même déclaré qu’il avait besoin de lui, qu’il lui avait
« tout pardonné ». On oublierait presque que 12 jours plus tôt, Salva
Kiir accusait son ancien vice-président de recruter des hommes, en
violation de l’accord de paix. De quoi rappeler que ce n’est pas la
première fois que les deux dirigeants jouent au jeu de la
réconciliation. Cette fois-ci, après près d’une vingtaine de
cessez-le-feu et accords de paix violés par le duo, les Sud-soudanais
espèrent. Le pape, qui a offert une retraite spirituelle aux deux
hommes, aussi.
Parfois, on a l’impression que la macabre compétition
entre Salva Kiir et Riek Machar ne s’arrêtera jamais. Après la retraite
spirituelle, que leur a, tous les deux, accordé le pape, les deux hommes
ont semblé vouloir prouver qu’ils étaient chacun, le plus honoré de
cette presque divine intervention. Après sa retraite spirituelle, le
président Salva Kiir a même déclaré qu’il avait besoin de son opposant,
qu’il ne considère plus comme un adversaire.
Selon les Nations Unies, 50 000 personnes sont mortes
et près d’un tiers des 12 millions d’habitants du pays ont fui les
combats entre les deux hommes, qui représentent chacun les deux
principales ethnies du pays.
Désormais très épris de paix, les deux hommes, « dans l’esprit de la retraite spirituelle »,
multiplient les preuves de bonne foi en faveur du processus de paix. Le
problème, c’est qu’ils ont tenté, bien trop de fois déjà, de faire la
paix. A les voir, ces dernières semaines, on a du mal à imaginer avoir à
faire aux deux hommes qui ont déclenché l’une des guerres les plus
meurtrières de ces dernières années au sein de la plus jeune nation du
monde. Selon les Nations Unies, 50 000 personnes sont mortes et près
d’un tiers des 12 millions d’habitants du pays ont fui les combats entre
les deux hommes, qui représentent chacun les deux principales ethnies
du pays.
Chronique de cinq années de guerre entre deux frères ennemis
Au Soudan du Sud, le décor chaotique et sanglant laissé
par cinq ans de guerre civile contraste totalement avec les scènes de
liesse et le sentiment général d’union que dégageait la plus jeune
nation du monde, à sa création, en 2011. A cette époque, tout le monde
était heureux d’avoir enfin pu obtenir la sécession tant rêvée et de ne
plus avoir à partager les ressources pétrolières avec le grand voisin
soudanais.

La plus jeune nation du monde, à sa création, en 2011.
En 2012, le pays est dirigé par Salva Kiir. Né en 1951
dans une famille de l’ethnie Dinka, il a rejoint la lutte pour
l’indépendance du Soudan du Sud en 1960. Il intègre le bataillon Anyanya
lors de la première guerre civile soudanaise. Au moment de l'accord
d'Addis-Abeba créant la région autonome du Soudan du Sud, en 1972, il
n’est qu’un jeune officier de rang inférieur. Il est l’adjoint de John
Garang, un des principaux protagonistes de la seconde guerre civile
soudanaise, qui vise à établir une république socialiste au Soudan.
Au moment de l'accord d'Addis-Abeba créant la région
autonome du Soudan du Sud, en 1972, il n’est qu’un jeune officier de
rang inférieur. Il est l’adjoint de John Garang.
En 1997, Salva Kiir commande l’aile militaire du
Mouvement de libération du peuple soudanais lors de l'opération
Thunderbolt, une offensive rebelle au cours de laquelle le mouvement
prend le contrôle de la majeure partie de l'Équatoria occidental, un
Etat fédéré du Soudan du Sud, incluant une partie de l’Ouganda.
Après la mort de John Garang, dans un accident
d’hélicoptère, Salva Kiir devient, le 11 août 2005, président de la
région autonome du Soudan du Sud et premier vice-président de la
République du Soudan.

Avril 2019 : le pape François tente une leçon d’humilité en embrassant les pieds de Salva Kiir.
Il se mue en guide vers l’indépendance totale de la
région qui le confirme dans ses fonctions, lors d’élections tenues en
avril 2010, qu’il remporte avec 93 % des voix. Il décide alors de nommer
Riek Machar, vice-président de la nation la plus jeune de la planète.
L’autre grande ethnie
Riek Machar, né en 1950 à Leer, est originaire de
l’ethnie Nuer, l’autre grande ethnie du mouvement de libération du
peuple soudanais. Ce dernier, ayant reçu une éducation presbytérienne,
fera des études d'ingénieur à l'université de Khartoum, puis obtient un
doctorat en génie mécanique de l'université de Bradford en 1984. Cette
année-là, au début de la deuxième guerre civile soudanaise, il rejoint,
avec de nombreux membres de l’ethnie Nuer, la rébellion de John Garang,
essentiellement constituée de Dinkas.
En 1991, Riek Machar va quand-même s'opposer au chef
historique du mouvement de libération du peuple soudanais et ses
proches, dont Salva Kiir. Il tente un putsch qui échoue.
En 1991, Riek Machar va quand-même s'opposer au chef
historique du mouvement de libération du peuple soudanais et ses
proches, dont Salva Kiir. Il tente un putsch qui échoue.
La rébellion se divise alors en deux camps, deux
ethnies. Le Nuer est accusé d'avoir ordonné le massacre de milliers de
Dinkas lors des heurts internes consécutifs aux dissensions au sein du
mouvement. Riek Machar fait alors défection et créé un groupe rival, qui
finira par s’allier au régime de Khartoum. Son mouvement finira par
réintégrer les forces de John Garang en 2003 après que les différends
aient été réglés.

Le pape François embrasse également les pieds de Riek Machar.
La désertion de Riek Machar n’entrera même pas en ligne
de compte lorsque Salva Kiir le nomme vice-président en 2005, puis en
juillet 2011. Sa présence avait essentiellement pour objectif de
promouvoir l'unité entre la majorité Dinka qui monopolise les postes de
commandement au sein de la force armée du mouvement de libération du
peuple soudanais et l'ethnie Nuer, la seconde du pays. Tout semble aller
bien jusqu’en 2013. Cette année-là, Salva Kiir et son vice-président ne
s’entendent pas sur la date et l'agenda de la conférence de
réconciliation nationale. Riek Machar dénonce alors les « tendances dictatoriales » du président et annonce vouloir se présenter contre lui à la présidence du mouvement populaire de libération du Soudan.
Riek Machar dénonce alors les « tendances
dictatoriales » du président et annonce vouloir se présenter contre lui à
la présidence du mouvement populaire de libération du Soudan.
Salva Kiir le limoge alors le 23 juillet 2013, avec
l'ensemble du gouvernement. Quelques semaines plus tard, des combats
éclatent entre les partisans des deux hommes. Le président accuse Riek
Machar d'être à l’origine d'une tentative de coup d'Etat ayant déclenché
les heurts en cours à Juba. Rappelant ses trahisons passées, Salva Kiir
le décrit en « prophète de malheur qui poursuit ses actions du passé ». Riek Machar va alors fuir Juba pour le nord du pays, d’où il dirige la riposte de ses partisans.
Accord violés et faux semblants
Le pays va alors basculer dans une des guerres les plus
sanglantes de son histoire. Les heurts se fonts de plus en plus
violents, particulièrement dans les villes du nord et du nord-est,
épargnant le sud et l’ouest du pays. Les villes de Bentiu, au nord, Bor,
à l’Est et Malakal au nord-est deviennent les principaux foyers du
violences.

Environ 17 cessez-le-feu et accords de paix seront faits et défaits par les deux parties.
Le conflit prend des allures de guerre ethnique même si
pour la plupart des analystes, il s’agit principalement une lutte pour
le pouvoir. Les combats font plus de 50 000 morts, avec plus de 2,3
millions de déplacés. Selon les rapports des agences des Nations unies
publiés en 2015, plus d'un tiers de la population a besoin d’aide
humanitaire pour survivre. Pourtant, les camps belligérants ne semblent
pas prendre conscience de l’ampleur de la situation. Environ 17
cessez-le-feu et accords de paix seront faits et défaits par les deux
parties. Pendant ce temps, 70 % de la population est menacée par
l’insécurité alimentaire. Même loin du front, les prix des denrées de
base triplent. La livre sud-soudanaise s’effondre et la production
pétrolière chute. Les exactions se multiplient : viols, meurtres de
masse de civils non impliqués et recrutements forcés d’enfants pour la
guerre.
La livre sud-soudanaise s’effondre et la production
pétrolière chute. Les exactions se multiplient : viols, meurtres de
masse de civils non impliqués et recrutements forcés d’enfants pour la
guerre.
L’escalade se poursuit jusqu’en septembre 2018. Les
deux camps signent un nouvel accord de paix, sous d’intenses pressions
diplomatiques. Un embargo sur les armes à destination du Soudan du Sud,
imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies, maintient une
accalmie relative.
Mais alors que cet embargo prend fin ce 31 mai
prochain, la constitution du gouvernement d’union nationale a été
repoussée. Et les deux hommes ayant rivalisé pendant 5 ans pour faire la
guerre, redoublent maintenant d’ardeur pour être le meilleur faiseur de
paix.
Mais alors que cet embargo prend fin ce 31 mai
prochain, la constitution du gouvernement d’union nationale a été
repoussée. Et les deux hommes ayant rivalisé pendant 5 ans pour faire la
guerre, redoublent maintenant d’ardeur pour être le meilleur faiseur de
paix.
Pourtant, dans quelques semaines, en application de
l’accord, ils sont appelés à collaborer ensemble, à la tête d’un pays
meurtri par leurs querelles. Les Sud-Soudanais, blasés par la cohorte
d’accords conclus et défaits, n’attendent que cette paix, tant de fois
promise.
Servan Ahougnon
Par Agence Ecofin