
« Monsieur le Ministre,
Nous sommes respectivement les
conseils de Monsieur le Professeur Maurice KAMTO, de Monsieur Christian
PENDA EKOKA, ainsi qu’environ 210 autres ressortissants camerounais qui
ont été arbitrairement arrêtés fin janvier, au Cameroun. La majorité
d’entre eux y sont détenus depuis plus de 7 mois dans des conditions
illégales, inhumaines et dégradantes.
Ces arrestations sont
intervenues en marge de marches pacifiques organisées le 26 janvier 2019
à l’initiative du MRC, le mouvement politique de M. le Professeur
Maurice KAMTO. Ces marches visaient à dénoncer les conditions dans
lesquelles Monsieur Paul BIYA avait été réélu, qualifiées par bien des
observateurs neutres de « holdup électoral ». Toutes ces manifestations
se sont déroulées de manière pacifique, à différents points du
territoire camerounais.
La plupart des opposants ont d’ailleurs
été arrêtés à leurs domiciles, avant ou après les manifestations, sans
qu’il ne puisse leur être reproché le moindre trouble à l’ordre public.
Certains d’entre eux ont été lourdement violentés à l’occasion de ces
arrestations et ont été soumis à une série de traitements dégradants.
À la suite de ces arrestations, les manifestants, tous des civils
(universitaires, chefs d’entreprises, artistes, commerçants, etc.) ont
été inculpés par un Tribunal militaire pour « hostilité contre la
patrie, insurrection », infractions punies au Cameroun de la peine de
mort.
Une série de recours ont été introduits, tant sur le plan
interne que devant les organes internationaux compétents, notamment
auprès des Nations Unies, pour faire constater l’illégalité de ces
procédures et le traitement dégradant dont sont victimes les personnes
poursuivies.
Courant avril, des avocats signataires ont pu se
rendre à la maison d’arrêt de Yaoundé. Ils y ont constaté les conditions
absolument inhumaines dans lesquelles près d’une centaine d’opposants
sont incarcérés.
De façon croissante, et plus intense ces
derniers mois, de hauts responsables publics internationaux en Europe,
au Canada et également aux États-Unis, ont fait part de leur
préoccupation face aux dérives du pouvoir Camerounais.
Si nous
sommes conscients de la complexité de la situation, notamment au regard
de la menace terroriste qui continue à planer sur cette région, il est
également manifeste que le pouvoir en place instrumentalise cette menace
pour essayer d’obtenir de la France, notamment, et des bailleurs de
fonds institutionnels, une forme d’accommodement. Nous voulons croire
que cela n’est, et ne sera pas le cas.
Le fait est, et vous en
êtes conscient mieux que quiconque, que le Cameroun n’est pas le seul
dans cette partie du monde à essayer d’obtenir une forme de complaisance
de la communauté internationale, pour mieux manipuler dans le silence
les institutions judiciaires aux fins de criminalisation des voix
dissidentes.
Nous sommes les témoins d’un discours et d’actes
nouveaux du Président Macron concernant l’Afrique et, dans cette
perspective, nous ne doutons pas des démarches faites par la France pour
rappeler au Cameroun ses obligations internationales, gravement foulées
en l’espèce, et toutes les conséquences collatérales prévisibles ou
invisibles que cette dérive est susceptible de faire peser sur la
situation sécuritaire au Cameroun et, au-delà, sur la sécurité de
l’ensemble des communautés étrangères qui y habitent et par conséquent,
la communauté française.
De fait, aujourd’hui, plus que jamais,
ces graves violations à l’État de droit, le mépris de la constitution et
les restrictions et atteintes aux droits humains par ses dirigeants au
prétexte d’abus de droits et libertés par une opposition qui ne fait en
réalité que jouer son rôle dans un pays qui se veut démocratique,
doivent être pris au sérieux par la communauté internationale et la
France.
En effet et au-delà des conséquences humaines en l’espèce
dramatiques, on note déjà que l’arbitraire qui semble s’imposer
progressivement au Cameroun fragilise la confiance d’investisseurs
étrangers, dont français, qui craignent désormais de plus en plus pour
la sécurité de leurs représentants et de leurs investissements.
Tous les observateurs constatent que lorsque l’État de droit est mutilé
et que s’installe une forme d’insécurité pour la société civile, cette
insécurité par un effet de contagion s’étend à l’ensemble des
investissements nationaux ou étrangers.
C’est une litote de dire
que ces investissements, à certains égards peuvent être et ont été dans
certains cas décisifs dans la production de richesses et la création
d’emploi. Ce lien entre développement et démocratie n’a jamais été
autant établi, autant documenté et autant décisif pour l’Afrique et en
l’espèce le peuple camerounais. De plus en plus d’investisseurs y
compris français le savent et y sont attachés.
On pourrait de
plus craindre que compte tenu de la position stratégique qu’occupe le
Cameroun dans le golfe de Guinée, objet de convoitises multiformes,
l’instabilité dans ce pays aurait non seulement des répercussions au
plan régional sur les populations et les investisseurs, mais aussi très
probablement sur le plan international.
C’est pourquoi nous en
appelons à l’autorité qui est attachée à votre fonction, mais aussi à
votre expérience notamment du fait de la connaissance intime qui est la
vôtre de l’Afrique pour peser autant que vous le pouvez, nous voulons
dire à la limite haute de ce qui est possible dans le cadre de relations
bilatérales, pour obtenir des autorités camerounaises qu’elles mettent
un terme à ces procédures totalement iniques.
L’intérêt durable
de la France et des Français n’est pas d’aller à contre-courant de la
marche de l’Histoire, voire de rester parfois trop figée sur un statu
quo, au regard des forces dynamiques - démographiques, urbaines,
technologiques, économiques, etc.- qui façonnent l’Afrique en général et
le Cameroun en particulier, et qui commandent de parier sur le
renforcement de l’État de droit et de la démocratie.
Nos clients
sont des femmes et des hommes non seulement profondément respectables et
respectés pour leurs qualités professionnelles, mais aussi pour leurs
qualités morales. Ils ont à ce titre reçu le soutien de nombreuses
personnalités, partout dans le monde.
La situation est d’autant
plus préoccupante voire alarmante que nous avons appris ce jour que les
détenus anglophones ont été condamnés à la prison à vie à l’issue d’une
audience marathon et nous ne pouvons que craindre le même sort pour le
Professeur Maurice Kamto, Christian Penda Ekoka et les autres 210
détenus.
Nous sommes évidemment disponibles pour être reçus par
vos soins et/ou par celui de vos conseillers que vous désignerez, aux
fins de prolonger cette discussion ouverte par cette lettre qui, bien
entendu compte tenu de son importance et à nos yeux de son caractère
crucial, a vocation à être rendue publique.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération ».
Lettre co-signée : le Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel, Me
William Bourdon, Avocat à la Cour, Me Stéphane Brabant, Avocat à la
Cour, Me Eric Dupond-Moretti, Avocat à la Cour, Me Vincent Fillola,
Avocat à la Cour, Me Antoine Vey, Avocat à la Cour.