FIGAROVOX/TRIBUNE - La volonté du
président de privilégier la croissance plutôt que les
mesures de
prudence l’a conduit à des déclarations catégoriques, contradictoires
voire mensongères qui sont autant d’arguments contre lui pour les
démocrates d’ici l’élection de novembre, analyse l’historien André
Kaspi.
André
Kaspi est historien, spécialiste reconnu des États-Unis et lui a
consacré de nombreux ouvrages de référence. L’universitaire a récemment
publié La Nation armée - Les armes au coeur de la culture américaine (Éditions de l’Observatoire, 2019).
La
convention démocrate tient ses promesses. Pas de délégués enthousiastes
qui applaudiraient à tout rompre les leaders de leur parti. La
convention ressemble à une visioconférence. Les discours sont
enregistrés pour éviter les bugs. Et puis, il n’y a eu aucune surprise.
Joe Biden est bien le candidat à la présidence. Il a choisi, pour la
fonction de vice-président, Kamala Harris, l’une des deux sénatrices de
Californie. Son père est jamaïcain ; sa mère indienne ; elle a épousé un
Juif. Toutes les conditions sont remplies pour qu’elle séduise une
partie décisive de l’électorat démocrate, et sans doute au-delà.
Le
discours d’ouverture a été prononcé par Michelle Obama. Elle sait
parler aux nostalgiques, rappeler les temps heureux quand son mari
présidait aux destinées des États-Unis, susciter l’enthousiasme des
minorités raciales et ethniques. Elle a lancé le thème principal de la
campagne: il faut chasser Donald Trump de la Maison Blanche. C’est,
dit-elle en substance, un menteur, un incapable, un danger majeur pour
la République. Il est urgent qu’il parte. Il faut que Joe Biden, qui fut
le vice-président de Barack Obama, lui succède. Michelle Obama et tous
les démocrates accusent le président de n’avoir pas su affronter la
crise du coronavirus.
La politique
ne fait pas nécessairement bon ménage avec l’histoire. Les analystes
commencent à peine à faire l’histoire de la pandémie et, plus
particulièrement, de son apparition aux États-Unis.
La
pandémie frappe très cruellement le pays. Les statistiques sont, chaque
jour, plus inquiétantes: 5 millions et demi de cas ont été enregistrés,
170 000 morts. Même si l’on tient compte des 330 millions d’habitants,
ce sont des chiffres terribles. Les décès vont-ils diminuer? On l’a cru
au début de l’été. Il n’en est rien, pour le moment. Le récent
témoignage de Sharon Stone démontre que, même dans un État comme le
Montana, éloigné des grandes métropoles, en dehors des rassemblements
urbains, avec un gouverneur démocrate, le virus continue de tuer. Pour
les démocrates, aucune hésitation n’est possible. Le coupable, c’est
Donald Trump.
La politique ne fait pas
nécessairement bon ménage avec l’histoire. Les analystes commencent à
peine à faire l’histoire de la pandémie et, plus particulièrement, de
son apparition aux États-Unis. Là-bas comme en Europe, le mois de
février a été décisif. Les premiers symptômes ont été mal analysés. Les
spécialistes se sont interrogés sur les origines, sur le développement
de cette maladie étrange, brutale qui ressemble à d’autres épidémies et
pourtant n’est pas identique. D’après l’enquête du Wall Street Journal,
trois semaines ont été perdues. Les tests ont été insuffisants. Les
autorités sanitaires ont été hésitantes. Faut-il ajouter que les
États-Unis n’ont pas été le seul pays à ne pas saisir la gravité de la
situation? Les dirigeants politiques de bien d’autres États ont-ils fait
mieux?
Trump a voulu rassurer ses
compatriotes. Sauf à tenir des propos souvent imprudents, quelquefois
indéfendables, quand ils n’étaient pas mensongers.
Plus
encore que les autres, Donald Trump a voulu rassurer ses compatriotes.
Sauf à tenir des propos souvent imprudents, quelquefois indéfendables,
quand ils n’étaient pas, tout simplement, mensongers. Le 22 janvier, il
jure ses grands dieux que le «virus chinois» ne frappera pas les
États-Unis. En février, il déclare avec assurance que les chaleurs de
l’été feront des miracles. Il annonce également qu’un vaccin sera
disponible très prochainement. Sur sa lancée, il compare le Covid-19 au
virus de la grippe. Le 6 mars, tout Américain, dit-il, peut, s’il le
souhaite, passer un test. À l’en croire, les États-Unis sont en mesure
de proposer des tests, en bien plus grand nombre que la Corée du sud,
que l’Italie et l’Allemagne. Ce qui n’est pas vrai. Le 17 mars, il
soutient que depuis longtemps, il a compris l’étendue de la pandémie et
que pour guérir, il suffirait que tous les Américains reprennent leurs
activités. Le 14 avril, il explique que le gouvernement fédéral peut
ordonner «l’ouverture» des États. Le lendemain, il dit le contraire. Le
20 juin, dans la réunion électorale de Tulsa, le président demande qu’on
arrête ou qu’on limite les tests, car plus on en fait, plus on augmente
le nombre des contaminations. Le 4 juillet, nouvelle déclaration: 99 %
des contaminations sont inoffensives. Les enfants n’étant pas
symptomatiques, le président exige, le 4 août, que les écoles rouvrent
au plus tôt ; sinon, Washington réduira son aide financière.
Passons
sur l’éloge imprudent de l’hydrochloroquine et, pire encore, sur
l’emploi recommandé de l’eau de Javel pour tuer le virus.
Ces
errements ont détruit, chez bon nombre d’Américains, la confiance
qu’ils ont pu avoir dans la parole présidentielle. Donald Trump a voulu
rassurer ses compatriotes, les convaincre que la croissance économique
n’est pas menacée, que les Américains doivent, de toute urgence, se
remettre au travail - s’ils ne sont pas réduits au chômage, qu’il reste
le meilleur candidat pour les élections du 3 novembre. Ses certitudes,
sincères ou non, sont autant de faiblesses. Elles alimentent les
attaques de ses adversaires politiques. Elles font de lui un menteur qui
ne peut qu’inspirer la défiance, voire l’hostilité.
Contre le Covid, la Californie, gouvernée par des démocrates, ne fait guère mieux que la Floride, à majorité républicaine.
Deux réserves, toutefois, à l’acte d’accusation.
Joe
Biden, confiné dans le basement de sa maison du Delaware, très peu
présent dans le débat politique, paraît de temps à autre sur les écrans
de télévision. Il porte un masque, à la différence de Trump qui a
longtemps rejeté cette protection. Ses propositions sont vagues.
En
outre, il ne faut pas oublier qu’aux États-Unis, les États, les comtés,
les villes disposent d’une autonomie que nos collectivités publiques en
France ne connaissent pas. La Californie, gouvernée par des démocrates,
ne fait guère mieux que la Floride, à majorité républicaine. La ville
de New York rouvre des lieux publics, avec une prudence qu’on ne
retrouve pas dans le reste de l’État.
Somme
toute, Donald Trump a souvent menti. Pour maintenir la croissance
économique de son pays et remporter les élections présidentielles. Il a
fourni des arguments contre lui, que les démocrates utilisent et
utiliseront. Malgré tout, près de la moitié des électeurs continuent de
lui faire confiance - un peu moins que les soutiens de Joe Biden. Est-ce
suffisant pour être réélu?
André Kaspi
Par lefigaro.fr