Arrivé sur le tard en politique, Donald Trump est
le candidat surprise du parti républicain à l’élection présidentielle
américaine. Alors qu’il compte de nombreux détracteurs au sein même de
son propre camp, ce
provocateur hors pair se fait le porte-voix d’une Amérique déçue par sa classe politique et de nouveau tentée par l’isolationnisme. Retour sur son parcours.
provocateur hors pair se fait le porte-voix d’une Amérique déçue par sa classe politique et de nouveau tentée par l’isolationnisme. Retour sur son parcours.
Un Benito Mussolini pigmenté au
carotène mélangé à un Bernard Tapie façon Yankee Stadium, l’ensemble
surmonté d’un étrange toupet blond biconvexe, voilà en gros l’image que
nous renvoie Donald Trump, celui qui va représenter le parti républicain
d’Abraham Lincoln, Théodore Roosevelt et Dwight Eisenhower à l’élection
présidentielle américaine. De Mussolini, Trump a hérité la faculté
d’haranguer les foules et la foi dans un nationalisme exacerbé. Quant à
sa gouaille légendaire et l’incroyable aplomb dont il fait preuve en
toutes circonstances, ils ne sont pas sans rappeler, puissance 10, ceux
affichés autrefois par Bernard Tapie, l’homme d’affaires et ancien
ministre français avec qui Trump a également en commun l’art du rebond
dans le business, un génie télévisuel certain et aussi la particularité
de s'être servi du sport comme tremplin. Différence de taille toutefois,
ni Mussolini, ni Tapie n’ont été accusés de harcèlement sexuel.
« Derrière chaque grande fortune se cache un grand crime », écrivait Balzac. Si la fortune de Donald John Trump n’est a priori entachée
d’aucun crime, elle est jalonnée de quelques oublis pour ne pas dire de
quelques mensonges, car Trump est loin d’être un self made man,
comme il l’a souvent laissé croire. C’est désormais de notoriété
publique : le magnat de l’immobilier investi par le Parti républicain
pour affronter Hillary Clinton dans la course à la Maison Blanche doit
en effet une fière chandelle à son père, Fred Trump, qui lui a d’abord
laissé le contrôle de sa compagnie l’année de ses 25 ans, puis lui a
sauvé plusieurs fois la mise lorsqu’il était en difficulté financière.
Comme sa rivale pour la présidence, Donald Trump est un enfant de
l’immédiat après-guerre. Avant-dernier enfant d’une famille de six
enfants, il naît le 14 juin 1946 à Jamaica Estates, dans une maison de
23 pièces de ce quartier aisé et boisé situé au milieu de
l’arrondissement du Queens à New York. Parti de pas grand-chose, Fred
Trump a déjà fait fortune quand Donald apparaît, une fortune amassée à
coups d’investissements judicieux dans la construction d’immeubles en
brique rouge comme on en voit encore des centaines à Brooklyn et dans le
Queens, des habitations principalement destinées aux classes moyennes.
« Par chance, j’ai eu Manhattan pour moi tout seul », dira un jour Trump junior, avec la modestie qui le caractérise.
Businessman à 25 ans
Passé maître dans l'art de l'autopromotion, Donald Trump a publié une vingtaine de livres.
Peter Kramer / Getty Images North America / AFP
Elevé à l’ancienne mais déjà turbulent, Donald a treize ans quand le
paternel l’expédie à l’Académie militaire de New York après une escapade
à Manhattan durant laquelle le garnement et ses copains s’étaient
procuré des couteaux à cran d’arrêt « pour faire comme dans West Side
Story ». L’incartade de trop. Du confort de la demeure du Queens aux
rigueurs de la caserne de Cornwal-on-Hudson, à 100 km au nord de Big Apple,
le choc est brutal mais le teenager encaisse. Déjà costaud pour son
âge, assez doué pour le baseball et le football (américain bien sûr),
Donald va apprendre la discipline et aussi à se faire respecter. Cinq
ans plus tard, c’est un jeune adulte sûr de lui qui sort avec les
honneurs de l’académie pour rejoindre l’université de Fordham dans le
Bronx en 1964 puis la Wharton School de Philadelphie en 1966, la plus prestigieuse école de commerce américaine.
Après avoir échappé à la guerre du Vietnam grâce à une dispense médicale de complaisance
obtenue en octobre 1968, il rejoint son père pour l’épauler au sein de
l’entreprise familiale. Donald apprend vite auprès d’un homme qui, à sa
mort en 1999, aura construit en tant que promoteur plus de 27 000
appartements dans les différents boroughs (arrondissements) de
New York et laissera une fortune estimée à 300 millions de dollars de
l’époque répartie entre cinq de ses six enfants car Fred Jr, le frère
aîné, est décédé en 1981 à l’âge de 43 ans, une mort due à l’alcoolisme.
Dès 1971, Donald se voit confier le contrôle de la société qu’il
rebaptise aussitôt Trump Organization et dont il déménage le siège à
Manhattan, son futur terrain de chasse. Grâce à son flair, à son audace
mais aussi aux lignes de crédit accordées par la Chase Manhattan Bank et
dont son père se porte garant, l’ambitieux promoteur commence à bâtir
son empire.
Son premier gros coup est la transformation du vieil hôtel Commodore
en Grand Hyatt Hotel en 1978, une opération qui ne va pas sans quelques
difficultés financières puisque Fred Trump devra le renflouer de
7,7 millions de dollars deux ans plus tard pour rembourser les intérêts.
Les dettes, Donald Trump va s’habituer à vivre avec (selon le New York Times
elles s’élèveraient cette année à 650 millions de dollars), tout comme
il va passer maître dans l’art de contourner les règles et de se jouer
du fisc, notamment grâce à des reports de déficits,
une gymnastique compliquée mais légale aux USA. Roi de l’autopromotion,
il va désormais apposer son nom sur la plupart de ses réalisations,
toutes plus clinquantes les unes que les autres : la Trump Tower (1983),
le Trump Building (1995), Trump Place (1997), la Trump World Tower
(2001), le Trump Park Avenue (2002) et le Trump International Hotel and
Tower (2005) pour ne citer que celles de Manhattan.
Dès le début des années 1980, il se lance parallèlement dans le
rachat et la construction d’hôtel-casinos à Atlantic City, station
balnéaire qui n’est située qu’à deux heures de voiture de Manhattan. Son
produit d’appel se nomme alors Mike Tyson. Le plus jeune champion du
monde poids lourd de l’histoire disputera au total treize combats
(treize K.O.) dans le Las Vegas de la Côte Est entre 1985 et 1988, une sacrée publicité pour Trump
car Tyson est alors une attraction planétaire dont les matchs sont
retransmis sur les cinq continents. Le partenariat finira quand même par
une brouille (Don King, le manager de Tyson, fait croire à son poulain
que Trump a couché avec sa femme, Robin Givens …) et le chapitre
Atlantic City va également se terminer en sortie de route pour Donald
Trump puisque le Trump Plaza, le Trump Castle et le Taj Mahal font tous
les trois faillites en moins d’un an, entre 1991 et 1992.
L’effet télé-réalité
Trump a été accusé de harcèlement sexuel par plusieurs particpantes à ses concours de beauté.
REUTERS/Steve Marcus/files
Les temps sont un peu plus difficiles alors pour le magnat
new-yorkais qui n’essuie pratiquement que des échecs en dehors de
l’immobilier. Son équipe de football américain, les New Jersey Generals,
plient boutique au bout de trois saisons, son Tour de Trump (sic)
cycliste ne connaît que deux éditions, son rachat de la compagnie
aérienne Eastern Airlines débouche sur une faillite, idem pour sa Donald
Trump Super Premium vodka et ses Trump steaks dont personne ne veut.
Six années de rang, il n’est même pas dans la liste des quatre cents
américains les plus riches publiée par le magazine Forbes, ce qui a le don de prodigieusement l’agacer (il appelle plusieurs fois Forbes pour se plaindre).
Côté ménage, cela ne va pas fort non plus. Apprenant qu’il la trompe
avec l’actrice Marla Maples, Ivana, mère de trois de ses cinq enfants,
demande et obtient le divorce après treize ans de vie commune avec
20 millions de dollars et une pension annuelle de 350 000 dollars à la
clef. Après avoir épousé Marla en 1993, Trump divorcera à nouveau en
1999 pour convoler avec Melania, un ancien mannequin originaire de Slovénie,
de 24 ans sa cadette. Elle est toujours à ses côtés aujourd’hui. L’une
des grandes qualités de Donald Trump étant de tirer parti de ses échecs
et de savoir toujours rebondir, il rencontre quand même le succès
ailleurs que dans l’immobilier, notamment en librairie.
Après la réussite du best-seller The Art of the Deal (l’Art
de la négociation) sorti en 1987 et coécrit avec Tony Schwartz un
journaliste qui, depuis, ne le porte pas dans son cœur comme on le lira
en fin d'article, une quinzaine d’ouvrages de tutorat vont suivre, aux
titres plus évocateurs les uns que les autres L’Art du comeback, Survivre au sommet, Comment devenir riche
etc. Il va également intégrer le monde de la télé en devenant
propriétaire de Miss Univers, Miss USA et Miss Teen USA, des concours de
beauté très populaires dont il cède les droits de retransmission à CBS
puis à NBC. C’est à partir de cette période qu’il a, selon plus d’une vingtaine d’accusatrices, des gestes ou propos inappropriés envers des femmes, notamment envers de participantes à ces concours.
Si ces faits avaient été connus avant, Trump aurait eu du mal à se lancer dans The Apprentice, un show de téléréalité qui va le rendre définitivement célèbre dans tout le pays et plus seulement à New York. Lors de ses cinq premières saisons, cette émission (1)
dont il était à la fois le personnage central et le producteur exécutif
allait rassembler en moyenne plus de 10 millions de téléspectateurs,
avec des pointes à 28 millions, et façonner encore un peu plus son image
de businessman dur à cuire dans l’Amérique de l‘après 11-septembre. Le
principe était simple : deux équipes de candidats triés sur le volet se
voyaient confier chaque semaine une mission, chaque équipe comprenant un
chef de projet. Au terme de la semaine, les chefs de projet rendaient
des comptes à Trump qui décidait à chaque fois d’un candidat à éliminer
en prononçant la phrase-qui-tue : « You’re fired ! » (Vous êtes viré). Succès phénoménal, « You’re fired ! » devient même une phrase culte, adoptée dans seize pays.
Trente ans d’hésitations
En soutien du candidat républicain Mitt Romney en 2012.
REUTERS/Steve Marcus
Non content de lui assurer un peu d’argent de poche (100 000 dollars de cachet par épisode), The Apprentice,
dont il détient également 50% des droits, lui permet de se faire
gratuitement une publicité à grande échelle et de devenir une vraie
star. C’est du nectar pour son ego surdimensionné. Dès lors, l’idée de
faire campagne, qui lui trotte dans la tête depuis déjà un bon moment,
finit de prendre forme. Entre Trump et la politique, le flirt durait
depuis près de trois décennies, rythmé par une longue valse-hésitation
quant à la casaque à revêtir. Dès 1987, il songe à se présenter à la
primaire républicaine de 1988 mais ce projet ne va pas beaucoup plus
loin qu’un discours prononcé dans le New Hampshire qui jette quand même les bases de son leitmotiv actuel : la faillite de l’Etat et le déclassement de l’Amérique.
La quête du pouvoir le démange à nouveau en 2000 quand il songe à briguer l’investiture du Parti de la réforme, le Reform Party
fondé en 1995 par Ross Perot, le milliardaire texan candidat aux
élections de 1992 et 1996. Trump se retire finalement de la course dès
le mois de février 2000, non sans avoir remporté les primaires de
Californie et du Michigan. Tout accaparé par le succès de The Apprentice, il passe ensuite son tour en 2004 et 2008. Très critique envers George W Bush, il avoue même pencher pour les démocrates ainsi qu’il le confie à Wolf Blitzer sur CNN en mars 2004 : « Vous
seriez choqué si je vous disais que, sur beaucoup de sujets, je
m’identifie plus aux démocrates qu’aux républicains. Cela fait un moment
que je suis dans les affaires et je constate que l’économie va toujours
mieux quand ce sont les démocrates au pouvoir ».
Aussi improbable que cela puisse paraître aujourd’hui, en 2008 il fait l’éloge de Bill et même de Hillary Clinton alors sénatrice de New York, sur la chaîne NY1 : « Elle
a été super comme sénatrice, et comme épouse de président. Et Bill
Clinton a été un grand président. Sous sa présidence, nous n’avons pas
eu de guerre, l’économie allait bien et tout le monde était heureux.
Beaucoup de gens le détestent parce qu’ils sont jaloux comme l’enfer
». En 2011 cependant, il est redevenu républicain et songe de nouveau à
se présenter à la primaire du parti. Il y renonce finalement dès le
mois de mai car trop pris par ses affaires. Cela ne l’empêche pas de
déclarer : « Je garde la ferme conviction que si je m’étais
présenté, j’aurais gagné l’investiture et, au bout du compte, l’élection
présidentielle ».
Quatre ans plus tard, il est fin prêt. Le 16 juin 2015, il se lance dans la course au son de Keep On rockin’ in the free world de Neil Young (lequel a moyennement apprécié) : « Je me présente officiellement comme candidat à la présidence et nous allons rendre ce pays grand à nouveau », affirme-t-il, avant d’ajouter, tout en nuances : « Je vais être le plus grand président pour l’emploi que Dieu ait jamais créé, je vous le dis ».
Puis il embraye sur deux de ses thèmes favoris : la dette détenue par
les Chinois et les Japonais et aussi l’immigration : « Quand le
Mexique nous envoie ses immigrés, il ne nous envoie pas les meilleurs.
Il nous envoie des gens qui ont beaucoup de problèmes, de gens qui
importent de la drogue, des crimes, des violeurs ». Puis il finit en apothéose : « Le
rêve américain est mort. Mais si je suis élu président, je vais le
faire renaître plus grand, meilleur et plus fort qu’il n’a jamais été.
Et nous rendrons sa grandeur à l’Amérique ».
Aux portes du pouvoir
Donald Trump s'est fait le porte-voix de la majorité silencieuse (ici lors d'un meeting à Dallas).
© RFI/Anne-Marie Capomaccio
Sa tirade sur les Mexicains a pour effet immédiat de voir NBC couper
les ponts avec lui, de même que la chaine Univision qui diffuse Miss
Univers et Miss America en espagnol. Un mois plus tard, il déclenche un nouvel ouragan médiatique
en s’en prenant à John McCain, le candidat républicain battu par
Barack Obama en 2008, fait prisonnier et torturé pendant la Guerre du
Vietnam : « Ce n’est pas un héros. C’est devenu un héros parce qu’il
a été fait prisonnier. Je préfère les gens qui n’ont pas été fait
prisonnier ». Preuve que l’outrance a du bon, cela n’a guère
d’effet sur sa campagne. Fin juillet 2015, il est déjà en tête des
républicains dans les sondages devant le gouverneur de Floride Jeb Bush.
Depuis, le phénomène Trump s’est amplifié, imperméable aux
contre-vérités assénées dans les meetings et aux nombreux dérapages
survenus depuis un an, créant un spectacle quasi-permanent qui a fait le
miel des chaînes d’infos. D’une arrogance folle, il a pris le Parti
républicain à rebrousse-poil, insulté ses adversaires, énoncé des
énormités sans que cela lui barre la route de l’investiture. Porté par une vague anti-establishment
comme l’Amérique n’en a jamais connue, le voilà maintenant aux portes
du pouvoir. Alors que l’élection semblait perdue pour lui il y encore
deux semaines, le doute s’est installé dans le camp démocrate après
l’annonce par le FBI qu’il rouvrait l’enquête sur les emails non
sécurisés de Hillary Clinton.
A écouter Tony Schwartz, le journaliste qui a passé des mois à ses côtés pour rédiger The Art of the Deal, Donald Trump n’a absolument pas les qualités requises pour gouverner le pays le plus puissant de la planète. « Si je devais réécrire le livre, je l’intitulerais 'Le Sociopathe' » déclarait cet été le journaliste à l'hebdomadaire The New Yorker. Et il ajoutait : « Je
pense sincèrement que si Trump gagne et qu’il dispose des codes
nucléaires, il y a une forte probabilité qu’il mette fin à la
civilisation ». On n’est pas obligé de le croire bien entendu mais cette perspective fait quand même un peu froid dans le dos.
(1) Donald Trump a arrêté la présentation de The Apprentice en 2015, une nouvelle version doit débuter en 2017 avec Arnold Schwarzenegger comme figure de proue.