Ancien chef d’état-major aujourd’hui en exil, Godefroid Niyombare
livre à JA les dessous du coup d’État manqué qu’il a mené contre Pierre
Nkurunziza en mai 2015. Et son nouveau plan de bataille.
La dernière fois qu’il s’est exprimé, c’était le 14 mai 2015, dans le tumulte du coup d’État
qu’il avait lancé la veille contre le président burundais, Pierre
Nkurunziza, alors en course pour un troisième mandat présidentiel. « En
violation de la Constitution », affirmait à l’époque le général Godefroid Niyombare,
qui avait annoncé prématurément, quelques heures plus tôt, la
destitution du chef de l’État. Dès le lendemain, l’un des conjurés
confirmait à l’AFP l’échec de leur entreprise : « Nous avons décidé de
nous rendre. J’espère qu’ils ne vont pas nous tuer. »
Réélection contestée de Pierre Nkurunziza
Parvenu miraculeusement à quitter le pays, celui qui fut le
premier chef d’état-major d’origine hutue de l’armée burundaise a depuis
repris du service à la tête des Forces républicaines du Burundi
(Forebu), un mouvement rebelle créé « pour restaurer la démocratie dans
le respect des accords d’Arusha ».
Car Godefroid Niyombare, 47 ans, n’en démord pas : depuis sa
réélection contestée, en juillet 2015, Pierre Nkurunziza est
illégitime. Et l’officier en rupture de ban se désespère de voir son
pays poursuivre sa descente aux enfers. Si les disparitions se sont
faites plus rares et les cadavres moins nombreux ces derniers mois, la
situation reste critique dans un Burundi devenu, selon de nombreux
témoignages, un véritable État-parti aux couleurs du CNDD-FDD.
Près de 400 000 Burundais ont fui le pays, où la population
subit les assauts conjugués de la famine et de la malaria et où le
contexte économique s’aggrave mois après mois, faute de devises.
Le dialogue interburundais rompu
Pierre Nkurunziza, lui, semble n’avoir rien changé à ses
habitudes. Il continue d’arpenter les collines le week-end, lors des
travaux communautaires, et d’aligner les buts pendant la semaine sur les
terrains de foot de Bujumbura. « Il s’appuie toujours sur la
nomenklatura militaire, qui dirige le parti et l’armée », analyse le
responsable d’une organisation de la société civile.
Si la rumeur l’a un temps présenté reclus dans son fief de
Ngozi, dans le Nord, il semble avoir retrouvé le chemin de la capitale
depuis plusieurs mois. De là à tenter l’aventure en dehors du pays, il y
a un pas qu’il se refuse à franchir depuis le 14 mai 2015.
Difficile, dans ces conditions, de relancer un dialogue
interburundais au point mort depuis que le Conseil national pour le
respect de l’accord d’Arusha et la restauration d’un État de droit au
Burundi (Cnared), qui regroupe des responsables en exil de la classe
politique et de la société civile, a récusé le médiateur tanzanien
Benjamin Mkapa, à la suite de propos jugés trop favorables au président.
Je n’ai jamais cherché à prendre le pouvoir, mais au contraire à le rendre au peuple burundais
Putschiste non repenti, Godefroid Niyombare tient
aujourd’hui à mettre les points sur les « i » : « Je n’ai jamais cherché
à prendre le pouvoir, mais au contraire à le rendre au peuple burundais
afin que les responsables politiques puissent jouer pleinement leur
rôle. » Dans cet entretien exclusif, il revient sur ces quarante-huit
heures où le Burundi a failli basculer.
Jeune Afrique : Pourquoi sortir du silence ?
Godefroid Niyombare : Je voudrais que la
communauté internationale comprenne pourquoi nous avons agi ainsi. Si
j’ai passé dix ans de ma vie dans le maquis, durant la guerre civile,
c’était pour voir un jour l’avènement d’un véritable État de droit, et
non pour cautionner un pouvoir devenu illégitime. Début 2015, j’avais
prévenu l’entourage de Pierre Nkurunziza que la population s’opposerait à
un troisième mandat. On m’avait répondu que, dans ce cas, elle serait
matée.
Quelques mois avant le début de la crise électorale,
Pierre Nkurunziza vous avait rappelé à Bujumbura pour prendre la tête
du Service national de renseignement (SNR). Vous veniez pourtant d’être
nommé ambassadeur au Kenya…
J’étais très proche du président, dont j’avais été l’un des
principaux conseillers sur les questions de sécurité avant d’occuper,
pendant six ans, la fonction de chef d’état-major de l’armée. Fin 2014,
il envisageait déjà de briguer un troisième mandat.
Pour séduire la communauté internationale, il s’était alors
séparé de deux collaborateurs aussi influents que controversés : le
commissaire de police Alain-Guillaume Bunyoni, chef du cabinet civil, et
le général Adolphe Nshimirimana, patron du SNR. Il m’a fait revenir de
Nairobi pour remplacer ce dernier.
Dès ma nomination à la tête du service, nous avons fait
procéder à une évaluation de la situation. Mes services ont rapidement
constaté que, au sein même du CNDD-FDD et de l’armée, les quatre
cinquièmes des cadres ne comprenaient pas la décision présidentielle. Le
18 février 2015, vers midi, j’ai remis en main propre à Pierre
Nkurunziza la note que nous avions rédigée à ce sujet.
C’est la dernière fois que je viens chez toi. Je ne suis pas sûr que tu seras encore en vie dans quarante-huit heures
Comment a-t-il réagi ?
Une réunion était prévue le lendemain matin à la présidence.
À 20 heures, le 18, je n’avais toujours pas été convoqué
officiellement, alors que je savais que sept autres officiers l’étaient
déjà. J’ai alors compris qu’il se passait quelque chose d’anormal. Après
la réunion, l’un des participants s’est précipité à mon domicile et m’a
dit : « C’est la dernière fois que je viens chez toi. Je ne suis pas
sûr que tu seras encore en vie dans quarante-huit heures. »
À votre tour, vous êtes alors limogé…
Dès le surlendemain, j’ai été démis de mes fonctions, sans
motif. Je me doutais que les choses risquaient de mal tourner, mais je
suis demeuré chez moi en attendant la suite des événements. Plusieurs
émissaires ont tenté, en vain, de me rallier à la cause du président.
Avez-vous été physiquement menacé ?
Je sais qu’ils ont envisagé de me liquider. Mais du fait de
mon passé dans le maquis puis à l’état-major, ils n’ont trouvé personne
pour le job. Les gens chargés de me filer me prévenaient discrètement
lorsqu’un danger me guettait.
Le 25 avril 2015, Pierre Nkurunziza annonce officiellement qu’il sera candidat. Comment vivez-vous cet épisode ?
À partir de cette date, la contestation populaire gagne le
pays, tout en se radicalisant. Des policiers commencent à faire feu sur
les manifestants. Certains militaires se font également tirer dessus par
des miliciens en service commandé pour le compte du SNR. Avec d’autres
officiers, nous décidons alors de passer à l’action.
Le départ de Pierre Nkurunziza, le 12 mai, pour un sommet de la Communauté des États de l’Afrique de l’Est, nous a donné l’occasion d’agir
Quel est votre plan ?
Cantonné à mon domicile, sous la protection de quatre
officiers fidèles, je restais tout de même en contact avec les
commandants de plusieurs bataillons. Le défi qui se posait à nous était
d’agir sans verser de sang. Le départ de Pierre Nkurunziza en Tanzanie,
le 12 mai, pour un sommet de la Communauté des États de l’Afrique de
l’Est, nous a donné l’occasion d’agir.
De quels effectifs disposiez-vous ?
De quelques centaines d’hommes bien armés, hutus comme
tutsis, hommes de troupe et officiers. En soutien, nous pouvions compter
sur deux blindés. Le 13 mai, vers 10 heures du matin, nous avons
rassemblé les troupes, vérifié l’armement et la logistique, puis nous
avons contacté les autres unités pour leur donner le signal. C’est sur
le pont de Musaga qu’ont commencé les combats. Ensuite, nous sommes
entrés rapidement dans la ville.
Très vite, le vent semble tourner en votre défaveur…
Faute de soutien, les troupes qui devaient prendre
l’aéroport ont dû rebrousser chemin. Parallèlement, les véhicules censés
acheminer nos renforts ont été arrêtés par ceux-là mêmes qu’ils étaient
venus chercher. Tout était donc à repenser. Le 13 mai au soir, nous
nous sommes regroupés et avons décidé de concentrer nos efforts sur le
siège de la radio nationale. Mais lorsque nous y sommes retournés le
lendemain, nous avons fait face à une forte résistance des troupes
loyalistes.
L’attitude de Pontien Gaciyubwenge , alors que le putsch était déjà lancé, représente une véritable trahison
Quel rôle exact a joué le ministre de la Défense, Pontien Gaciyubwenge, au cours de ces deux journées ?
Il devait théoriquement assurer la coordination des troupes.
Mais dès le départ, les communications avec lui ont été coupées. Tout
le monde attendait qu’il donne un feu vert qui n’est jamais venu. Son
attitude, alors que le putsch était déjà lancé, représente une véritable
trahison. L’un de ses proches m’a d’ailleurs affirmé ultérieurement que
Pontien Gaciyubwenge s’était rendu à la présidence avant le départ de Nkurunziza. De là à imaginer qu’il l’avait averti de notre projet…
À quel moment décidez-vous de renoncer ?
Dans la nuit du 14 au 15 mai, nous avons décroché du QG et
nous nous sommes dispersés dans la capitale par petits groupes de deux à
quatre personnes. Le 15 au matin, j’ai reçu un appel de mon ami le
général Cyrille Ndayirukiye, conseiller auprès du ministre de la
Défense : il avait été trahi et était encerclé avec ses hommes par les
forces loyalistes.
Comment êtes-vous parvenu à éviter le même sort ?
Je me suis exfiltré, via les quartiers sud de Bujumbura. En
ville, des militaires m’ont reconnu et m’ont même salué avant de me
laisser passer. J’ai ensuite rejoint le quartier de mon enfance,
Kamenge, où je savais pouvoir me cacher.
J’y suis resté deux jours, tandis que dans la capitale
certains fêtaient la nouvelle de ma mort, annoncée par la présidence.
J’ai ensuite rejoint les montagnes de Bujumbura Rural, et cinq jours
plus tard, je suis parvenu à m’enfuir en traversant le lac Tanganyika.
En dix ans de maquis, j’ai beaucoup circulé, nouant des liens avec différents groupes – notamment les Maï-Maï
Les rumeurs vous ont, un temps, annoncé au Rwanda…
Le Rwanda n’a jamais été une option pour moi. D’ailleurs,
Kigali n’est jamais intervenu, pas plus que les autres capitales de la
sous-région, dans cette affaire. Il s’agit d’un problème strictement
burundais, et je n’ai pas été en contact avec les Rwandais.
Il vous a bien fallu des soutiens pour quitter le pays et vivre, depuis deux ans, dans la clandestinité…
Dès l’échec de notre action, j’ai activé mes contacts. En
dix ans de maquis, j’ai beaucoup circulé, nouant des liens avec
différents groupes – notamment les Maï-Maï. En tant que chef
d’état-major, j’ai ensuite côtoyé les responsables militaires les plus
importants de l’Afrique des Grands Lacs. Certains sont devenus des amis,
d’autres des protecteurs.
Vous avez désormais repris le maquis…
J’ai effectivement renoué avec la clandestinité. Au Burundi
comme à l’étranger, mes déplacements sont planifiés et sécurisés par des
personnes de toute confiance. La semaine dernière, j’étais en RD Congo.
Aujourd’hui, je vous parle depuis l’est du Burundi. Trois jours plus
tôt, j’étais dans le centre du pays…
En 2015, j’avais attendu cinq mois avant de remettre les
pieds au Burundi. Mais aujourd’hui, je peux y entrer et en ressortir à
ma guise. Où que je sois, je reste joignable sur un numéro de téléphone
belge ou mozambicain.
Pierre Nkurunziza est un petit monarque dont la seule ambition est de régenter le pays à sa guise
Comment Pierre Nkurunziza parvient-il à se maintenir au pouvoir, malgré l’extrême isolement du Burundi ?
C’est un petit monarque dont la seule ambition est de
régenter le pays à sa guise. Avec ses discours aux fortes connotations
religieuses, il a hypnotisé les gens. En réalité, c’est quelqu’un
d’insensible, qui n’aime que lui-même.
Face à vous, il parle toujours avec douceur, il est donc
impossible de savoir s’il vous considère réellement comme son ami. Si
vous marchez dans le chemin qu’il a tracé, tout va bien ; mais le jour
où vous ne répondez plus à ses attentes ou à ses intérêts, c’est la
disgrâce. Tel un roitelet au milieu de ses vassaux, il sait s’entourer
de gens qu’il associe à ses excès, lesquels se retrouvent ensuite pris
au piège.
La lutte armée reste-t-elle, à vos yeux, la seule option ?
Après notre débandade, plus d’un millier de militaires, dont
une dizaine de généraux, ont pu quitter le pays sans être inquiétés. En
décembre 2015, nous avons créé les Forebu, qui regroupent des
militaires et des policiers opposés au coup de force de Nkurunziza. Je
suis par ailleurs en contact avec les gens du Cnared, même si j’ai du
mal à comprendre, au juste, ce qu’ils revendiquent.
Si nos futures actions sont bien coordonnées, cela peut créer les conditions d’un basculement
Et vous, que revendiquez-vous ?
Les négociations dans lesquelles le Cnared est engagé nous
semblent sans issue. Pour négocier, il faut être deux, or le régime de
Bujumbura n’a aucun intérêt à privilégier cette logique. Pour les
Forebu, il n’est pas exclu de passer un jour à la lutte armée.
Pour l’heure, nous nous sommes limités à quelques opérations
ponctuelles contre des installations militaires. La plus importante, en
décembre 2015, a mal tourné car nous n’étions pas prêts. Nous nous
organisons donc afin d’être opérationnels le jour venu.
Des liens existent entre nous et l’armée burundaise, où nous
comptons des sympathisants. Si nos futures actions sont bien
coordonnées, cela peut créer les conditions d’un basculement.
Persona non grata
Si les troupes du général Niyombare ont été accueillies par
une population en liesse à Bujumbura, le 13 mai 2015, la tentative de
coup d’État a été fraîchement reçue par les chancelleries et autres
organisations internationales. L’ONU, l’UA, l’UE et la Communauté des
États de l’Afrique de l’Est ont ainsi unanimement condamné « ceux qui
cherchent à s’emparer du pouvoir par des moyens illégaux » – pour
reprendre la formule onusienne.
« le président légitime »
Après avoir rappelé que Pierre Nkurunziza était « le
président légitime », le Département d’État américain a, lui, sanctionné
indistinctement les généraux putschistes Niyombare et Ndayirukiye
– restriction de circulation et gel des avoirs – et les policiers
loyalistes Bizimana et Bunyoni, tous jugés « coupables d’atteintes aux
droits de l’homme ».
« Que Barack Obama me place sur la même liste que les
officiers restés fidèles à Nkurunziza m’attriste. Cela me rappelle la
crucifixion de Jésus, entre deux brigands », ironise aujourd’hui
Niyombare, qui préfère garder ses distances avec les « injonctions
occidentales ».
« Nos pays ont encore besoin que des résistants se lèvent
quand c’est nécessaire, quitte à en payer le prix. Depuis avril 2015, je
n’ai plus revu mes enfants ni mon épouse, qui ont trouvé refuge à
l’étranger », rappelle celui qui, dans son pays, a été condamné par
contumace, en janvier 2016, à une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Comme quatre autres généraux, dont Cyrille Ndayirukiye.
Source: Jeune Afrique

