De Gaulle et la reconnaissance de la République populaire
L’histoire de la relation entre la France et la Chine communiste débute en 1964, lorsque la France décide de reconnaître diplomatiquement le régime de Mao Zedong,
au pouvoir depuis 1949. La guerre d’Algérie est terminée depuis deux
ans et le général de Gaulle estime avoir les mains libres pour se lancer
dans une diplomatie originale pour l’époque dans le camp occidental.
«Se rapprocher du criminel Mao est une erreur profonde», lance l'ancien président chinois Tchang Kaï-chek
aux deux généraux français venus l’avertir. Le leader nationaliste est
replié à Taïwan, et c’est avec lui que l’ensemble du monde libre a des
relations.
Les critiques à l’égard de la France se multiplient aux
États-Unis et dans les pays d’Europe occidentale. À Pékin, en revanche,
la décision gaulliste est citée avec reconnaissance –encore
aujourd’hui– dans les discours officiels.
Cependant, deux ans
après l’établissement de ces relations franco-chinoises, la Révolution
culturelle plonge la Chine dans l’isolement. Le désordre est total et
les mises en causes font rage en tout sens. Même la France est visée: en
1967, à la suite d’une intervention militaire française à Djibouti, des
gardes rouges inscrivent sur un mur de l’Ambassade de France à Pékin:
«Têtes de chiens de Français, sortez de Djibouti!». Ce qui fera dire à
de Gaulle: «Être traité de chien par des Pékinois, voilà qui est
cocasse!».
Le Général est cependant invité par Mao à venir en
Chine en 1971. Mais il meurt en novembre 1970, après avoir quitté le
pouvoir. C’est celui qui fut longtemps son ministre des Affaires
étrangères, Maurice Couve de Murville, qui effectuera le voyage. À son retour à Paris, il fait ce commentaire inimitable: «La Chine est un grand pays plein de contrastes».
Pomipidou en visite sur un site «contre-révolutionnaire»
La
première visite d’État en Chine d’un dirigeant occidental est celle de
George Pompidou, en septembre 1973. Une foule d’enfants avec foulards
rouges sont massés sur le passage des 122 voitures officielles qui
suivent celle qui mène le président français de l’aéroport de Pékin au
Grand Palais du Peuple. Là se tient un vaste banquet. Le Premier
ministre Zhou Enlai passe de table en table, un verre à la main, pour saluer les convives.
Le
lendemain, Georges Pompidou est reçu à Zhongnanhai, près de la Cité
interdite, par Mao Zedong, avant d’aller deux jours plus tard à Datong.
C’est Georges Pompidou qui a demandé à visiter ce site historique
bouddhiste, que le régime chinois d’alors jugeait
«contre-révolutionnaire».
Chasse à l'ours au Tibet pour Giscard d'Estaing
À
la fin des années 1970, Pékin se réinsère dans la diplomatie mondiale;
la France perd son statut privilégié pour devenir un pays d’Europe parmi
d’autres. Ses ventes en Chine se développeront dans les domaines du
nucléaire, avec Areva et EDF, ou de l’aéronautique, avec Airbus et
Eurocopter. S’y ajouteront progressivement des biens d’équipement
mécanique, du matériel électrique et des produits pharmaceutiques. Les
vins et spiritueux français sont également un poste d’exportation
constant.
Lorsqu’il était président, Valéry Giscard d’Estaing
pressentait la montée en puissance de la Chine. En 1980, il fait un
voyage rempli de perspectives économiques, alors que Deng Xiaoping vient de prendre les rênes du pays.
C’est notamment à ce moment que fut envisagée la construction par la France des centrales nucléaires de la baie de Daya, non loin de Hong Kong. Les travaux commenceront en 1987.
Le
voyage comportait cependant des aspects plus personnels. Valéry Giscard
d’Estaing racontera plus tard combien l’écœurait le vase en fer dans
lequel Deng Xiaoping crachait pendant les entretiens officiels.
Par
ailleurs, au cours de ce séjour chinois, Giscard s’offre une étonnante
escapade de trois jours au Tibet. Le bruit court qu’il y aurait chassé
l’ours, tandis que la délégation qui l’accompagnait l’attendait à
Shanghai.
Après sa défaite, en 1981, Valéry Giscard d’Estaing
décidera d’apprendre le chinois. Il le parle avec une incontestable
intonation auvergnate, ce qui n’empêche pas ses auditoires chinois de le
féliciter chaleureusement.
Mitterrand et la condamnation du régime après Tian’anmen
François
Mitterrand, lui, a fait deux voyages en Chine avant même d’être élu
président. En 1960, alors qu’il n’est qu’un ancien ministre de la
défunte IVe République, il rencontre Mao Zedong, tandis que se termine
le désastreux «Grand bond en avant» par lequel la Chine ambitionnait de devenir une puissance industrielle.
À son retour, il publie un livre, La Chine au défi, où il dit sa profonde estime pour le nouvel homme fort du gouvernement chinois, Liu Shaoqi.
Celui-ci, violemment critiqué sous la Révolution culturelle, meurt en
1969. François Mitterrand préférera ne plus jamais parler de son voyage
de 1960.
Il retourne en Chine en février 1981, pendant une dizaine
de jours. L’objectif est de prendre quelques distances avec la campagne
présidentielle qui bat alors son plein en France. Il demande à visiter Qufu, la ville aux immenses temples –alors totalement déserte– où vécu et enseigna Confucius.
Dans
le train qui le ramène vers Pékin, il confie aux journalistes français
qui l’accompagnent qu’il «pourrait peut-être gagner l’élection en
France». Les dirigeants chinois parient sur sa victoire, ne serait-ce
que pour se différencier des Soviétiques qui, eux, jouent la réélection
de Valéry Giscard d’Estaing.
En deux septennats, François
Mitterrand n’a fait qu’un voyage présidentiel en Chine, en 1983, à
l'époque où la Chine commence son ouverture.
Mais en juin 1989, la
violente répression de l’occupation étudiante de la place Tian’anmen
amène les pays européens à condamner fermement le régime de Pékin. La
France est d’autant plus en première ligne que, le 14 juillet de cette
année-là, elle fête le bicentenaire de la Révolution française. À cette
occasion, des étudiants contestataires chinois ayant réussi à fuir leur
pays défilent sur les Champs-Élysées.
Chirac, passionné d'histoire et d'archéologie chinoises
La
relation franco-chinoise ne se réchauffera qu’avec l’arrivée au pouvoir
de Jacques Chirac, en 1995. De tous les présidents français, il est
celui qui a la connaissance la plus approfondie de la culture asiatique.
Pendant ses études, il s’est intéressé –notamment à la bibliothèque
du Musée Guimet– à l’histoire chinoise, en particulier la période de la dynastie Tang (618-907) et celle du règne du grand unificateur de la Chine, l’empereur Qin Shi Huang (259-210 av. J.-C.). C’est précisément le tombeau de celui-ci, entouré d’une armée en terre cuite, qui est découvert en 1974, près de Xian.
Jacques
Chirac se rend dans cette ville quatre ans plus tard, après avoir
quitté Matignon. Le contact qu’il établit avec les archéologues chargés
des fouilles de la sépulture durera jusque dans les années où il sera
chef d’État; des photos de chaque découverte seront systématiquement
envoyées à l’Élysée et Jacques Chirac renverra à chaque fois un
commentaire.
Dans les discours officiels chinois, Jacques Chirac
est qualifié d’«ami de la Chine». Pendant son septennat, il fera deux
voyages en Chine, en 1997 et 2000. Deux autres suivront pendant son
quinquennat, en 2004 et 2006.
Les ventes françaises porteront
essentiellement sur des Airbus et des locomotives Alstom. Mais Jacques
Chirac abordera aussi, discrètement mais à plusieurs reprises, les
questions de droits de l’homme. Plusieurs prisonniers politiques sont
libérés après qu’il soit fermement intervenu en leur faveur.
En
2003, alors que se développe en Chine une redoutable épidémie de Sras,
il demande au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin de ne pas annuler
son voyage prévu à Pékin, comme le font tous les autres dirigeants
politiques occidentaux. Jean-Pierre Raffarin en tirera une considération
en Chine qui dure encore.
Incidents diplomatiques sous Sarkozy
En
2007, Nicolas Sarkozy devient président de la République. En Chine, il a
un souci et il le dit: «s’inscrire dans la continuité de son
prédécesseur, avec l’intention de faire mieux». Dans les années 1990 et
début 2000, il est venu deux fois en Chine, en tant que député-maire de
Neuilly.
À l’automne 2007, il fait un premier voyage présidentiel
sans histoire. Mais en mars 2008, il prend l’initiative de critiquer
vigoureusement la répression brutale des manifestations contre
l’autoritarisme chinois qui s’exerce au Tibet.
Cette année-là, les
Jeux olympiques ont lieu à Pékin. En avril, lorsque la flamme olympique
passe à Paris, portée par une sportive chinoise handicapée, un
manifestant américain d’origine tibétaine tente violemment de s’en
emparer. L’incident fait la une des journaux chinois. Le 8 août, Nicolas
Sarkozy assiste à Pékin au lancement des JO, dans une atmosphère
sino-française tendue.
Quand, en novembre, le président français
rencontre le dalaï-lama lors d’une réunion européenne à Gdansk, Pékin en
fait un incident diplomatique. Le Premier ministre chinois Wen Jiabao annule sa venue au sommet franco-chinois qui devait se tenir à Lyon.
Après
des mois d’actions diplomatiques et grâce aux efforts inlassables de
Jean-Pierre Raffarin, les relations franco-chinoises retrouvent un cours
normal et apaisé. En 2012, l’Ambassade de Chine en France pronostique
tranquillement une réélection de Nicolas Sarkozy.
Hollande, le président «surprise» qu'il faut apprendre à connaître
La
victoire de François Hollande à la présidentielle n’était donc pas
l’hypothèse retenue par le pouvoir chinois. Laurent Fabius se rend à
Pékin en février 2012, au nom du candidat socialiste; aucun dirigeant
chinois ne trouvant le temps de le recevoir, il s’en va à Tokyo avec
deux jours d’avance.
En mars, au terme de la réunion annuelle de
l’Assemblée populaire chinoise, Xi Jinping devient chef de l’État. Il
constate un mois plus tard que personne parmi le personnel politique
chinois ne connaît celui qui devient président en France, François
Hollande. Lorsque celui-ci, pour la première fois de sa vie, vient en
Chine en 2013, Xi Jinping estime nécessaire de le recevoir à trois
reprises!
Vient ensuite, en décembre 2015, la conférence de Paris
sur l’environnement. Les dirigeants chinois vont s’y comporter en bons
élèves; il importe pour eux de montrer à leur population qu’ils sont
résolus à lutter contre la pollution. Cette attitude demeure prioritaire
aujourd’hui pour la Chine, même après que Donald Trump a décidé de
retirer les États-Unis de l’accord international sur le climat.
© Fournis par Slate
François Hollande et Xi Jinping à la COP21, au Bourget, le 30 novembre 2015 | AFP Photo / Pool / Loïc Venance
La
lutte pour l’environnement –et les coopérations possibles entre la
France et la Chine à ce sujet– est au menu des discussions des
dirigeants chinois et d’Emmanuel Macron. Mais d’autres questions
d’actualités chinoises seront sans doute abordées: le vieillissement de
la population –qui amène la Chine à examiner comment d’autres pays
traitent la question–, le besoin d’innovation dans l’industrie chinoise,
la nécessité d’importations agroalimentaires, sans oublier le tourisme
chinois, qui se développe un peu plus chaque année, et notamment en
France.