
L’OCDE vient de publier un rapport
sur les flux financiers illicites en Afrique de
l’ouest. Ce rapport
dresse un état des lieux de l’évolution de ces flux dans l’économie de
la sous-région, les causes et impacts de cette situation et propose des
mesures pour l’élimination de ce qui est considéré comme un boulet au
pied des économies africaines.
Un continent sous influence
Si l’Afrique affiche actuellement le second taux de
croissance le plus élevé de la planète, elle pourrait cependant réaliser
une meilleure performance si elle n’était pas aussi exposée et
vulnérable aux flux financiers illicites (FFI). En effet, les études
menées dans le cadre de l’élaboration du rapport montrent que les flux
financiers illicites en provenance d’Afrique pourraient atteindre les 50
milliards $ par an, soit plus que le volume d’aide au développement
accordé au continent.
Les flux financiers illicites en provenance d’Afrique
pourraient atteindre les 50 milliards $ par an, soit plus que le volume
d’aide au développement accordé au continent.
Selon le document, ces mouvements illicites de fonds
alimentent les conflits et les groupes terroristes sur l’ensemble du
continent en raison notamment du trafic d’armes illicites, qui est l’un
des corollaires des FFI.
Si tous les pays africains sont vulnérables aux flux
financiers illégaux, le rapport montre que certaines régions sont plus
touchées que d’autres.
L’Afrique de l’ouest, terreau fertile des FFI
L’Afrique de l’ouest est non seulement la région la
plus prolifique du continent en termes de mouvements de fonds illicites,
mais également celle qui souffre le plus sévèrement de leur impact.
Selon le rapport, cette situation peut s’expliquer par les inégalités
sociales entre les plus pauvres et les plus riches et la prédominance du
secteur informel dans la région.
En effet, les disparités sociales profondes dans la
région ont entraîné une tendance chez les plus pauvres, à se tourner
vers le commerce informel. L’incapacité de la plupart des Etats
ouest-africains, à fournir une alternative légale et licite à ce
phénomène a également favorisé la prolifération du commerce informel,
qui est l’une des premières sources des FFI.
L’incapacité de la plupart des Etats ouest-africains,
à fournir une alternative légale et licite à ce phénomène a également
favorisé la prolifération du commerce informel, qui est l’une des
premières sources des FFI.
« Les activités informelles représentent environ
40-75 % du produit intérieur brut (PIB) et emploient 50-80 % de la main
d’œuvre disponible dans les différents pays d’Afrique de l’Ouest. Selon
une estimation, le secteur informel représenterait actuellement 60 %
environ de tous les emplois dans les zones urbaines » peut-on lire
dans le document. Ainsi, entre 40 % et 80 % de l’activité économique se
déroulerait à l’extérieur du secteur bancaire formel.
Le document indique également que les flux financiers
illicites sont favorisés par la structure trop extravertie du commerce
international de la région. Selon les chiffres avancés, les exportations
de la CEDEAO vers les marchés régionaux, n’occupent qu’entre 10% et 15%
des exportations totales. Cette hyper-extraversion se traduit par le
fait que la plupart des échanges internationaux des pays de la CEDEAO,
se fait hors continent africain. A cet effet, le rapport explique que la
Chine (qui est devenue lors de la dernière décennie le premier
exportateur vers la CEDEAO) est le plus grand fournisseur de la région
en produits contrefaits. Ces produits contrefaits pénètrent facilement
le tissu économique sous régional grâce à leur facilité à se dissimuler
dans les flux commerciaux légitimes. Cette situation est favorisée
notamment par l’incapacité des Etats à prendre des mesures idoines pour
endiguer le phénomène, ainsi que la corruption existant à tous les
niveaux de la hiérarchie administrative.

La Chine est le plus grand fournisseur de la région en produits contrefaits.
L’évasion fiscale, favorisée notamment par la faiblesse
du système d’imposition des entreprises étrangères exerçant leurs
activités dans la sous-région, (plus précisément celles spécialisées
dans l’extraction des ressources naturelles) est également l’une des
causes de la prolifération des FFI.
Enfin, le faible accès de la population aux services
financiers permet également l’accroissement des flux financiers
illicites. Selon les études menées par le Groupe intergouvernemental
d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA),
seul 20% de la population de la sous-région a accès aux services
financiers. De même, une bonne partie des transferts de fonds depuis
l’étranger, est réalisée en passant outre le système bancaire formel.
Seul 20% de la population de la sous-région a accès
aux services financiers. De même, une bonne partie des transferts de
fonds depuis l’étranger, est réalisée en passant outre le système
bancaire formel.
Cette situation s’explique entre autres par des frais
de transferts trop chers pour ceux qui voudraient envoyer de l’argent
non seulement au sein de la sous-région, mais également de l’extérieur
vers la sous-région. Ainsi, selon l’étude, l’Afrique perd entre 1,4
milliard $ et 2,3 milliard $ par an en raison de ces frais de transferts
trop élevés.

Selon l’étude, l’Afrique perd entre 1,4 milliard $ et 2,3 milliard $ par an en raison de ces
frais de transferts trop élevés.
frais de transferts trop élevés.
Notons également que le Nigéria est le principal moteur
des FFI dans la sous-région, avec 79% des FFI totaux en Afrique de
l’ouest et 30,5% sur l’ensemble du continent. Cette situation s’explique
par la faiblesse des mécanismes de lutte contre le détournement du
pétrole et de son commerce illicite.
Les élections et les FFI : un cercle vicieux
L’une des plus grandes sources de flux financiers
illicites en Afrique de l’ouest reste les élections, indique l’étude.
Ces événements censés traduire la stabilité et la puissance de l’Etat
sont pourtant des pourvoyeurs de flux financiers illicites dans la
plupart des économies de la sous-région, via les « groupes d’influence ».
L’une des plus grandes sources de flux financiers illicites en Afrique de l’ouest reste les élections, indique l’étude.
En effet, le rapport indique que face à l’inexistence
de règlementations étatiques par rapport aux financements des campagnes
électorales, la plupart des acteurs politiques se tournent vers des « bailleurs de fonds »
parmi les plus illégaux, tels que les trafiquants de drogue ou encore
de grosses entreprises pouvant financer ce genre d’événement. En
contrepartie, une fois élus, ces acteurs politiques ferment les yeux sur
certaines activités illégales et/ou illicites de ces groupes, ou font
preuve de clientélisme dans la distribution de l’accès aux ressources.
Les économies criminelles et les FFI
Selon le rapport, les revenus d’origine criminelle dans
la région ouest-africaine représenteraient 3,6 % du produit intérieur
brut (PIB) mondial. Les revenus de la criminalité organisée
transnationale résultant du trafic de drogue, de contrefaçons et de
personnes, ainsi que du détournement de pétrole, de la criminalité
environnementale, du trafic d’armes et d’autres trafics, représentent
environ 1,5 % du PIB. A ces éléments s’ajoutent les rançons versés à la
suite d’enlèvement, la cybercriminalité (12,7 milliards $ de perte pour
le continent en 2013), et le trafic des migrants.
Tous les bénéfices illicites générés par ces économies
criminelles quittent l’économie formelle par différents moyens, sous
forme de flux financiers illicites.
Le rapport indique également que les impacts de ces
économies criminelles sont physiques, sociétaux, économiques,
environnementaux et structurels/gouvernementaux.
Moutiou Adjibi Nourou
Ecofin Hebdo