Selon l'enquête d'une ONG, près d'un quart des réfugiés
nord-coréens en Corée du Sud
souhaiteraient repartir au Nord. franceinfo
les a rencontrés.
Leur parole est rare. Leur "blues", d'autant plus méconnu. On compte aujourd'hui 31 000 Nord-Coréens réfugiés au Sud.
Selon une enquête, publiée en janvier par l'ONG Database center for
North Korean human rights, auprès de 415 réfugiés, près de 23 % d'entre
eux disent vouloir repartir en Corée du Nord. Le plus souvent, c'est
pour retrouver leur famille, mais il y a aussi le mal du pays.
Alors que les Jeux olympiques d'hiver
entrent dans leur ultime semaine dans la station sud-coréenne de
Pyeongchang et que les signes de détente entre les deux Corées se multiplient,
des hommes et des femmes réfugiés à Séoul ont raconté à franceinfo leur
difficile adaptation à la société sud-coréenne, mais aussi les
discriminations dont ils sont victimes.
Séoul est une mégapole de
10 millions d'habitant et symbole d'une société capitaliste très
compétitive qui abrite les sièges sociaux des grandes multinationales
sud-coréennes, comme Samsung, LG, Hyundai Motors. Ici, le métro est
bondé. La foule pressée et la K-pop (pop coréenne) est crachée à chaque coin de rue par les haut-parleurs des magasins. Pour ceux qui vivaient derrière la zone démilitarisée (DMZ), dernier vestige du rideau de fer, c'est souvent un choc à l'arrivée.
Hyang,
26 ans, vit dans un quartier résidentiel de la capitale. Elle nous
reçoit en toute discrétion. On ne connaîtra pas son nom de famille car
elle veut garder l'anonymat pour la sécurité de sa famille éloignée et
restée au Nord. Hyang est arrivée de Corée du Nord en 2009 avec ses
proches. Elle se souvient d'un voyage éprouvant : quatre mois sur les
routes, un fleuve à traverser pour rejoindre la Chine, des semaines dans
un camp de rétention au Laos puis la Birmanie, la Thaïlande et, enfin,
Séoul.
Chute sociale et discrimination
La
jeune femme a démarré une nouvelle vie : elle sera bientôt diplômée en
chimie biomoléculaire. Mais, les débuts ont été difficiles. "Après notre arrivée, je n’ai pas adressé la parole à mon père pendant un an, confie-t-elle. Au Nord, j’étais la meilleure élève à l’école et je considérais que tout allait bien dans ma vie."
Ici, j’ai touché le fond. Je devais tout recommencer à zéro. Je suis devenue quelqu’un d’insignifiant.Hyang, 26 ans, réfugiée nord-coréenneà franceinfo
"J’en voulais à mon père. Je lui demandais tout le temps pourquoi il nous avait fait venir ici !", raconte-t-elle encore. Hyang affirme avoir subi des discriminations et s'être sentie "blessée". Elle
raconte qu'un jour, quelqu'un lui a assuré que les Sud-Coréens devaient
payer beaucoup d'impôts à cause des réfugiés qu'il fallait entretenir.
Elle a aussi connue des discriminations dans le monde professionnel. "Quand
je me suis mise à chercher un travail à temps partiel et que je disais
que je venais du Nord, les employeurs préféraient toujours les
Sud-Coréens", dit la jeune femme.
Une "dictature invisible"
Chez Hyang, on trouve un peu partout des autocollants "Liberty in North Korea" ("liberté en Corée du Nord", en français). C'est son slogan. "En Corée du Nord, on est tellement habitué qu’on ne ressent pas la nécessité de la liberté, explique-t-elle. Depuis
qu’on est né, on vit sans connaître la liberté, alors on se pose pas la
question... À moins d'être emprisonné dans un camp de concentration." À l'inverse, "on dit que la société sud-coréenne est libre, mais, ici aussi, il existe une sorte de dictature invisible, affirme Hyang.
Quand on arrive à un certain âge, il faut entrer à l’université, il
faut se marier. Les gens se jugent et font trop attention au regard des
autres.
D'une certaine façon, cette société sud-coréenne n'est pas si libre que ça.Hyang, 26 ans, réfugiée nord-coréenneà franceinfo
Même si elle se dit "très heureuse" et "satisfaite" à Séoul aujourd'hui, Hyang "comprend" ceux qui veulent repartir au Nord. "Vous savez, ma génération peut s’adapter plus facilement à cette société, explique la jeune femme qui a appris l'anglais au Nord et peut donc communiquer facilement. Mais,
pour ma mère, c’était un environnement complètement inconnu : elle
abandonne sa vie au Nord et, tout à coup, elle se retrouve à faire la
vaisselle dans les restaurants et à nettoyer les toilettes chez les
autres. C’est compréhensible que des gens comme ma mère se demandent pourquoi ils sont partis."
Faire le chemin inverse
Kwon
Chol-nam, lui aussi, est un réfugié nord-coréen. Cet homme de 45 ans
habite dans un quartier populaire de Séoul et occupe un appartement
prêté par la municipalité. En 2014, en pleine crise conjugale et en
manque d'argent, il décide de quitter le Nord en laissant sa famille sur
place. Une fois arrivé au Sud, les autorités lui ont demandé
d'abandonner la nationalité nord-coréenne. Lui qui comptait rester
quelques mois, se retrouve bloqué là.
Dans son studio de 10 m2, avec un matelas au sol, quelques affaires et une minuscule cuisine, Kwon Chol-nam regrette son pays natal. Cet homme plutôt souriant repasse en boucle le discours de Kim Jong-un, le dirigeant nord-coréen, lors de la grande parade militaire organisée à Pyongyang, à la veille de la cérémonie d'ouverture des JO. "C'est le plus grand leader de ce monde !, lance-t-il.
Je suis fier que la Corée du Nord s’impose comme un pays à part entière
malgré sa petite taille. Cette année, c'est le 70e anniversaire de la
création de l'armée populaire. Je suis loin de chez moi, mais cela ne
m’empêche pas de me sentir fier du développement extraordinaire de notre
arme nucléaire."
Modeste au Nord, pauvre au Sud
En
Corée du Nord, auparavant, Kwon Chol-nam était vendeur d'herbes
médicinales. Il menait une existence modeste, mais ici, en Corée du Sud,
il vit complètement isolé, sans ami ni emploi durable. Il estime qu'il
n'est plus rien. "La mère patrie me manque. Tout ce que je veux, c'est rentrer !, lance l'homme. Regardez
ce que je suis devenu. Je dois avoir 27 000 wons sur moi [environ 20
euros]. C'est tout ce que j'ai. C'est ça, la réalité pour les réfugiés
nord-coréens."
Ma vie actuelle est moins bien que celle que j'avais au Nord. Je veux retourner dans mon pays natal. J'ai fait un mauvais choix en venant ici !Kwon Chol-nam, 45 ans, réfugié nord-coréenà franceinfo
"Les Sud-Coréens prennent tous les emplois de qualité et, pour les réfugiés nord-coréens, il ne reste que des boulots pénibles, assure encore Kwon Chol-nam.
Ceux-ci gagnent à peine leur vie en travaillant sur les chantiers. Mon
corps est en Corée du Sud, mais tout mon esprit est dans mon pays
natal."
"Vous savez les réfugiés ne parlent pas de tout ça en public, mais beaucoup pensent comme moi, affirme-t-il. La vie de tous les réfugiés nord-coréens est dure comme la mienne."
Soupçonné d'espionnage
"Ici
au Sud, si je dis du bien de la Corée du Nord, on me traite avec mépris
comme si j'étais un fanatique pro-régime. On a des préjugés sur moi,
alors que nous faisons partie d'un même peuple !"
Pour trouver un emploi et se faire des amis, il faut dénigrer la Corée du Nord en disant qu'elle viole les Droits de l'homme.Kwon Chol-nam, 45 ans, réfugié nord-coréenà franceinfo
Kwon Chol-nam refuse et cela lui vaut des ennuis. Soupçonné
d'espionnage, il a fait l'objet de plusieurs enquêtes de la police
sud-coréenne. En 2016, il est arrêté et interrogé avant d'être libéré,
faute de preuve. "Au Nord, ce qu'on m'a appris pendant 40 ans, c'est
que les Sud-Coréens ne sont pas nos ennemis, mais notre peuple. Mais au
Sud, les gens croient que la Corée du Nord est l'ennemi et que les
États-Unis sont leur frère de sang, dit-il. Ce n'est pas vrai !"