aut-il changer le nom du franc CFA ? Faut-il
revoir le système
de dépôt de 50% des réserves de change auprès du
trésor français ? Bruno Le Maire, le ministre français de l'Economie et
des Finances, ne dit pas non. A l'issue d'une réunion de la zone franc
CFA, qui s'est tenue vendredi 13 avril à Brazzaville, le grand argentier
français répond aux questions de Christophe Boisbouvier et s'exprime
aussi sur la dette colossale du Congo-Brazzaville.
RFI : Le franc CFA a mauvaise presse en
Afrique, y compris chez des chefs d’Etat comme le Tchadien Idriss Déby.
Est-ce que le franc CFA est en sursis ?
Bruno Le Maire : Non, je ne crois pas. Je crois que le franc CFA garantit à tous les Etats membres de la stabilité,
et c’est important d’avoir de la stabilité monétaire dans un
environnement économique qui est toujours plus incertain. Il garantit
aussi, on l’a rappelé à Brazzaville, la définition de politiques
économiques qui soient cohérentes entre les Etats membres. Après, qu’il y
ait besoin d’évolution du franc CFA, c’est possible, mais c’est aux
Etats membres de la zone franc de décider ce qu’ils veulent comme avenir
pour le franc CFA : est-ce qu’ils veulent le changer de nom ? Est-ce
qu’ils veulent élargir la zone ? C’est à eux de le décider et la France
évidemment est ouverte à toutes les évolutions qui seront proposées par
les Etats membres, je dis bien par les Etats membres, de la zone franc.
Vous parlez d’un élargissement de la zone et justement, tous les
pays d’Afrique de l’Ouest, anglophones comme francophones, veulent créer
une monnaie commune. N’est-ce pas la mort du CFA à terme ?
Nous verrons une fois encore quelles seront les propositions. La
France est ouverte, elle l’a dit à plusieurs reprises, le président l’a
rappelé lors de son déplacement en Afrique [NDLR
Lors de sa tournée de novembre 2017 en Afrique de l’Ouest], à des
évolutions de la zone franc. Et ces évolutions doivent être portées par
les Etats membres. A eux de manifester un certain nombre de demandes,
que ce soit sur le nom, sur la géographie, sur l’élargissement, sur les
systèmes de dépôt des avoirs, c’est aux Etats membres de décider ce
qu’ils souhaitent.
Aujourd’hui, le CFA est rattaché à une seule monnaie, l’euro. Il
monte et descend avec l’euro. Est-ce que ce n’est pas un handicap ? Est-ce qu’il ne faut pas le rattacher à un panier de monnaie, dont l’euro, mais aussi par exemple le dollar ou le yen ?
L’euro est une des monnaies les plus stables de la planète. Qu’est-ce que cela vous apporte comme avantage ? Un avantage énorme, c’est
l’attractivité pour les investisseurs, qui ont une garantie sur la
convertibilité de la monnaie. Donc si on veut attirer les investisseurs…
Ces investisseurs privés, ils ont besoin de quoi ? Ils ont besoin de
stabilité monétaire et c’est ce que garantit la convertibilité avec
l’une des monnaies les plus puissantes de la planète ; ils ont besoin
d’un climat des affaires qui soit meilleur, disons-le très clairement,
ce qui suppose de lutter contre la corruption. Et j’ai rappelé à tous mes interlocuteurs,
à tous mes homologues [NDLR : ce 13 avril à Brazzaville] à quel point
cette lutte contre la corruption était indispensable pour rendre les
pays concernés plus attractifs. Et ils ont besoin d’avoir une visibilité
sur la stratégie de diversification économique des Etats de la zone
franc.
Dans l’espace CFA, la zone Afrique centrale est beaucoup moins
dynamique que la zone Afrique de l’Ouest. N’y a-t-il pas le risque d’un
espace à deux vitesses ?
Vous avez raison. C’est un écart qui nous préoccupe parce qu’on voit
bien que, dans la zone CEMAC [Communauté économique et monétaire de
l'Afrique centrale], il n’y a plus cette décroissance qui nous
inquiétait au cours des dernières années, il y a une stabilisation, mais
qui n’est pas encore suffisamment satisfaisante, qui doit nous amener
justement à une diversification de l’économie. On voit bien que faire
reposer son économie uniquement sur les revenus du pétrole, ce n’est pas
l’avenir et cela ne peut pas être l’avenir de ces économies. Puis de
l’autre [côté], on a une autre zone qui elle effectivement est plus
dynamique, avec un taux de croissance autour de 6% par an depuis six
ans. Je crois que c’est le fruit aussi des transformations économiques
qui ont été apportées. Il faut faire en sorte que, entre ces deux
parties de la zone franc, il y ait le maximum de dialogue, le maximum de
coopération possible, pour que chacun tire l’autre vers le haut.
Oui, mais cela fragilise le franc CFA…
Je ne parlerai pas de fragilisation. Je parlerai d’exigence
supplémentaire, pour avoir plus de coopération, et surtout pour avoir
des stratégies qui soient communes. Il faut que, dans la zone CEMAC, il y
ait des programmes FMI [Fonds monétaire international] et que les Etats
qui n’ont pas de programme FMI en aient un le plus rapidement possible.
Un de mes homologues a utilisé à Brazzaville le terme de « passager clandestin ». Il a raison : il ne peut pas y avoir de « passager clandestin » dans une zone monétaire commune. C’est un des exemples pour éviter des décalages trop importants.
Vous parlez de « passager clandestin ».
Vous êtes à Brazzaville. La dette du Congo-Brazzaville représente
quelque 120% du PIB de ce pays. Et il y six mois, le FMI a confirmé
l’information de RFI qui révélait que la moitié de cette dette avait été
dissimulée. Est-ce que la relation de confiance entre le Congo et ses
partenaires financiers n’est pas rompue ?
Elle n’est pas rompue, mais elle doit être renforcée. Elle sera
renforcée par la transparence. Il doit y avoir entre la République du
Congo, le FMI et les différents Etats partenaires de la République du
Congo, une transparence totale. Je
dis bien totale. Rien n’est possible sur la confusion ou sur la
dissimulation. Nous avons besoin d’une véritable transparence pour
avancer en confiance. Nous sommes prêts à aider la République du Congo.
La France sera au rendez-vous. Elle est prête à apporter 135 millions
d’euros d’aide au Congo l’année prochaine sur trois ans, mais cela
suppose que la République du Congo aboutisse à un programme avec le FMI
et, pour cela, fasse preuve de toute la transparence nécessaire.
La dernière fois que le président Denis Sassou-Nguesso est venu à
Paris, le 13 décembre 2017, il voulait rencontrer le président Macron.
Mais c’est vous qui l’avez reçu dans votre bureau de Bercy. Il vous a
demandé un appui budgétaire d’urgence. Que lui avez-vous répondu ?
Pour être tout à fait précis, c’est moi qui ai rendu une visite au
président Sassou-Nguesso dans son hôtel [parisien]. Le président n’est
pas venu au ministère de l’Economie et des finances. Et je lui ai dit là
aussi, en toute transparence, ce que je dis à son ministre des
Finances : la France est prête à aider la République du Congo, la France
attend d’abord de la part du Congo de la transparence, la conclusion
d’un programme avec le FMI pour sortir de cette dette qui, vous l’avez
rappelé, est de 120% de la richesse nationale, c’est beaucoup trop
lourd. La France attend une vraie stratégie économique, un
assainissement du climat des affaires, une lutte contre la corruption.
Et dans ce cadre-là sur lequel nous sommes d’accord, mais qui doit se
traduire maintenant par des actes, par des gestes concrets dans ce
cadre-là, la France aidera sur trois ans la République du Congo à
hauteur de 135 millions d’euros.
Après RFI l’an dernier, le journal Le Monde a révélé
la semaine dernière, le 10 avril, un autre montage financier de la part
des autorités congolaises. C’était il y a 15 ans. Ce montage aurait
permis au Congo-Brazzaville de se surendetter au mépris des règles du
FMI. Est-ce que ce n’est pas la goutte qui fait déborder le vase ?
C’est la goutte qui entraîne surtout la nécessité de ce que je viens
de dire : de la transparence. Quand vous avez des bailleurs, quand vous
avez des Etats qui vous aident, vous leur devez la transparence, vous
leur devez l’assainissement du climat des affaires, vous leur devez une
stratégie économique cohérente, qui soit suivie et qui soit respectée.
Sans transparence, il n’y a pas de confiance. Et sans confiance, il ne
peut pas y avoir d’aide, ni de la part du FMI ni de la part des autres
Etats.
Et selon notre confrère Le Monde,
le montage financier des années 2001-2003 a été mis sur pied avec
l’aide de la compagnie pétrolière française Total, qui a mis au point un
« montage offshore impénétrable ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
C’est une affaire qui remonte à près de 15 ans et sur laquelle le
groupe Total a apporté tous les éclaircissements nécessaires. Je crois
que les éclaircissements sont suffisamment clairs. Ils montrent à quel
point, dans les années qui viennent, pour développer l’économie d’un
pays auquel nous sommes attachés comme la République du Congo, il faut
sortir des vieilles pratiques, éviter tout ce qui peut créer la
suspicion ou le doute parce qu’on ne bâtira rien de solide pour l’avenir
sur ces bases-là.
En fait, ce que vous dites, c’est que les réformes structurelles
pour la transparence et contre la corruption ne sont pas encore faites à
Brazzaville ?
Je pense qu’on peut toujours faire mieux et que c’est en faisant
mieux, en étant plus transparent, en donnant des preuves tangibles des
décisions qui ont été prises pour lutter contre la corruption que non
seulement la République du Congo arrivera à convaincre le FMI pour avoir
un programme, qui est aujourd’hui indispensable, convaincre la France
qui, une fois encore, est prédisposée, volontaire, pour aider
financièrement la République du Congo, et convaincre aussi les
investisseurs, parce que ni le FMI ni la France ne suffiront à redresser
la situation économique de la République du Congo. Il faut faire venir
les investisseurs. Et le Congo a tous les atouts, les atouts
géographiques, les atouts économiques, pour réussir et pour être une
vraie puissance économique.
Quand vous dites « une preuve tangible ». Donnez-nous un exemple…
Tangible, c’est tout ce qui concerne la législation prise pour lutter
contre la corruption. Nous attendons des gestes concrets en termes
législatifs sur la lutte contre la corruption dans la République du
Congo. Nous avons besoin de gestes concrets.
RFI