
En 2017, le Mali et le
Burkina-Faso, deux pays de l’UEMOA, ont été les premiers producteurs de
coton en Afrique. Le Cameroun, pays leader de l’Afrique centrale, est un
producteur plus modeste de l’or blanc, mais a réalisé les meilleurs
rendements de cette culture, avec près de 500 kilogrammes de coton à
l’hectare. Ces pays, ajoutés à d’autres comme le Tchad ou le Togo, sont
des noms qui comptent dans la production de cette matière première à
partir de laquelle sont fabriqués les vêtements. Et pourtant, l’Afrique
reste le continent où prospère, plus que jamais, la vente de vêtements
de seconde main encore appelés « Friperies ». L’Afrique peut-elle se
passer de ces importations controversées ?
Les chiffres sont difficiles à obtenir, car les
circuits d’approvisionnement sont un mélange de formel et d’informel. Au
Cameroun, l’un des marchés où on retrouve ces produits est celui du
quartier Mokolo à Yaoundé, la capitale du pays. Cédric en a fait son
métier depuis une dizaine d’années : « Nous ici on vend les vrais
originaux. Avant, on vendait juste en fonction du prix auquel on
acquérait les ballots. Maintenant, nous trions et en fonction de la
qualité ou de la beauté du vêtement, nous fixons un prix de départ, qui
peut être négocié », a-t-il confié à l’Agence Ecofin.
Avant, on vendait juste en fonction du prix auquel on
acquérait les ballots. Maintenant, nous trions et en fonction de la
qualité ou de la beauté du vêtement, nous fixons un prix de départ, qui
peut être négocié ».
Dans les grandes villes de Lagos, Nairobi, Abidjan,
Lomé ou encore Cotonou, on retrouve des experts de la vente de vêtement
de seconde main. A Bamako, au Mali, l’un des principaux marchés est
celui de Médine. Une dame, Hadja Mouye Sanogo dite « Tanti Solde »
est particulièrement célèbre. Avec ses consoeurs du Niger ou du Burkina
Faso, au-delà des vêtements qui rappellent ce que portent les
Américains, le chiffre d’affaires est surtout tiré par la vente de
vêtements chauds, notamment en périodes de froid. Au-delà des grandes
villes, les villages africains sont eux aussi envahis par ce type de
vêtements. L’Afrique subsaharienne en cela est devenue un défilé de mode
géant de vêtements de seconde main.
Pauvres Européens, riches Américains…
L’histoire de la friperie est assez complexe et a
débuté…. vous serez surpris, en Europe. Suite à la deuxième guerre
mondiale, le vieux continent est à genoux et l’Amérique, qui sort
enrichie du conflit, entreprend un vaste mouvement de générosité à
l’endroit des cousins européens. Aussi, les dons de vêtements usagés ont
commencé à affluer.
Suite à la deuxième guerre mondiale, le vieux
continent est à genoux et l’Amérique, qui sort enrichie du conflit,
entreprend un vaste mouvement de générosité à l’endroit des cousins
européens.
Puis, le pouvoir d’achat des populations européennes
s’est amélioré, le prix des textiles a baissé et les vêtements usagés se
sont trouvés d’autres destinations. C’est ainsi qu’après l’Europe, les
territoires africains, d’abord colonies puis Etats naissants, sont
rapidement devenus un débouché intéressant pour les vêtements dont les
habitants occidentaux ne voulaient plus. Des organisations caritatives
ont commencé à collecter ces vêtements usagés, non plus forcément pour
les donner aux pauvres, mais pour les vendre et dégager de petites
ressources financières.

Les circuits d’approvisionnement de ces vêtements sont assez complexes.
Au départ, ces vêtements de seconde main étaient plutôt
rejetés dans la plupart de nouveaux pays africains où naissait une
industrie du textile et de l’habillement. Mais avec la détérioration des
termes de l’échange, survenue dans les années 80, de nombreux
gouvernements ont commencé à les tolérer, pour répondre à la demande des
ménages à faible pouvoir d’achat.
Au départ, ces vêtements de seconde main étaient
plutôt rejetés dans la plupart de nouveaux pays africains où naissait
une industrie du textile et de l’habillement.
Face à ce besoin, il y a eu une offre chinoise. Mais
les vêtements, bien que neufs, étaient de très mauvaise qualité, ce qui a
donné un nouvel élan aux habits de seconde main, parfois plus solides
et plus durables.
Les circuits d’approvisionnement de ces vêtements sont
assez complexes. Dans une enquête qui a duré plusieurs mois, la chaine
d’information France 24, a démontré que le gros marché de la friperie en
Afrique, était la conséquence d’une surconsommation générée par
l’industrie de la mode en Europe. Cette industrie pousse les Occidentaux
à renouveler leurs vêtements de plus en plus souvent. Une étude menée
par l’Université de Cambridge a récemment démontré que les Européens
consomment désormais quatre fois plus de vêtements qu’il y a 30 ans. Le
surplus doit donc trouver preneur.
Le point de départ, c’est souvent des bennes de récupération pour des œuvres caritatives, mais aussi pour des réseau plus structurés de redistribution. La chaîne des valeurs se poursuit dans plusieurs pays de la Méditerranée où les vêtements sont triés et répartis sur les différents marchés, pour un chiffre global estimé à 5 milliards d’euros. Et bien plus si on compte le prix de la revente dans des petits marchés.
Le point de départ, c’est souvent des bennes de récupération pour des œuvres caritatives, mais aussi pour des réseau plus structurés de redistribution. La chaîne des valeurs se poursuit dans plusieurs pays de la Méditerranée où les vêtements sont triés et répartis sur les différents marchés, pour un chiffre global estimé à 5 milliards d’euros. Et bien plus si on compte le prix de la revente dans des petits marchés.
Un circuit plus formel est celui des USA. Il existe
même une association spécialisée dans ce type d’activités : la SMART
(Secondary Materials and Recycled Textiles Association), une entité qui
regroupe les vendeurs de produits et textiles de seconde main. Ce n’est
pas un hasard, si les USA sont le deuxième vendeur de vêtement de
seconde main dans le monde, après le Royaume Uni.

Un chiffre global estimé à 5 milliards d’euros.
La riposte qui vient du Rwanda
De nombreuses voix s’élèvent de nouveau pour critiquer
cette forme de commerce. L’une d’elle est celle de Dieudonné Essomba, un
ingénieur statisticien camerounais. Dans une intervention sur la
compétitivité, lors d’une conférence du patronat camerounais (GICAM), il
faisait remarquer, que parler de compétition avec des vêtements de
friperie n’avait aucune logique.
« La compétitivité intervient lorsque deux produits
de valeur égale en terme de processus de production, de stratégie
marketing et gestion des coûts, se retrouvent à conquérir un ou
plusieurs marchés. La friperie et tous les autres objets de seconde main
sont des biens dont l’utilité marginale a été atteinte de manière
complète et qui viennent retrouver une seconde vie sur les marchés
africains. C’est un peu comme si le textile vivant d’Afrique est en
concurrence avec des vêtements déjà morts en provenance d’Europe et des
USA », faisait-il savoir.
Difficile de savoir si ces réflexions de l’intellectuel
camerounais sont arrivées aux oreilles des dirigeants des pays de
l’Afrique de l’est, mais c’est la région d’Afrique où s’est affirmé le
plus la protestation contre les vêtements de seconde main, notamment
ceux en provenance des USA.
En 2016, quatre pays de la Communauté des Etats de
l’Afrique de l’Est que sont le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie et le
Rwanda, ont pris la décision de suspendre progressivement les
importations de seconde main en provenance des USA. Une mesure qui
visait à protéger la petite industrie de confection locale.
Mais la réaction américaine a été vive, alternant
diplomatie et réponses plus musclées. L’USAID a produit une analyse
indiquant qu’il était difficile de supprimer le marché de la friperie en
Afrique de l’est. Son argumentaire : il soutient le pouvoir d’achat des
ménages, donne plus de 355 000 emplois, avec des revenus globaux de 230
millions $, qui permettent de nourrir plus de 1,5 millions de
personnes. Aussi, le secteur constitue une source de revenus pour l’Etat
(près de 140 millions $ de recettes fiscales collectées dans la région
en 2016).
Face à cela, le Kenya qui pèse pour 345 millions $
sur un volume global de 450 millions $ de marchandises vendues par
l’Afrique de l’Est aux USA, a tout de suite capitulé.
La méthode musclée a été plus récente, avec la
suspension du Rwanda de la liste des bénéfices de l’African Growth
Opportunity Act (AGOA), une loi américaine qui permet d’établir des
relations de libres échanges commerciaux, entre les USA et les pays
africains. Face à cela, le Kenya qui pèse pour 345 millions $ sur un
volume global de 450 millions $ de marchandises vendues par l’Afrique de
l’Est aux USA, a tout de suite capitulé.
La résistance est donc venue de ce tout petit pays
enclavé, qui rappelle un peu les Gaulois face au Romains dans la fable
d’Astérix et Obélix. Kagame se refuse à assouplir sa position dans un
marché qui, finalement, lui est défavorable. Une iniquité qui se
constate sur les chiffres officiels du département d’Etat américain. En
2016, les exportations des trois pays combinés que sont le Rwanda,
l’Ouganda et la Tanzanie vers les USA, étaient de 43 millions $. Alors
que les USA y avaient vendu pour près de 281 millions $. Le président
rwandais estime donc qu’il y a peu à perdre à être exclu du processus de
l’AGOA.
Une bataille de longue haleine et un peu désespérée
Mais il n’est pas évident que le Rwanda et son leader
puissent gagner cette bataille, qui est tout un symbole, pour celui qui a
inauguré le lancement d’une zone de libre échange en Afrique.
Le pays a lancé sa propre industrie de textile, mais
son seul avantage à terme, sera de permettre une économie des devises.
Côté emplois et recettes fiscales, les 25 600 emplois que crée
l’industrie locale de l’habillement de ce pays ne font pas le poids avec
les 300 000 personnes de la chaîne de distribution des vêtements de
seconde main.
La réponse à la question de savoir si l’Afrique peut se
passer de la friperie, n’est pas si évidente et les arbitrages à faire
par les gouvernements sont assez complexes. Au Cameroun, on aime à dire
qu’on retrouve des titulaires de diplômes universitaires qui vendent les
habits. Bien des personnes qui travaillent depuis longtemps dans ce
secteur continuent de croire que ce n’est qu’un job provisoire.

Tant que se poursuivra la surconsommation de la mode dans un Occident qui a établi des
filières de rentabilité solides…
filières de rentabilité solides…
Le fait est que, tant que se poursuivra la
surconsommation de la mode dans un Occident qui a établi des filières de
rentabilité solides, combattre la friperie dans des régions peu
développées comme l’Afrique sera difficile. Le Rwanda et sa relance de
l’industrie de l’habillement constitue un espoir, et une combinaison de
ses efforts, avec ceux du Nigéria, du Maroc, de l’Ethiopie, ou encore de
l’Afrique du sud, pourrait ouvrir de nouvelles perspectives.
La promesse de se sentir comme Rihanna, Puff Daddy,
et autres célébrités qui peuplent les rêves des jeunes Africains,
n’enlève rien au fait, que le vêtement de seconde main connecte
l’Afrique au mode de vie occidental et ne lui donne pas l’occasion de
l’atteindre.
Mais il faut reconnaitre que le chemin à parcourir sera
long. Les vêtements de seconde main, sont pour la plupart de bonne
qualité et ils répondent donc à un besoin fondamental de l’être humain :
se protéger, se vêtir. De plus, grâce à ce systeme, même les régions
les plus reculées du continent ont accès à une certaine forme de « modernité ».
Toutefois la promesse de se sentir comme Rihanna, Puff
Daddy, et autres célébrités qui peuplent les rêves de jeunes Africains,
n’enlève rien au fait, que le vêtement de seconde main connecte
l’Afrique au mode de vie occidental et ne lui donne pas l’occasion de
l’atteindre. La dépendance reste au centre de la relation entre les deux
blocs, avec à la clé un déséquilibre très profond sur les termes de
l’échange.
Idriss Linge
Ecofin Hebdo