Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur du FMI, s’est reconverti dans le conseil aux Etats africains et aux sociétés privées. Une activité réalisée bien loin de la France.
Au Palais du peuple de Brazzaville, la résidence de Denis
Sassou-Nguesso, l’heure est à l’optimisme. Alors que les équipes du
Fonds monétaire international (FMI) ont fini leur mission le 18 avril,
l’autocrate congolais espère décrocher un prêt d’ici à l’été pour faire
face à la crise financière qui menace son pays. Pendant des mois, il a
mobilisé des bataillons de conseillers ministériels, des avocats du
cabinet américain Cleary Gottlieb et des banquiers français de Lazard.
Mieux, Denis Sassou-Nguesso s’est payé les services d’une personnalité
hors norme, l’ancien patron du FMI lui-même, Dominique Strauss-Kahn. Comme l’a déjà révélé Challenges,
DSK conseille le président congolais depuis un an. Il s’est déplacé
plusieurs fois à Brazzaville, a piloté des réunions techniques à Paris
puis dépêché son bras droit, Philippe Valachs, lors de la visite du FMI.
Mystérieuse PME
L’Afrique
est le nouveau terrain de chasse de l’ex-ministre reconverti en
consultant de luxe. Le 13 avril, il s’est fendu de son premier tweet
depuis deux ans et demi pour rendre public un rapport technique qu’il a
rédigé sur la réforme du franc CFA, sujet symbolique pour les dirigeants
africains. Sa société, Parnasse International, est domiciliée au Maroc,
où il réside la moitié du temps même s’il a un appartement à Paris.
Cette mystérieuse PME, dont il est le seul salarié, tourne à plein
régime. Selon le registre du commerce local, elle a dégagé 3,6 millions
d’euros de résultat net en 2016. DSK a tourné la page des scandales
sexuels pour se consacrer à son business, le plus loin possible de la
France.
C’est au printemps 2013, après s’être sorti de l’affaire
du Sofitel de New York, que le pestiféré crée sa société. Deux personnes
lui tendent alors la main. Le premier est un financier
franco-israélien, Thierry Leyne, avec qui il monte le groupe Leyne
Strauss-Kahn & Partners (LSK), une aventure qui va virer à la
tragédie (lire l'encadré ci-dessous). Le second est un autre financier,
d’origine bulgare, Wladimir Mollof, à la tête de la banque d’affaires
Arjil, qui dispose de solides réseaux dans les Balkans. C’est lui qui a
apporté à DSK son premier mandat de conseil économique à un Etat, la
Serbie, pour trois ans.
A partir de 2016, les deux hommes
travaillent sur la promotion du plan Tunisie 2020, organisant des
roadshows pour attirer les investisseurs étrangers. Le président Béji
Caïd Essebsi et son entourage sont restés de grands fans de DSK, qui a
donc été mis dans la boucle à l’issue de l’appel d’offres, remporté au
nez et à la barbe des poids lourds Lazard et Rothschild. La même année,
DSK et Mollof prospectent aussi au Congo. Ils cherchent alors à se
positionner sur les négociations entre l’Etat et le géant du négoce
Glencore. Mais DSK choisit de faire cavalier seul sur le continent, au
grand dam de Mollof, qui a depuis coupé les ponts.
Petite équipe
Le
Français s’appuie d’abord sur ses liens avec Faure Gnassingbé,
président du Togo, où il décroche un contrat en juin 2016. «Il l’a
poussé à faire remonter les chiffres cachés de la dette publique et a
contribué à l’éviction du contesté ministre des Finances Adji Ayassor»,
reconnaît un diplomate français. Le Togo finit par décrocher un prêt
triennal du FMI en mai 2017. Depuis, DSK assure le suivi de l’exécution
budgétaire. Philippe Valachs, qui fut son chef de cabinet au ministère
de l’Economie, se rend chaque mois au Togo pour inciter les directions
ministérielles à serrer la vis. Il est parfois épaulé par Pierre Uhel,
retraité de Bercy, ou Sara Bertin, ancienne du FMI et de l’agence
Moody’s, que DSK avait déjà fait venir à LSK. Une petite équipe flexible
de personnes de confiance, qui travaillent en free-lance.
Satisfait
de leur travail, le président Gnassingbé a ensuite poussé le Français
auprès de Denis Sassou-Nguesso. «Il a trouvé un bon créneau: certains
Etats africains manquent de conseillers qui connaissent le
fonctionnement des institutions internationales et savent répondre à
leurs exigences», souligne l’ancien Premier ministre du Bénin, Lionel
Zinsou. L’ex-patron du FMI aurait gardé de très bonnes relations avec
certains cadres régionaux du fonds. Mais un diplomate nuance: «Son
activisme irrite la directrice Christine Lagarde, qui a déjà refusé de
le prendre au téléphone.» Ses offres de service ne sont pas toutes
couronnées de succès. Il a ainsi rencontré deux fois le président
sénégalais Macky Sall puis sollicité un entretien avec la directrice du
Trésor français pour parler du pays. Mais cette agitation n’a rien
donné.
Très opportuniste, DSK use aussi de son carnet d’adresses
pour dégoter des contrats dans le privé. Il peut toujours compter sur
quelques amis qui avaient déjà investi dans LSK. Ainsi, le magnat
ukrainien de la sidérurgie Viktor Pintchouk l’a placé au conseil de
surveillance de sa banque Credit Dnepr. DSK fait aussi des affaires avec
son voisin de riad à Marrakech, l’énigmatique Mohamed Ould Bouamatou. A
la tête d’un empire allant de la banque aux cigarettes, la première
fortune de Mauritanie a lancé des fondations caritatives et finance
l’association anticorruption Sherpa. A l’automne 2017, DSK a notamment
mis en relation le Mauritanien avec l’agence Havas, qui le conseille
face aux poursuites judiciaires lancées par le régime de Nouakchott.
Discrétion absolue
Enfin,
il travaille depuis trois ans pour le mystérieux groupe suisse Sicpa,
leader mondial des encres de sécurité (billets de banque, passeports).
Son propriétaire, Philippe Amon, a enrôlé DSK et son camarade d’HEC
Henri Proglio, ex-patron d’EDF, pour ouvrir les portes de la Russie. DSK
siège notamment au conseil de surveillance du RDIF, le fonds souverain
russe. Mais aucun contrat significatif n’a été signé. Il a également
prospecté en vain pour Sicpa en Afrique de l’Ouest et a fait appel à
Olivier Spithakis, vieil ami condamné dans le scandale de la Mnef, pour
tenter une percée en Algérie.
Ce manque de résultats n’aurait pas
empêché DSK d’être payé par Sicpa la bagatelle de 80.000 euros par mois,
selon nos informations. «Il participe aux comités stratégiques du
groupe mais nul ne sait s’il a vraiment été décisif dans un dossier,
peste une source en interne. On le soupçonne de jouer sur plusieurs
tableaux, il dit qu’il va au Togo pour Sicpa puis on apprend qu’il
travaille pour le gouvernement.» Ni Sicpa, ni Henri Proglio, brouillé
avec la société, n’ont voulu faire de commentaire. Joint par téléphone,
DSK n’a pas non plus souhaité nous répondre, fidèle à sa politique de
discrétion absolue, qui est désormais l’un de ses arguments de vente.
Le tragique naufrage du fonds LSK
C’est
la dernière menace judiciaire qui plane au-dessus de la tête de
Dominique Strauss-Kahn. Une enquête menée par la juge financière Claire
Thépaut est en cours depuis plus de deux ans à la suite de plusieurs
plaintes pour escroquerie, déposées par des investisseurs ayant perdu
leur argent dans LSK. Parnasse International détenait 20% de cette
structure à qui DSK était censé apporter ses contrats de conseil. A
l’époque, un fonds d’investissement à son nom doit même voir le jour et
lever 2 milliards de dollars. Mais le projet capote, la cavalerie
financière montée par l’associé de DSK, Thierry Leyne, s’emballe et LSK
fait faillite à l’automne 2014. Pire, le financier est retrouvé mort au
pied d’une tour de Tel-Aviv, la police concluant au suicide. Depuis, la
juge attend le retour de commissions rogatoires internationales. Elle
n’a pas encore entendu DSK, qui assure n’avoir rien su des difficultés
de LSK et avoir lui-même perdu 1,4 million d’euros.
Par David Bensoussan et Clément Fayol