
Sur fond d’abus croissants, le gouvernement veut empêcher tout regard extérieur
(Nairobi) – Le gouvernement camerounais
a refusé de laisser une chercheuse de Human Rights Watch entrer dans le
pays le 12 avril 2019. Cette mesure du gouvernement tente d’entraver
l’émission de rapports sur les abus des forces de sécurité, mais Human
Rights Watch continuera à documenter et faire connaître les violations
des droits humains au Cameroun.
« Interdire à notre chercheuse d’entrer sur le territoire constitue clairement un pas en arrière pour le Cameroun », a déclaré Philippe Bolopion, directeur adjoint du plaidoyer mondial au sein de Human Rights Watch. « Le gouvernement cherche à dissimuler aux yeux du monde les abus qu’il est en train de commettre, mais il n’y parviendra pas. »
Le 12 avril, les agents de l’aéroport international de Douala ont
interdit à Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior de Human Rights Watch
sur l’Afrique centrale, d’entrer dans le pays. Ilaria Allegrozzi s’était
pourtant vu délivrer un visa de trois mois le 25 mars. Dans sa demande
de visa, elle avait expliqué qu’elle comptait se rendre dans les régions
anglophones du pays pour mener des recherches au nom de Human Rights
Watch sur les abus commis à la fois par les forces du gouvernement et
des séparatistes armés, ainsi que sur l’impact de la crise sur les
personnes handicapées.
À Douala, on n’a fourni à Ilaria Allegrozzi aucune explication sur le refus d’entrée sur le territoire camerounais.
Malgré plusieurs demandes d’explications, Human Rights Watch n’a reçu
aucune clarification de la part du gouvernement sur le motif de sa
décision de lui interdire l’entrée.
Human Rights Watch a commencé à travailler sur les droits humains au Cameroun en 1998.
Depuis 2018, Human Rights Watch a publié un certain nombre de rapports
sur les violations des droits humains commises aussi bien par les forces
de sécurité gouvernementales que par les séparatistes armés, notamment
un rapport exhaustif en juillet 2018 et plusieurs autres en 2019.
Deux jours avant qu’on interdise à Ilaria Allegrozzi d’entrer au Cameroun, le 10 avril, Human Rights Watch a publié
un court rapport sur l’attaque meurtrière menée le 4 avril par des
soldats, des gendarmes et des membres du Bataillon d’intervention rapide
(BIR) contre le village de Meluf, dans la région du Nord-Ouest du pays,
tuant cinq hommes civils, dont l’un avait un handicap mental, et
blessant une femme.
Les régions anglophones du Cameroun sont en proie à une crise qui a
démarré fin 2016, lorsque des activistes anglophones, qui se plaignent
depuis longtemps de ce qu’ils perçoivent comme la marginalisation de
leurs régions par la majorité francophone, ont mobilisé une grande
partie de la population anglophone afin d’exiger soit plus d’autonomie
politique, soit la sécession. Les forces du gouvernement ont violemment
réprimé de grandes manifestations au milieu de l’année 2017, tuant plus
de 20 manifestants.
Depuis, l’émergence de groupes séparatistes armés s’est accompagnée
d’attaques sur les civils, à la fois par les forces gouvernementales et
séparatistes, ainsi qu'une militarisation croissante des régions
anglophones. Les troubles ont déplacé près d'un demi-million de
personnes.
Cette « crise anglophone » a lieu alors même que le pays fait face
aux conséquences humanitaires d’attaques commises dans la région de
l’Extrême-Nord par le groupe armé Boko Haram. Aussi bien Boko Haram que
les forces de sécurité ont commis de graves atteintes aux droits humains
et violations du droit international humanitaire.
Ces violences interviennent alors que le gouvernement a intensifié sa
répression de l’opposition politique. En janvier, la police a arrêté Maurice Kamto,
leader du parti d’opposition Mouvement pour la renaissance du Cameroun
(MRC), ainsi que près de 200 de ses membres et sympathisants. Ceci
s’inscrit dans un contexte d’intolérance accrue envers la divergence
d’opinion et le droit de réunion. Les manifestations du MRC ont été interdites dans tout le pays en avril.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme – qui
dispose d’un siège à Yaoundé, la capitale, mais pas d’un mandat pour
observer les violations des droits humains – n’a pas été autorisé à
enquêter sur les abus commis dans les régions anglophones.
Les organisations nationales et internationales de défense des droits
humains ont un rôle important à jouer pour observer et rapporter la
situation des droits humains, non seulement au Cameroun mais dans le
monde entier. En laissant les organisations de défense des droits
humains fonctionner sans entraves, le Cameroun ferait preuve de sa
volonté de soumettre à un regard rigoureux et indépendant les efforts
qu’il accomplit pour se conformer au droit international relatif aux
droits humains. Les partenaires internationaux du Cameroun devraient
placer dans leurs priorités les questions urgentes liées aux droits humains qui rongent le pays, et insister pour qu’il laisse entrer
sans obstacles les observateurs internationaux des droits humains.
« La spirale descendante du Cameroun en matière de droits humains
est particulièrement inquiétante dans le cas d'un pays qui est
récemment entré au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies », a conclu Philippe Bolopion. « Sa stratégie d’intimidation et d’obstacles n’aboutira pas. Nous exhortons le gouvernement à dialoguer, à permettre à Human Rights Watch de faire son travail et à s’efforcer de mettre fin aux abus des acteurs étatiques et non étatiques. »
Par hrw.org