
Les grands groupes d’Etat chinois investissent massivement dans les
projets d’infrastrucutres de ces
deux régions, Egypte en tête, décrypte
notre chroniqueur.
Chronique. Il faut se pencher avec minutie sur le
détail des investissements chinois à l’étranger pour tenter de
comprendre où va le vent. Alors que la Chine s’englue dans une guerre
économique sans fin avec les Etats-Unis et qu’elle annonce à grand
renfort de propagande et de sommets internationaux une nouvelle
enveloppe pour financer ses routes de la soie, les algorithmes du China
Tracker de l’American Entreprise Institute montrent clairement dans quel
sens vont les investissements de l’Empire du milieu.
En 2018,
les investissements de la Chine hors de ses frontières ont baissé de
110 milliards de dollars (98,5 milliards d’euros) par rapport à l’année
précédente, ramenant le total des investissements de 2018 au niveau de
ceux de 2014-2015. Le nombre de pays membres des « nouvelles routes de
la soie » a beau augmenter chaque année, le flux d’investissements est
resté stable avec même une baisse significative au dernier trimestre
2018.
Une
baisse générale, sauf pour une région : l’Afrique du Nord et le
Moyen-Orient qui s’impose, selon les termes du chercheur Afshin Molavi
de l’Institut John Hokins aux Etats-Unis, comme le partenaire clef « géo-économique » de la Chine.
En 2018,
la région MENA (pour Middle Est and North Africa) est devenue la
deuxième zone dans laquelle investit Pékin, juste derrière l’Union
européenne, avec 28,11 milliards de dollars. On parle là des
investissements directs hors « routes de la soie ». A titre de
comparaison, l’Afrique subsaharienne a reçu, en 2018 toujours,
21,34 milliards de dollars d’investissements chinois. En trois ans, la
progression de la région MENA est spectaculaire. Il s’agit pour
l’essentiel d’investissements dans les infrastructures via les grands
groupes d’Etat chinois. Les trois quarts sont allés à l’Egypte, les
Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Trois pays qui font partie de
ce que les économistes appellent le « club des 20 milliards »,
c’est-à-dire les pays ayant reçu plus de 20 milliards de dollars
d’investissements chinois ces quinze dernières années. A noter également
dans ce club la présence de l’Iran et de l’Algérie.
« Club des 20 milliards »
En
Egypte, c’est surtout la construction de la nouvelle et ambitieuse
capitale qui concentre les investissements. Ce sont en effet les
entreprises chinoises qui bâtissent cette ville nouvelle de plus de
6 000 hectares coûtant 58 milliards de dollars. C’est la Chine qui en
tire l’essentiel des bénéfices avec la construction d’un réseau ferré
entre Le Caire et cette nouvelle capitale et la construction du quartier
des affaires par China State Construction Engineering Corp (CSCEC),
soit 21 gratte-ciel, dont le plus haut d’Afrique, qui comptera
85 étages. Un projet aussi stratégique pour l’Egypte que pour la Chine
qui souhaite conforter son rôle de bâtisseur du continent. Une zone
économique spéciale autour du canal de Suez va compléter ce pharaonique
projet sino-égyptien.
Car
Pékin a évidemment compris l’importance stratégique de cette zone à la
fois comme base pour exporter ses marchandises via le port de Dubai et
le canal de Suez, mais surtout pour ses importations de pétrole et de
gaz naturel. Les importations chinoises augmentent à un rythme régulier
depuis cinq ans dépassant de loin maintenant la consommation américaine,
et rien ne devrait remettre en cause cette boulimie d’or noir venu des
pays du Golfe et de l’Afrique. La dépendance de la zone MENA à son
principal client chinois expliquant en retour l’importance des
investissements chinois dans les infrastructures régionales.
Afshin
Molavi estime que les exportations d’hydrocarbures en provenance de la
région MENA comme de l’ensemble de l’Afrique vont encore croître vers la
Chine alors qu’elles diminuent vers les Etats-Unis et l’Europe. La
géopolitique du pétrole continue d’aiguiller les investissements chinois
vers le continent africain comme dans le Golfe. A l’échelle mondiale,
ces investissements sont cinq fois plus importants dans le secteur de
l’énergie que dans celui de l’agriculture et vingt fois plus que dans
celui de la santé. Deux secteurs, dont l’Afrique notamment, a pourtant
cruellement besoin.
Sébastien Le Belzic
est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info,
un magazine sur la Chinafrique et les économies émergentes.