Pour l'heure, aucune date de remise en service du 737 MAX n'a
été communiquée et celle-ci ne
devrait pas intervenir avant plusieurs
mois. Et même lorsque les appareils seront autorisés à redécoller,
l'avionneur américain risque de se heurter à de nombreux obstacles.
La course contre la montre a commencé. Impliqué dans les catastrophes de Lion Air et d’Ethiopian Airlines
qui ont fait 346 morts au total, Boeing tente de sortir au plus vite
d’une mauvaise passe déjà qualifiée d’historique. Depuis la mi-mars,
ses 737 MAX, dont le système anti-décrochage a été mis en cause dans les
deux crashs, sont toujours cloués au sol. À cela s’est ajouté un défaut
dans le logiciel des simulateurs de son appareil vedette incapable de
reproduire certaines conditions de vol.
Certes, l’avionneur
américain s’est empressé d’apporter les modifications nécessaires.
Mi-mai, il a annoncé que la mise à jour du système anti-décrochage MCAS
ainsi que les changements nécessaires à la formation des pilotes étaient prêts.
Il faudra néanmoins "une à deux heures" pour effectuer les
modifications dans chaque appareil affecté, avait indiqué un
porte-parole du groupe.
Pas de date de remise en service
Mais
cette réaction ne suffit pas pour l’heure à lever l’interdiction de
vol. Si l’agence fédérale de l’aviation américaine (FAA) s’est réunie
fin mai avec les autorités de l’aviation civile de 33 pays, aucune date
de remise en service du 737 MAX n’a été fixée. Au cours de cette
réunion, la FAA a indiqué ne pas avoir commencé à examiner les
modifications apportées à l’appareil. Elle a par ailleurs
expliqué qu'elle attendait encore "des informations détaillées sur la
manière dont les pilotes interagissent avec les commandes et les
affichages de l’avion dans différents scénarios de vol". Une fois que
ces informations auront été transmises, les régulateurs auront besoin
d’au moins "trois à quatre semaines de travail", selon le directeur de
la FAA Dan Elwell.
Dans ces conditions, le directeur général de
l’Association internationale du transport aérien, Alexandre de Juniac,
estime que la remise en service du 737 MAX n’aura pas lieu avant août.
Une prévision très optimiste, selon les professionnels. Le président de
la compagnie aérienne Emirates, Tim Clark, table lui sur le mois de
décembre. "Je ne crois pas que l’avion va pouvoir revoler au cours de
prochains mois, simplement parce qu’il y a une divergence d’opinions
parmi les régulateurs", a-t-il expliqué.
On peut aussi penser que
la remise en service ne sera que progressive. En effet, si les
régulateurs collaborent, la FAA a déjà fait savoir qu’elle prendrait la
décision seule d’autoriser ou non le 737 MAX à redécoller aux
États-Unis. L’agence européenne de sécurité aérienne pourrait de son
côté se montrer plus prudente que son homologue américain en demandant
que les pilotes bénéficient obligatoirement d’une formation spécifique
complémentaire sur simulateur. Or, il n’existe actuellement qu’un seul simulateur spécifique au MAX.
"Avion non grata"
Et
même lorsque Boeing obtiendra l’autorisation de faire décoller ses
appareils, l’avionneur risque de se heurter à de nombreuses difficultés à
l’avenir. D’abord parce que l’image du groupe s’est considérablement
ternie ces derniers mois, de sorte qu’il faudra un certain temps avant
de regagner la confiance de ses clients et du grand public.
Selon
une enquête menée par le président de Atmosphere Research Group, Henry
Harteveldt, 20% des voyageurs américains déclarent qu’ils éviteront de
prendre l’avion dans les six premiers mois suivants la remise en service
et seuls 14% accepteraient de monter à bord d’un 737 MAX. 40% se disent
également prêts à prendre un vol plus coûteux ou plus long pour éviter
le 737 MAX. Un autre sondage réalisé par UBS révèle que 70% des
personnes interrogées hésiteraient aujourd’hui à réserver un vol à bord
de cet appareil. "Le 737 MAX est, pour le moment, un avion non grata –
un avion sur lequel les passagers ne veulent pas voler", affirme Henry
Harteveldt.
Colère des compagnies
Dans le même temps, Boeing fait face à la gronde des compagnies aériennes ayant
acheté des 737 MAX. La plupart ont été contraintes d’annuler des vols
et certaines se sont déjà tournées vers l’avionneur pour demander
réparation. À l’image de treize compagnies chinoises
dont les trois principales (China Southern, China Eastern et Air China)
qui lui ont officiellement réclamé des indemnisations pour compenser
les frais d’immobilisation au sol et les reports de livraisons.
Le
courtier Willis Re estimait déjà à au moins 450 millions de dollars les
dépenses de Boeing pour couvrir les accidents de Lion Air et Ethiopian
Airlines. Selon eux, la facture pourrait monter à 1 milliard de dollars
compte tenu des demandes d’indemnisations qui émanent des compagnies
aériennes propriétaires de 737 MAX.
Ces dernières ne pourront
d’ailleurs pas se tourner vers Airbus -dont le carnet de commandes est
déjà plein à craquer- pour acheter des appareils pouvant
être substitués au 737 MAX. En attendant, certaines louent des avions de remplacement pour assurer
leurs vols et exigeront évidemment de Boeing qu’il compense ces frais de
location.
Difficultés logistiques
Boeing
avait déjà évalué à 1 milliard de dollars la facture de
l’immobilisation au sol de ses 737 MAX depuis mi-mars. Cette estimation
couvre la hausse anticipée des coûts de production du 737 MAX et
notamment des modifications pour éviter de nouveaux dysfonctionnements
du système anti-décrochage. Elle intègre aussi la formation
supplémentaire des pilotes exigée par les régulateurs, mais pas les
potentielles indemnisations qui seront versées aux compagnies.
Et plus l’interdiction de vol sera longue, plus la
facture sera salée. D’autant que Boeing a, par la force des choses,
interrompu ses livraisons. Sachant qu’il produisait environ 52 avions
par mois au prix catalogue entre 125 et 130 millions de dollars et qu’il
prévoyait d'élever la cadence à 57 à partir de juin, selon La Tribune, la perte de chiffre d’affaires s’annonce particulièrement dure à affronter.
Ajouté
à cela, une importante difficulté logistique. Car si Boeing a
interrompu la livraison, il poursuit la production. Résultat, il doit
trouver des espaces pour stocker ses appareils sortant des ateliers. Ce qui signifie des coûts supplémentaires, notamment pour la maintenance.
Sans oublier que les compagnies pourraient lui demander de payer des
pénalités de retard, voire tout simplement annuler leurs commandes... Le
bout du tunnel est encore loin.
Paul Louis
Par BFM TV