
Depuis la mi-mai
2019, les tensions entre l’administration Trump et l’entreprise
technologique
chinoise sont montées d’un cran. Aucune entreprise
américaine n’a plus le droit de fournir du matériel et des équipements
technologiques à Huawei. Cette mesure, hormis la menace qu’elle fait
peser sur les revenus du fabricant d’équipements télécoms, laisse
présager une polarisation numérique du monde avec des conséquences non
négligeables sur le développement des réseaux télécoms en Afrique.
Le nombre d’entreprises technologiques américaines et
étrangères qui rompt toute relation commerciale avec l’équipementier
télécoms chinois Huawei augmente progressivement depuis que le
gouvernement US a mis l’entreprise sur liste noire le 16 mai 2019. Cette
décision qui entrera pleinement en vigueur en août 2019, interdit à
toute entreprise américaine de lui fournir du matériel et des
équipements technologiques sans la permission du gouvernement américain.

Adieu Gmail, YouTube, Chrome ou Google Maps…
Le 22 mai 2019, Google a ainsi décidé de priver
les futurs téléphones Huawei de l'accès à son système d'exploitation
Android. Cela signifie que des millions d’acquéreurs des nouveaux
Smartphones et tablettes de marque Huawei ou Honor ne pourront plus
accéder aux très populaires applications de l’américain, tels que Gmail,
YouTube ou Google Maps.
Cela signifie que des millions d’acquéreurs des
nouveaux smartphones et tablettes de marque Huawei ou Honor ne pourront
plus accéder aux très populaires applications de l’américain, tels que
Gmail, YouTube ou Google Maps.
A la suite de Google, a suivi le japonais Panasonic qui
a décidé de ne plus fournir à l’entreprise chinoise et à ses 68
filiales certaines composantes électroniques d’origine américaines. Idem
pour la société ARM, basée au Royaume-Uni, appartenant à la société
japonaise SoftBank et spécialisée dans la fourniture de puces
électroniques dont les conceptions utilisent une technologie fabriquée
aux États-Unis. Le même sort sera également réservé aux ordinateurs
Huawei qui ne pourront bientôt plus accéder au système d’exploitation
Windows de l’américain Microsoft, ainsi qu’aux mises à jour associées.

Les laptops Huawei devront à l’avenir se passer de Windows.
L’isolement technologique de Huawei, survient après plus de huit mois de guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.
Lire aussi notre dossier : 22/01/2019 - Guerre USA-Huawei: l’Afrique prise entre deux feux
Guerre au cours de laquelle l’administration Trump a
fait usage de multiples moyens de pressions sur Huawei, tête de proue de
la conquête numérique du monde par la Chine, pour faire flancher le
gouvernement de Pékin. Avant la mise au ban de Huawei, le gouvernement
américain a tout d’abord suscité une suspicion internationale contre la
société qui a été accusée de porter atteinte à la sécurité des réseaux
télécoms et informatiques qu’elle contribue à déployer, de vol de
propriété intellectuelle d'autres sociétés technologiques et d’actes de
corruption pour obtenir des contrats. Ensuite, est intervenu le
bannissement de ses équipements dans l’administration publique US. Le
gouvernement américain a, par la suite, fait pression sur quelques
alliés de poids comme la Grande- Bretagne, le Canada, l’Australie, la
Nouvelle-Zélande ou le Japon pour bloquer la route à Huawei.
Guerre froide numérique
A travers la pression actuelle sur Huawei, le
gouvernement américain met en danger la croissance de l’entreprise
technologique. En effet, privée de l’accès au système d’exploitation
pour smartphone Android- qui était en 2018 le plus adopté au monde par
les abonnés télécoms avec une part de marché de 85,1% selon IDC, Huawei
devrait certainement voir ses appareils boudés au profit d’autres
constructeurs comme Samsung, Apple, Tecno, Xiaomi ou encore Itel.
En Europe, Huawei était troisième du marché des
smartphones, derrière Samsung et Apple, avec 17,69% de part au mois
d’avril 2019, selon Statcounter. En Afrique, le constructeur chinois
était plutôt second derrière Samsung, avec 12,75% de part. Au niveau
mondial, Huawei était second derrière Samsung avec 15,8% de part du
marché des smartphones.
Le même scénario devrait se répéter sur les autres
segments d’activités de l’entreprise à l’instar de celui des ordinateurs
où Microsoft devrait aussi lui refuser l’accès à Windows qui détient
75,47% de part de marché des systèmes d’exploitation pour ordinateur au
31 janvier 2019 contre 12,33% pour le MAC OS X d’Apple, selon le portail
allemand de statistiques et de données de marché mondial Statista.
Le même scénario devrait se répéter sur les autres
segments d’activités de l’entreprise à l’instar de celui des ordinateurs
où Microsoft devrait aussi lui refuser l’accès à Windows.
Priver Huawei de l’accès aux matériels et équipements
fournis par les entreprises américaines qui détiennent la majorité des
brevets dans le domaine technologique compromettra également les
capacités de l’entreprise à produire de nouveaux appareils
électroniques. Les grands fabricants de semi-conducteurs comme Qualcomm
ou Intel ont aussi indiqué qu’ils cesseraient de fournir Huawei. Au
regard de l’intensité que prend la guerre commerciale entre les
Etats-Unis et la Chine, avec Huawei comme point central, le spectre
d’une nouvelle guerre froide se profile à l’horizon. Technologique
cette fois.
Le 23 mai 2019, lors de la Conférence de Potsdam sur la
cybersécurité nationale, Ken Hu, le vice-président de Huawei,
qualifiait la sanction américaine de « dangereux précédent ». Il considérait que « cela
va à l'encontre des valeurs de la communauté internationale des
affaires, perturbe la supply chain mondiale et nuit à la concurrence
équitable sur le marché ». Mettant d’ailleurs en garde l’Europe ;
qui semble tout tolérer des USA ; contre l’acceptation de telles
mesures, Ken Hu affirmait que la situation actuelle de Huawei « pourrait
arriver à n'importe quelle autre industrie et entreprise à l'avenir, si
nous ne nous attaquons pas ensemble à ces problèmes ». « Nous
ne voulons pas construire un nouveau mur sur le plan commercial, nous ne
voulons pas non plus construire un nouveau mur sur le plan
technologique », soulignait-il.

Ren Zhengfei : « On ne pourra pas nous isoler du reste du monde »
Bien que Huawei prône l’apaisement avec les Etats-Unis,
la société a tout de même fait savoir qu’elle est prête à la guerre si
l’administration Trump ne veut pas revenir à de meilleurs sentiments. Au
cours du salon Ready For IT, tenu le 21 mai 2019 à Monaco, Shi
Weiliang, le directeur général de Huawei France, a déclaré : « Nous
avons un plan B, c'est-à-dire que nous pouvons être fiers de dire
que, malgré ce papier signé par les États-Unis, nous restons sereins de
continuer notre business, avec nos clients, nos utilisateurs et tous les
acteurs de l'écosystème ». Pour Ren Zhengfei, le fondateur de Huawei, « le
personnel politique américain, par ses façons de faire à l’heure
actuelle, montre qu’il sous-estime notre force (…) Mais en cas de
difficulté d’approvisionnement, nous avons des solutions de rechange. En
période de paix (avant la guerre commerciale, Ndlr), nous nous
fournissions pour moitié en puces venant des Etats-Unis et pour moitié
venant de Huawei. On ne pourra pas nous isoler du reste du monde ».
« Le personnel politique américain, par ses
façons de faire à l’heure actuelle, montre qu’il sous-estime notre
force (…) Mais en cas de difficulté d’approvisionnement, nous avons des
solutions de rechange.»
Le 26 mai 2019, Huawei a annoncé qu’elle lancera son
propre système d’exploitation qui pourra être disponible en Chine dès le
quatrième trimestre 2019 et dans le reste du monde au premier ou
deuxième trimestre de 2020. Certainement basé sur AOSP, la partie open
source d’Android, le système bénéficiera de sa propre boutique
d’application – l’App Gallery – déjà présente sur les téléphones de la
marque.
Problème d’ego?
La pression que subit Huawei, avec de possibles
conséquences sur sa rentabilité future, ne serait, selon l’entreprise
chinoise, que l’expression d’une Amérique blessée dans son orgueil.
La pression que subit Huawei, avec de possibles
conséquences sur sa rentabilité future, ne serait, selon l’entreprise
chinoise, que l’expression d’une Amérique blessée dans son orgueil.
Le pays qui voit son hégémonie technologique
s’amoindrir avec le temps chercherait un moyen de la maintenir en
cassant la concurrence. Car c’est l’avancée de Huawei dans la 5G,
prochaine technologie mobile, déterminante pour le monde numérique, qui
est le véritable enjeu. Cette technologie, qui interviendra pour rendre
les villes intelligentes, la réalité virtuelle, la réalité augmentée, la
voiture autonome, etc, abolira les délais de connexion et permettra
même à près de 10 000 objets d’être connectés au km2. Elle est
aujourd’hui à la portée de Huawei qui a beaucoup avancé dans la
recherche et le développement.

Selon Huawei, les USA n’acceptent pas d’être distancés dans la course à la 5G
En juin 2018, Eric Zu, le PDG de Huawei, annonçait le
premier smartphone 5G de la marque sur le marché au mois de juin 2019
ainsi qu’un modem mobile 5G qui permet de partager la connexion 5G avec
des appareils en Wi-Fi. Selon le cabinet Deloitte dans son rapport « 5G: The chance to lead for a decade »,
la Chine, dans son plan quinquennal 2015-2020, a prévu un budget de 400
milliards de dollars d’investissement lié à la 5G. Le pays est
actuellement très loin devant les Etats-Unis et Huawei pourrait fixer
les prochaines conditions de marché relatives à cette technologie.
La Chine, dans son plan quinquennal 2015-2020, a
prévu un budget de 400 milliards de dollars d’investissement lié à la
5G. Le pays est actuellement très loin devant les Etats-Unis et Huawei
pourrait fixer les prochaines conditions de marché relatives à cette
technologie.
Les attaques des USA à son encontre, l’entreprise
technologique estime qu’elles ne pourront en rien entraver ce futur
radieux. « La 5G de Huawei ne sera absolument pas affectée. En
matière de technologie 5G, ce n’est pas en deux-trois ans que les autres
entreprises pourront rattraper Huawei », a soutenu Ren Zhengfei.

Huawei tente de rassurer ses partenaires et clients sur sa capacité technologique.
Bien que Huawei donne toutes les assurances sur sa capacité à rebondir à la suite de l’ « isolement »
technologique américain, seules des actions concrètes de l’entreprise
pourront vraiment dissiper la crainte qui grandit au sein de plusieurs
nations africaines qui ont fait confiance au géant technologique chinois
pour le développement de leurs réseaux télécoms.
Les choix africains
Sur le contient africain, Huawei a contribué grandement
au développement de l’accès des populations au haut débit. La société a
plusieurs fois été sollicitée pour son expertise technique dans le
déploiement de réseaux télécoms de haute qualité.
Lire aussi notre dossier : 12/04/2019 - Ces pays africains qui s’éveillent déjà à la 5G
Dans une trentaine de pays, notamment le Cameroun,
l’Algérie, l’Egypte ou encore l’Afrique du Sud, Huawei est déjà
intervenu dans la modernisation et l’extension de réseau. La société a
construit plus de 70% des réseaux 4G du continent et teste déjà la
technologie 5G avec les plus grandes entreprises de télécommunications
du continent: le groupe MTN, Vodacom, Maroc Telecom.
La société a construit plus de 70% des réseaux 4G du
continent et teste déjà la technologie 5G avec les plus grandes
entreprises de télécommunications du continent: le groupe MTN, Vodacom,
Maroc Telecom.
Mais avec la guerre contre les USA qui a abouti à la
restriction d’accès de l’entreprise aux technologies américaines, les
inquiétudes naissent quant à sa capacité à tenir ses chantiers sur le
continent. C’est le cas, par exemple, pour le projet de construction
d’un centre de données à Konza, de villes intelligentes, pour un contrat
d’un montant de 1,7 milliard de dollars US signé en avril 2019 avec le
président de la République du Kenya, Uhuru Kenyatta. En Ouganda, le
groupe chinois est également engagé dans la construction du réseau
national de fibre optique.
Dans la guerre entre les Etats-Unis et la Chine, la
Kényane Harriet Kariuki, spécialiste des investissements chinois en
Afrique, au cours d’un entretien accordé à la radio BBC, invitait
l’Afrique à ne pas choisir de camp. Pour elle, cette crise devrait
plutôt servir d’électrochoc au continent qui devrait sérieusement
commencé à réfléchir sur les moyens « de développer ses propres technologies pertinentes pour son marché au lieu d’être consommateur passif ».
Muriel Edjo
Par Agence Ecofin